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Rousseau et la découverte de PARIS (Les Confessions)

Publié le 22/02/2012

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Jean-Jacques Rousseau, qui a passé sa jeunesse en Suisse et en Savoie principalement, découvre Paris à l'âge de 19 ans. Combien l'abord de Paris démentit l'idée que j'en avais ! La décoration extérieure que j'avais vue à Turin, la beauté des rues, la symétrie et l'alignement des maisons, me faisaient chercher à Paris autre chose encore. Je m'étais figuré une ville aussi belle que grande, de l'aspect le plus imposant, où l'on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d'or. En entrant par le faubourg Saint-Marceau, je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines maisons noires, l'air de la malpropreté, de la pauvreté, des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux. Tout cela me frappa d'abord à tel point, que tout ce que j'ai vu depuis. à Paris de magnificence réelle n'a pu dé-truire cette première impression, et qu'il m'en est resté toujours un secret dégoût pour l'habitation de cette capitale. Je puis dire que tout le temps que j'y ai vécu dans la suite ne fut employé qu'à y chercher des ressources pour me mettre en état d'en vivre éloigné. Tel est le fruit d'une imagination trop active, qui exagère par-dessus l'exagération des hommes, et voit toujours plus que ce que l'on lui dit. On m'avait tant vanté Paris, que je me l'étais figuré comme l'ancienne Babylone, dont je trouverais peut-être autant à rabattre, si je l'avais vue, du portrait que je m'en suis fait. La même chose m'arriva à l'Opéra, où je me pressai d'aller le lendemain de mon arrivée ; la même chose m'arriva dans la suite à Versailles ; dans la suite encore en voyant la mer ; et la même chose m'arriva toujours en voyant des spectacles qu'on m'aura trop annoncés : car il est impossible aux hommes et difficile à la nature elle-même de passer en richesse mon imagination. Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions, Livre quatrième. 1. Le texte s'organise sur un contraste essentiel : celui qui oppose l'imaginaire très riche de l'auteur à la réalité sordide auquel il est confronté. Par des antithèses, figure de style dominante, Rousseau met en valeur ce décalage : aux « superbes rues » succèdent de « petites rues sales », aux « palais de marbre et d'or », de « vilaines maisons noires » ; ni « belle » ni imposante, la ville réelle propose « malpropreté », « pauvreté » ; au décor inhabité de l'imaginaire enfin se substitue une foule grouillante et sale... 2. Le pronom utilisé, « je », renvoie à l' autobiographie, et s'oppose à « on », le reste des hommes. C'est la loi du genre. Le texte commence au passé simple et à l'imparfait : c'est un récit rétrospectif. De temps à autre (« je puis dire », « tel est le fruit d'une imagination », « il est impossible aux hommes ») sont utilisés des présents de l'indicatif : l'auteur passe alors de l'exemple ponctuel (sa découverte déçue de Paris) à des considérations plus générales sur la nature même de son imaginaire.
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« C'est l'imagination qui est d'emblée mise au centre de l'extrait par Rousseau : « l'idée que j'en avais » se heurte auxmurs gris de la réalité.

« L'idée » qu'on se fait des choses produit dans l'esprit des images : ainsi fonctionnel'imagination, mais celle-ci a besoin d'un appui dans le réel pour s'épanouir vraiment.

D'abord il y a l'expérience, cequ'on a déjà vu, qui joue ici un rôle essentiel (le verbe « voir » revient d'ailleurs dans le texte avec insistance.

Lejeune adolescent a déjà vu une capitale, Turin, centre du royaume de Piémont-Sardaigne.

Si cette capitale d'unmodeste État est déjà magnifique, comment la capitale du royaume de France (c'est la plus grande puissanceeuropéenne de ce siècle) ne serait-elle pas « aussi belle que grande » ? Ainsi commence-t-il à se représenter uneville idéale...Autre source de l'imaginaire : les récits des autres : « on m'avait tant vanté Paris, que je me l'étais figuré commel'ancienne Babylone » ; « On » a donc fait travailler l'imagination du jeune homme.

Mais on exagère, on surenchéritet on se fait donc, des choses, des lieux, un « portrait » qui bien souvent n'a plus rien à voir avec la réalité.

CarParis n'est pas seule en cause : « la même chose m'arriva à l'Opéra », insiste Rousseau, puis à « Versailles », puis envoyant la « mer » ou des « spectacles qu'on m'aura trop annoncés »...

Les discours des autres servent donc detremplin à l'imaginaire.

Or la réalité, quelle qu'elle soit, est toujours limitée (même « la mer »), seul le rêve ne connaîtpas d'entraves.

La réalité, par définition bornée, ne peut que décevoir celui chez qui concevoir est sans limites.Or la réalité n'est pas toujours terne à qui l'aborde sans préjugés favorables ou défavorables : ainsi Turin verslaquelle le jeune Jean-Jacques se dirigea, poussé par la nécessité (une conversion expéditive au catholicisme).

