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RUY BLAS (ACTE 4 SCENE 2) - HUGO

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

hugo

-ouf ! Que d'événements ! -j'en suis émerveillé comme l'eau qu'il secoue aveugle un chien mouillé. Primo, ces alguazils qui m'ont pris dans leurs serres ; puis cet embarquement absurde ; ces corsaires ; et cette grosse ville où l'on m'a tant battu ; et les tentations faites sur ma vertu par cette femme jaune ; et mon départ du bagne ; mes voyages ; enfin, mon retour en Espagne ! Puis, quel roman ! Le jour où j'arrive, c'est fort, ces mêmes alguazils rencontrés tout d'abord ! Leur poursuite enragée et ma fuite éperdue ; je saute un mur ; j'avise une maison perdue dans les arbres, j'y cours ; personne ne me voit ; je grimpe allègrement du hangar sur le toit ; enfin, je m'introduis dans le sein des familles par une cheminée où je mets en guenilles mon manteau le plus neuf qui sur mes chausses pend ! ... -pardieu ! Monsieur Salluste est un grand sacripant ! Se regardant dans une petite glace de Venise posée sur le grand coffre à tiroirs sculptés. -mon pourpoint m'a suivi dans mes malheurs. Il lutte. Il ôte son manteau et mire dans la glace son pourpoint de satin rose usé, déchiré et rapiécé ; puis il porte vivement la main à sa jambe avec un coup d'oeil vers la cheminée. Mais ma jambe a souffert diablement dans ma chute ! Il ouvre les tiroirs du coffre. Dans l'un d'entre eux il trouve un manteau de velours vert clair, brodé d'or, le manteau donné par don Salluste à Ruy Blas. Il examine le manteau et le compare au sien. -ce manteau me paraît plus décent que le mien. Il jette le manteau vert sur ses épaules et met le sien à la place dans le coffre, après l'avoir soigneusement plié ; il y ajoute son chapeau qu'il enfonce sous le manteau d'un coup de poing ; puis il referme le tiroir. Il se promène fièrement, drapé dans le beau manteau brodé d'or. C'est égal, me voilà revenu. Tout va bien.

L'acte IV se déroule dans un décor de clôture qui assimile, malgré son ameublement somptueux, cette chambre de la maison retirée de Don Salluste à une cellule de prison : des barreaux à la seule fenêtre élevée renforcent ce symbole. Chaque personnage qui pénètre dans cette pièce court à un piège mortel.

hugo

« position sociale et sa véritable identité.

L'habit seul ferait-il le personnage ? La situation dramatique représentée ici par Don César rend ses vertus multiples au personnage de bouffon qu'il incarne avec autant de verve que de brio, Un personnage original Le drame restitue son rôle au bouffon, emploi inconcevable dans la tragédie classique mais qui avait retrouvé dans ledrame shakespearien, comme dans les traditions médiévales, toute sa valeur scénique.

L'aspect bouffon de Don César éclaire mieux que tout autre la dualité du personnage.

Cette scène, par sa gestuelle, ses mimiques et le jeu des costumes, prend une tonalité carnavalesque, Don César y incarne à la fois le « gueux » et le grotesque.

Il al'impertinence du Neveu de Rameau de Diderot, la faculté d'adaptation du parasite, et Victor Hugo, qui a toujoursété attiré par le personnage du truand et du marginal haut en couleur, lui donne, par son détachement joyeux, lecaractère sympathique de ces « âmes dépareillées » qu'il évoquera dans Paroles de Maglia. Or, dans Ruy Blas, Don César possède son double antithétique autre « âme dépareillée » vouée à la noirceur que celle de Don Salluste, cousin de Don César ! L'un est l'aristocrate plein de morgue et de rancune odieuse, l'autre, Don César, est un « déclassé » non dépourvu cependant, sous ses guenilles, de noblesse chevaleresque.

N'a-t-il pas refusé un pacte indigne à l'acte I ? Son retour imprévu dans l'intrigue est perçu comme un bienfait et l'on pourrait peut-être imaginer un arrêt providentiel de l'exécution du complot qui menace la Reine. Ainsi, l'inclusion de l'épisode bouffon dans le drame, outre son intention ludique, pourrait, par la magie du théâtre, confirmer que le pire n'est pas toujours sûr.

A cet instant, les paroles de Don César peuvent être entenduesdifféremment. « C'est égal, me voilà revenu.

Tout est bien.

» Les valeurs du grotesque Le principe du mélange des genres est l'un des principes essentiels de l'esthétique du drame.

Il n'est pas l'opposé dusublime : il agit auprès de lui comme un réactif.

Sa présence authentifie le tableau en faisant vibrer les contrasteset en accusant des tonalités antithétiques.

Le vrai Don César s'introduisant par la cheminée, alors que le faux DonCésar vient de quitter la pièce par la porte, conjugue le comique avec le bouffon et teinte de grotesque lessituations respectives des deux personnages incarnant Don César.

L'effet de surprise de cette arrivée effacel'invraisemblance du fait.

Pause divertissante au début de l'acte IV, l'intrusion de Don César retarde la catastrophemême si elle ne peut sans doute plus annuler le dénouement.

Le personnage qui, par un effet qui tient dumélodrame, pourrait empêcher l'issue fatale et rétablir le triomphe des bons sur les méchants, est destiné à plaire àun public populaire que la Préface de Ruy Blas désigne à l'attention du lecteur : «La foule » qui, elle aussi, a ses exigences.

Ainsi, le résumé de sa vie aventureuse, dont l'accélération tient de la parodie, donne une colorationparticulière à ce comique (le défilé des faits communique au récit l'aspect - avant l'heure - d'un film de cape etd'épée).

Le défilé des personnages, lui, tient du Guignol.

Puis, en gros plan, Don César sera saisi comme « le rescapé» à qui une bienveillante providence réserve un manteau somptueux pour draper sa dignité retrouvée. Ce grotesque traduit bien la franche et contagieuse gaieté du personnage ainsi que la fantaisie du drame romantiquequi veut montrer, de façon spectaculaire, la totalité des aspects du monde. Cet extrait du monologue de Don César n'est pas un simple intermède gratuit : on y retrouve les intentionsprovocatrices déjà présentes dans la scène d'exposition d'Hernani et destinées à éliminer les conventions du théâtre classique en les bousculant joyeusement.

Il bouleverse aussi une certaine conception de l'existencequi, comme le vocabulaire, ne doit pas admettre de hiérarchies irréversibles : la langue de ce monologuetémoigne d'une révolution qui subvertit le discours.

Quant à Don César, il brise le carcan du sublime etprésente, avec l'intrusion du personnage du gueux travesti, une vision de la vie représentée comme uneuniverselle pantomime.. »

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