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SÇÈNES 4 ET 5 de l'Acte IV du DOM JUAN DE MOLIÈRE

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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On annonce une deuxième visite à Dom Juan qui attend toujours le souper ordonné au début de ce quatrième acte, le souper auquel il a convié la statue du Commandeur. Prévoyant l'algarade à laquelle il a droit, Dom Juan ne cache pas son irritation : « Ah! me voici bien : il me fallait cette visite pour me faire enrager.» Son état d'esprit doit se lire sur son visage, car son père, d'emblée, sans fioritures inutiles, engage les hostilités : «Je vois bien que je vous embarrasse et que vous vous passeriez fort bien de ma venue. » Le discours de Dom Louis constitue un acte implacable d'accusation. Il constate d'abord que leurs relations sont parvenues à un point de rupture : «... si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements. »
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« monstre de la nature», une exception qui confirme la règle.

On peut relier cette idée à ce que Dom Louis a dit audébut à propos d'une déception ressentie comme une sorte de punition infligée par Dieu.Ces considérations doivent être envisagées en fonction du cadre historique de la pièce et de l'évolution subie par lanoblesse, en tant que classe dominante, sous le règne de Louis XIV.

Comme les Mémoires de Saint-Simon vontamplement le démontrer, le Grand Roi, en créant la monarchie absolue a remplacé la noblesse de sang par lanoblesse de service.

Désormais le rang est accordé non en fonction de la naissance, mais par suite de la faveurroyale.

L'équilibre dont fait état Dom Louis est rompu.

Le père de Dom Juan parle comme un noble du passé.

Aumoment où la pièce est écrite et représentée, il est déjà anachronique.La noblesse n'est plus la consécration d'un mérite « naturel » mais la récompense pour un service rendu ou toutsimplement une gratification due à un caprice du Souverain.Ce changement dans le statut de la classe à laquelle appartient Dom Juan n'est pas étranger à son comportement,à son libertinage.Par sa révolte contre les lois morales, par son individualisme non conformiste, Dom Juan incarne l'état de décadencede la haute noblesse.

Le libertinage, qui est souvent le fait des nobles de haut rang à cette époque, peut êtreenvisagé sous cet angle-là, comme un phénomène historique qui exprime le déclin de l'ancienne classe dominante.Comme tout processus de ce genre, la prise de conscience du déclin accélère ce déclin.

Les nobles n'ayant plus dejustification morale et sociale vont occuper leurs loisirs en profitant de leurs privilèges pour se livrer à ladépravation.

Mais cette dépravation n'est gratuite qu'en apparence, sur le plan individuel.

Elle est socialement etpolitiquement déterminée.

Ce libertinage des moeurs est complémentaire du libertinage d'idées, puisque ces noblesvont dénigrer des principes et des croyances qui ne justifient plus leur existence, qui perdent toute leur significationet toute leur raison d'être.Le Dom Juan de Molière annonce le Valmont des Liaisons dangereuses.

qui, quelques années avant la Révolutionfrançaise, incarne l'ultime aboutissement de cette dégradation.

En cela, le conflit entre Dom Juan et Dom Louis estbien un conflit de générations, mais un conflit d'autant plus aigu, qu'a l'opposition banale entre les pères et les filss'ajoute le poids d'une mutation fondamentale dans les moeurs, dans les idées, dans les relations sociales.

Touteune société est en train de bouger, de muer.

Dans le Dom Juan de Molière, pourrait-on dire, il n'y a pas que lastatue qui bouge.

Les signes mystérieux qu'elle adresse ne proviennent pas seulement d'une improbable Providence,ils envoient dans l'avenir un terrible signal d'alarme que peu de contemporains ont sans doute compris.

Que ce signalaccompagne la chute inévitable du héros n'est qu'une confirmation de cette cohérence, de cette prévoyance.Le conflit des générationsTout en reprenant le thème du conflit entre le père et le fils qui avait été utilisé pour la première fois par Dorimondet par Villiers, Molière lui donne une tout autre portée en substituant au « fils criminel » « le fils indigne ».