D'oùl'agréable surprise qu'il y connut : « décoration extérieure, beauté des rues, symétrie et alignement des maisons »,tout contribue à y satisfaire le regard.

L'esprit se satisfait d'autant plus de ce qu'il voit et de ce qui est qu'il n'avaitpas eu, avant, à imaginer.

Il n'en va pas de même de Paris, ville trop « annoncée », trop entourée d'un halomythique, donc plus propice à la désillusion.

Celui qui attend « autre chose encore » est condamné à voir « la mêmechose » : « la même chose m'arriva » écrit Rousseau, répétant trois fois en anaphore la même lancinante formule,tant ce qui est ne saurait prétendre atteindre la hauteur de ce qui pourrait être si l'on vole sur les ailes del'imagination. 2.

Paris réelLorsqu'on entre à Paris, « par le faubourg Saint-Marceau », le contraste avec le rêve est saisissant : la réalité le «démentit », — le verbe utilisé est cinglant.

A la « beauté », aux « superbes rues » du rêve font place « de petitesrues sales et puantes ».

Aux « palais de marbre et d'or » succèdent « de vilaines maisons noires » : les antithèsesne sauraient être mieux marquées : les adjectifs péjoratifs s'accumulent pour peindre un univers de crassemalodorante qui saisit tous les sens à la fois, la vue, l'odorat, l'ouïe...

Nul palais, ici, ni marbre ni or : qui s'enétonnerait d'ailleurs ? On sait bien qu'une ville, c'est un ensemble hétéroclite, un agglomérat où tous les quartiers,toutes les classes sociales se retrouvent dans un ensemble vivant et désordonné.

Dans le Paris imaginaire, toutévoquait des décors de théâtre, vides de toute population.

La ville réelle, au contraire, déborde de vie : partout cesont « des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux » ;l'accumulation de ces compléments crée certes une impression générale de désordre, de « malpropreté » et de «pauvreté », mais cette foule mêlée, ces cris, ces activités diverses produisent aussi un effet très réaliste depittoresque urbain.

Comme dans les romans de Marivaux, ou plus tard ceux de Balzac, la vie parisienne est montréeici dans toute sa variété, ses misères et petitesses, mais quelle vie débordante ! Voilà qui frappe en tout cas lejeune homme sorti de sa province et confronté, pour la première fois, à une vraie capitale qui exhibe ses laideurs,ses plaies et ses richesses.Paris en effet n'est pas réductible à ce seul « faubourg » par où l'on y pénètre, comme pourrait le faire croired'abord la formulation restrictive : « je ne vis que...» : Paris, c'est aussi « l'Opéra », c'est encore, un peu plus loin,« Versailles » ; c'est aussi, comme il l'avoue fort honnêtement « une magnificence réelle » ; les deux mots sontintéressants : le substantif évoque la grandeur, la « beauté », les « superbes » splendeurs évoquées au début quiexistent donc bel et bien ; mais l'adjectif « réelle » vient peser de tout son poids et nous rappeler l'essentiel : le réeln'est jamais à la hauteur des délices de l'imagination.

D'autant que, chez Rousseau comme chez tout autre, c'est «la première impression » qui compte et non la découverte progressive et objective.

« Le secret dégoût » initial nesaura plus tard être détruit tant est forte l'emprise de la sensation « première ».De là découlent des relations très négatives entre Jean-Jacques et la grande ville : le « dégoût ».

L'intérêt dupassage est de dater exactement la naissance de ce sentiment.

Le paradoxe qui suit n'a dès lors plus riend'étonnant et n'a de paradoxales que les apparences : « tout le temps que j'y ai vécu dans la suite ne fut employéqu' à chercher des ressources pour me mettre en état d'en vivre éloigné.

» La phrase trahit une tentative dejustification : comment se fait-il que, détestant Paris, il y ait si longtemps séjourné ? La réponse est toute »uvée :on demeure à Paris pour gagner l'argent nécessaire à son installation ailleurs.

Mais cette haine de Paris, est-ellecelle du jeune homme ou de l'écrivain qui raconte, longtemps après, ce que fut — et ce que fit — cet homme jeune? 3.

AutoportraitRousseau, en effet, dans ce texte autobiographique, écrit bien longtemps après avoir vécu les événements qu'ilrelate et l'expérience de l'écrivain vieilli se reflète nécessairement dans le tableau qu'il fait de cette découverte.Autrement dit, on ne sait pas si Rousseau projette son actuelle phobie de Paris sur cette première découverte ou s'ildécrit fidèlement les sensations jadis éprouvées.

Il semblerait d'ailleurs qu' il y ait une certaine ironie (un regarddistancié au moins) de la part de l'écrivain lorsqu'il évoque un Paris exclusivement composé de palais d'or et demarbre.

L'essentiel reste l'image que, là comme ailleurs, Rousseau entend donner de lui-même à son lecteur.Homme à paradoxe, on l'a vu, homme sensible, plus attentif aux sensations qu'au pouvoir de la raison, mais surtout. »

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