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RONSARD: L'an se rajeunissait...

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

ronsard

L'an se rajeunissait en sa verte jouvence,

Quand je m'épris de vous, ma Sinope cruelle :

Seize ans était la fleur de votre âge nouvelle,

Et votre teint sentait encore son enfance. Vous aviez d'une infante encor la contenance,

La parole et les pas ; votre bouche était belle,

Votre front et vos mains dignes d'une Immortelle,

Et votre œil, qui me fait trépasser quand j'y pense. Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,

Dans un marbre, en mon cœur, d'un trait les écrivit;

Et si pour le jour d'hui vos beautés si parfaites Ne sont comme autrefois, je n'en suis moins ravi

Car je n'ai pas égard à cela que vous êtes,

Mais au doux souvenir des beautés que je vi.   

Ronsard, poète de l'amour, a parfois sacrifié à un goût discutable pour la préciosité ou l'érudition qui risque de faire douter de sa sincérité ; mais, dans les chefs-d'œuvre que nous nous plaisons à relire, nous sommes sensibles à la profondeur de sa passion, à sa délicatesse, à ses efforts pathétiques de persuasion. N'est-ce pas ce que nous allons retrouver essentiellement dans le sonnet adressé à Sinope : L'an se rajeunissait... ?   

ronsard

« encor » (v.

5), « enfance » (v.

4) et « infante » (= fillette) (v.

5). b) La passion du poète.

Tout atteste dans ce poème la profondeur de la passion : la naissance de l'amour a étésoudaine (« Je m'épris de vous...

») ; le souvenir a gardé ineffaçable la vision première (v.

9-14) ; l'amour a persistémalgré les cruautés de Sinope (« ma », possessif marquant l'affection, s'oppose à « cruelle » dans « ma Sinopecruelle »).

D'une grande force sont les termes exprimant les sentiments ou leur cause : « je m'épris », « si grandesbeautés », (et « beautés » est dit trois fois dans les tercets), « parfaites », « dans un marbre » (= comme dans unmarbre, c'est-à-dire en caractères ineffaçables), « ravi », « doux souvenir ».

L'hyperbole semble naturelle quand ils'agit d'une telle passion : « digne d'une Immortelle » ; « qui me fait trépasser ». c) Expression lyrique.

Enfin tout au long du poème, les inflexions pathétiques de la voix qui traduisent la profondeurdes émotions ressenties et la gravité recueillie du poète se prêtent à une diction lyrique très délicate. Au premier vers, les j, v, pleins d'élan, expriment la vitalité, la jeunesse.

Mais déjà « quand je m'épris de vous » amoins de vivacité, car le poète songe aux souffrances qu'a entraînées sa passion, aux froideurs de Sinope, et, aprèsun silence douloureux, « ma Sinope cruelle » achève la retombée pathétique.

Désormais la pensée du drame voilerala voix du poète (jusqu'au dernier tercet exclusivement) : tous les termes exprimant la fraîcheur de Sinope, sabeauté, l'amour du poète, sont dits avec une effusion tempérée d'une certaine gravité.

L'effusion l'emporteprogressivement : « Seize ans » « encore » « encor » « votre bouche était belle » ; elle culmine au vers 7 : Votre front et vos mains dignes d'une Immortelle... L'accentuation des syllabes initiales, discrète jusque-là, se fait plus nette, et aucune ponctuation ne vient plusralentir l'élan de l'enthousiasme.

Puis, au milieu même de l'effusion devenue plus franche, surgit, douloureux, lesouvenir de la souffrance : c'est alors la gravité qui se marque, du vers 8 au vers 10, dans le ton sourd (sonoritéssourdes : pense, amour, grandes beautés) et, au fur et à mesure que le poète s'absorbe davantage dans sonsouvenir, dans le ralentissement progressif du débit jusqu'à « quand j'y pense ».

Au vers 10, le sentiment ducaractère inéluctable du destin donne à la diction une douloureuse solennité tragique. Dans un marbre/en mon cœur/d'un trait/les écrivit. 2.

— La délicatesse. A la force de la passion s'allie une très grande délicatesse. La beauté de Sinope s'idéalise dans le vers 7: Votre front et vos mains dignes d'une Immortelle...

— Ronsardn'insiste pas sur la réalité présente (« cela » est d'un vague voulu).

Il hésite à comparer le présent au passé (et pour cette raison la voix traîne à la fin du vers ix etau début du vers 12).

Le dernier vers enfin est aussi délicat que prestigieux et ému : ému, car Ronsard est ravi parla contemplation de la beauté ; prestigieux, car la beauté de Sinope, par l'extase même qu'elle provoque, apparaîtplus divine que jamais ; délicat, car la beauté de Sinope a triomphé à la fois des ressentiments dus à sa cruauté etde l'outrage des ans. 3.

— Effort implicite de persuasion. Pourquoi tant d'accents passionnés, tant de délicatesse ? Comme dans Mignonne...

ou comme dans Quand vousserez bien vieille..., mais de façon moins directe, Ronsard ne s'efforcer ait-il pas de faire partager sa passion ? Le «Donc, si vous m'en croyez...

» n'est pas dit.

N'est-il pas pensé ? Les arguments susceptibles de toucher la fière Sinope sont nombreux : dès le début « ma Sinope cruelle » peut êtresenti comme une supplication.

L'évocation de la fraîcheur et des « grandes beautés » de Sinope est un complimentdélicat.

L'argument traditionnel de la fuite du temps est dit au vers 12 (« autrefois » !).

Et surtout l'amour du poètesi profond, si délicat, ne mériterait-il pas d'être payé de retour ? Ronsard ne conclut pas : ce serait une délicatessede plus. Mais peut-être aussi, Ronsard, plus sentimental que d'ordinaire, se contente-t-il de revivre le passé et s'efforce-t-ilseulement d'en prolonger éternellement les extases, oubliant ainsi les cruautés de Sinope et sa beauté ternie.

Cemystère n'est pas l'un des moindres charmes de cette poésie. Conclusion. Passionné et musical comme les autres grands poèmes d'amour de Ronsard, celui-ci a sa couleur propre : aussidélicat que passionné, plus que comme une requête d'amour il apparaît comme une confidence grave et émue.

Carque reste-t-il dans notre pensée, ce poème une fois lu ? Un roman pathétique et merveilleux : l'éblouissement de lapremière rencontre ; un amour qui ravit et qui fait souffrir ; et l'image d'un poète qui, en dépit de ses efforts depersuasion, donne l'impression de se complaire dans le souvenir d'une vision pleine de fraîcheur et de beauté, aupoint qu'il repousse la triste réalité présente dont son cœur n'a que faire.. »

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