Ainsi,alors que Dorimond prêtait à son Dom Juan une violence envers son père qui allait jusqu'aux coups, le Dom Juan deMolière garde le silence pendant le long sermon paternel et exprime son hostilité par une politesse glacée :«Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler.»Cette impertinence, d'autant plus mordante qu'elle se dissimule sous le couvert d'une attention exagérée, met lecomble à l'exaspération du vieillard qui éclate en imprécations et en menaces.Après le départ de son père, Dom Juan qui s'est retenu jusque-là explose à son tour :Eh! mourez le plus tôt que vous pourrez, c'est le mieux que vous puissiez faire.

Il faut que chacun ait son tour, etj'enrage de voir des pères qui vivent autant que leurs fils.»Sganarelle ne peut s'empêcher de réagir à ces mots et laisse échapper sa réprobation : «Monsieur, vous aveztort...» Mais Dom Juan déjà indisposé par les «remontrances» de son père, bondit et se montre si menaçant que levalet rentre dans sa coquille prudemment tout en maudissant à part soi sa lâcheté.La figure du père occupe dans la conception de Molière une place essentielle dans la mesure où la révolte de DomJuan, la force intransigeante de ses aspirations égoïstes devaient se heurter en tout premier lieu à ce sur-moi quiconstitue le premier barrage à éliminer sur son chemin, un chemin qu'il a voulu totalement singulier, personnel.

Sonaccomplissement passe par la destruction de cette volonté qui lui est hostile.

En avouant sa déception, Dom Louis adécrit avec nostalgie une image idéale, rêvée, de son fils qui est niée par la réalité de ce que ce fils est devenu.Réciproquement le fils s'est senti par cette projection de lui-même qui préexistait à sa naissance.Il s'agit là d'un conflit somme toute assez banal.

Mais Dom Juan ne suit pas la voie commune.

L'immensité même dudésir qu'il exprime possède une valeur symbolique et en quelque sorte archétypique et ne saurait être traduit entermes de réalisme.

Le père devient dès lors le substitut de ce Dieu dont il ne peut même pas supporter l'idée.

Ilincarne l'autorité, la loi.

Il y a une relation subtile entre le défi de l'invitation au Commandeur et la colère contre cepère qui ose venir le réprimander jusque chez lui et retarder son souper.On relèvera surtout la crudité d'un souhait qui appartient à ces non-dits que la décence réprouve, ce qui explique laréaction scandalisée de Sganarelle, le conformiste.

On ne parle pas ainsi de ses parents.Le propre de Dom Juan est de vivre spontanément et de dire cette logique naturelle, instinctive, primitive quil'amène à transgresser les lieux communs fondateurs d'une société civilisée.La relation qu'entretien Dom Juan avec son père est ambiguë parce que, d'une part, il est porté à supprimer unobstacle qui le gêne, d'autre part, il a besoin de son aide matérielle, de sa protection.

C'est pourquoi il est « naturel» qu'il souhaite une mort qui le satisferait sur tous les plans.

Il y perdrait une dépendance insupportable et ygagnerait un héritage qui lui donnerait les moyens de sa liberté.Ce dernier point assure discrètement le lien avec la scène précédente.

Le personnage du créancier représentaitl'argent nécessaire pour se procurer les plaisirs de la vie.

L'argent n'est-il pas le nerf de la guerre que Dom Juanmène contre les conventions, contre les convenances?Il a triomphé aisément du premier obstacle sur cette voie de l'absolue liberté.

Il s'est débarrassé avec beaucoupd'élégance de M.

Dimanche, le créancier.

Mais il n'a fait, là encore, que retarder l'échéance.

Il lui faudra bien payerun jour.

Il a été moins heureux avec le deuxième obstacle surgi de façon fort inopportune et l'a menacé de le priverd'un soutien précieux, dont il a le plus grand besoin pour continuer la vie de son goût et de son choix.. »

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