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Roger VAILLAND, Un jeune homme seul

Publié le 25/02/2011

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C'était au milieu de l'hiver d'une année particulièrement froide. Il allait au lycée à bicyclette et, malgré deux paires de gants de laine superposées, ses mains gelaient sur le guidon. Il pédalait avec une main dans la poche de son manteau; mais le froid saisissait si vite les doigts qu'avant même que la main dans la poche fût réchauffée, la main sur le guidon était déjà gelée. La débâcle du sang dans la main, saisie par la tiédeur, était presque aussi douloureuse que son gel dans la main mordue par le vent glacé. Au long des trois kilomètres qui séparaient sa maison du lycée, la souffrance devenait vite tellement intolérable qu'il était obligé de s'arrêter plusieurs fois, de poser son vélo contre un mur, de retirer ses gants et de réchauffer ses mains en soufflant dedans, tout en sautant sur place pour que les pieds ne gèlent pas à leur tour. Or, les ouvriers qu'il croisait à cette heure matinale (les classes, dans ce temps-là, commençaient à huit heures) et qui gagnaient leur chantier à vélo, portaient tous des gants de cuir fourrés à crispin1. Il était visible qu'ils ne souffraient pas du froid aux mains [...] Les gants de cuir fourrés à crispin étaient en vente aux Stocks américains de l'avenue de Laon pour la somme de 22 francs. Mais Victoria Favart s'était refusée obstinément à donner à son fils les 22 francs; elle déclarait que deux paires de gants de laine suffisent assurément à protéger les doigts des plus grands froids, que le cuir et les crispins relèvent du snobisme, qu'Eu-gène-Marie devait enfin se décider à comprendre que ses parents n'étaient pas des millionnaires; et ne pas les remercier des sacrifices qu'ils s'imposaient pour lui faire faire des études, en manifestant sans cesse de nouvelles exigences.    Eugène-Marie en était donc venu tout naturellement à envier le sort des ouvriers, qui pouvaient prendre sur leur salaire l'achat d'une paire de gants aux Stocks américains de l'avenue de Laon. A treize ans, et ne sachant rien faire, car il était persuadé que tout ce qu'il avait appris jusqu'alors au lycée ne comportait aucune application pratique, il ne gagnerait bien sûr pas autant qu'un maçon ou qu'un charpentier. Mais même comme commis d'épicerie, garçon de courses ou à mettre de la terre dans les moules de la fabrique de briques, il gagnerait tout de même assez pour s'acheter une paire de gants et n'avoir plus besoin de demander de l'argent à sa mère. Il avait donc fait part de sa décision à ses parents.    Roger VAILLAND, Un jeune homme seul.    1. Crispin : manchette qui prolonge le gant de façon à protéger le poignet.    sujets au choix    1) Imaginez la discussion entre le jeune homme et ses parents.    2) Pensez-vous, comme Eugène-Marie, que le sort de ceux qui sont engagés dans la vie active soit plus enviable que celui des collégiens et des lycéens?    3) Vous avez, vous aussi, été confronté à un refus de la part de vos parents. Qu'avez-vous ressenti?

« • Il vous faudra insister, dans vos répliques, sur la double réaction des parents, qui se manifestera tantôt par lacolère, tantôt par l'ironie familière (mon pauvre garçon, sot que tu es, pour une paire de gants...). Sujet 2 • Il ne s'agit pas tant de comparer votre point de vue et celui du héros de ce livre : les temps ont changé depuiscette histoire, les problèmes ne se posent plus dans les mêmes termes. • Sur la question elle-même, des avantages respectifs de la vie active et de celle du collégien que vous êtes, il esturgent que vous réfléchissiez, en cette année d'orientation! — Vous ferez remarquer tout d'abord qu'à notre époque il est rare que l'on choisisse la «vie active» : on y estparfois conduit, à la fin de la scolarité obligatoire (seize ans), faute de mieux!— La comparaison n'a de sens que si l'on considère la vie et l'avenir d'un lycéen rapportés à l'existence d'unapprenti, c'est-à-dire de celui qui, par obligation ou par choix personnel, n'a pas pu ou n'a pas voulu entreprendrede longues études et connaît, plus tôt que les autres, la réalité du monde du travail, à une place nécessairementtrès modeste. — Il faut reconnaître que ce dernier choix est rarement délibéré aujourd'hui. Le désir de chacun est, au contraire, de poursuivre le plus longtemps possible des études dont il espère qu'elles luiapporteront une promotion sociale intéressante. — Certains n'auraient-ils pas à gagner dans une meilleure utilisation de leurs capacités réelles, parfois plus manuellesqu'intellectuelles? La question peut être posée. — Est-il préférable d'être un bon ébéniste qu'un bachelier sans avenir, parce que mal orienté? — Ne méprise-t-on pas trop souvent les études techniques? Le culte du diplôme est-il toujours fondé? Autant dequestions auxquelles vous devez réfléchir cette année! • Quant au « sort » de ceux qui ont très tôt embrassé une carrière ou de ceux qui ont visé plus loin et plus haut, ilest difficile de le qualifier. — Doit-on considérer comme signes de réussite : l'argent, le bien-être matériel, l'épanouissement dans un métierque l'on aime, la place occupée dans l'échelle sociale? A chacun de répondre. Sujet 3 • Deux parties dans votre texte : — l'anecdote elle-même : elle doit être clairement contée et, bien sûr, digne d'intérêt. — Vos réactions : montrez en quoi, une fois la colère passée, elles sont ambiguës, votre certitude d'avoir raisons'opposant à la fermeté des raisons avancées par vos parents qui ont pu semer le doute dans votre esprit. • N'oubliez pas d'indiquer l'issue de cette confrontation!. »

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