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Schinderhannes (1) - Apollinaire, Alcools (Rhénanes).

Publié le 24/03/2011

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Dans la forêt avec sa bande Schinderhannes s'est désarmé Le brigand près de sa brigande Hennit d'amour au joli mai Benzel (2) accroupi lit la Bible Sans voir que son chapeau pointu A plume d'aigle sert de cible A Jacob Born le mal foutu Juliette Blaesius qui rote Fait semblant d'avoir le hoquet Hannes pousse une fausse note Quand Schulz vient portant un baquet Et s'écrie en versant des larmes Baquet plein de vin parfumé Viennent aujourd'hui les gendarmes Nous aurons bu le vin de mai Allons Julia la mam'zelle Bois avec nous ce clair bouillon D'herbes et de vin de Moselle Prosit (3) Bandit en cotillon Cette brigande est bientôt soûle Et veut Hannes qui n'en veut pas

Pas d'amour maintenant ma poule Sers-nous un bon petit repas Il faut ce soir que j'assassine Ce riche juif au bord du Rhin Au clair des torches de résine La fleur de mai c'est le florin On mange alors toute la bande Pète et rit pendant le dîner Puis s'attendrit à l'allemande Avant d'aller assassiner. Apollinaire, Alcools (Rhénanes). Sans dissocier la forme et le fond, vous ferez un commentaire composé de ce texte. Vous pourrez montrer par exemple comment, par les contrastes entre musicalité des vers et images grotesques et caricaturales, s'exprime la dérision. (1) Poème publié en 1904. En Rhénanie, Apollinaire entendit de vieilles chansons allemandes qui célébraient ce brigand. Arrêté et exécuté en 1803 par les troupes d'occupation françaises, Schinderhannes devint une sorte de héros national. (2) Tous les noms propres de ce texte sont historiques et désignent des gens de la bande de Schinderhannes. (3) Prosit : subjonctif latin (« que cela vous soit favorable «) dont les Allemands accompagnent leurs toasts.

Le temps et le lieu du poème présentent aussi un côté romantique : la scène se situe en mai, moment de fête et de gaieté, qui a donné un titre à un autre poème d'Apollinaire ; les brigands mangent et boivent dans la forêt, donc dans une nature sauvage chère aux Romantiques ; le « clair bouillon d'herbe « souligne le côté naturel de leur boisson : on est loin de la pollution des villes et de la société industrielle. Le décor est remarquable par sa lumière : la scène vue « au clair des torches de résine « rappelle le clair-obscur de Rembrandt, mais aussi la vie sauvage des brigands, et transforme cette réunion en tableau un peu fantastique.     

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« gaieté, qui a donné un titre à un autre poème d'Apollinaire ; les brigands mangent et boivent dans la forêt, doncdans une nature sauvage chère aux Romantiques ; le « clair bouillon d'herbe » souligne le côté naturel de leurboisson : on est loin de la pollution des villes et de la société industrielle.

Le décor est remarquable par sa lumière :la scène vue « au clair des torches de résine » rappelle le clair-obscur de Rembrandt, mais aussi la vie sauvage desbrigands, et transforme cette réunion en tableau un peu fantastique. Enfin le rythme du poème contribue à parfaire cette impression de description sérieuse : la structure est classique,le texte est composé de huit strophes de quatre vers : ce sont des octosyllabes aux rimes régulières.

Il est plein demusicalité grâce à des assonances telles que « accroupi » — « lit », ou « lit la Bible », des répétitions telles que « lebrigand près de sa brigande », et aussi par un rythme de chanson qui ressemble à une ritournelle. Sous cette apparence romantique se manifeste une parodie grotesque, constituée par des images peu dignes etmême des grossièretés, des contrastes excessifs et des caricatures du Romantisme. Schinderhannes « hennit d'amour », ce qui le compare à un cheval, et ne valorise guère son sentiment: Benzel est «accroupi » pour lire la Bible, ce qui enlève quelque dignité à son action, le « bandit en cotillon » n'a pas l'air trèssérieux.

Les noms des brigands prêtent à sourire : « Jacob Born le mal foutu », « Juliette Blaesius qui rote », « Juliala mam'zelle » n'effraient guère le lecteur.

Ces images atteignent la grossièreté quand Juliette Blaesius se met à «roter », même si elle « fait semblant d'avoir le hoquet », quand « toute la bande pète », et que « la brigande estbientôt soûle », et se jette sur Hannes en manifestant ses désirs. Les contrastes sont assez remarquables : le « baquet » apparaît comme un contenant bien vulgaire pour apporter le« vin parfumé », on est surpris de voir que « la fleur de Mai », si poétique, est tout simplement « le florin », et labande qui « s'attendrit à l'allemande » laisse quelques doutes sur la valeur de ses sentiments.

Enfin, on a vuApollinaire placer « au bord du Rhin » des personnages plus poétiques que le « riche Juif ». Le poète semble souvent parodier le Romantisme, ou encore se parodier lui-même : le terme « la brigande » a uncôté ironique, et le fait « d'hennir d'amour » constitue une dérision par rapport au noble amour romantique.

Quandelle « veut Hannes qui n'en veut pas », l'amour est montré sous son côté le plus dérisoire, c'est le désir bafoué quitient lieu de sentiment, et l'appellation tendre de « ma poule » ne se trouve guère dans les grandes déclarationsromantiques : on est plus dans le familier vulgaire que dans la pureté des sentiments : Atala, El vire et Eva sont bienloin ! Les larmes versées ne s'appliquent pas à un désespoir, mais a la vision du « baquet plein de vin parfumé » ;l'ivresse, peinte par les Romantiques, est ici ramenée à son côté le plus bas : la brigande est « soûle », et « le clairbouillon d'herbes et de vin de Moselle » constitue une périphrase ridiculement solennelle. Tous ces éléments constituent une dérision du Romantisme, et d'Apollinaire lui-même, qui a utilisé ces mêmes imagesdans des circonstances nobles : le vin, l'amour, la beauté et le mystère de la Rhénanie. L'attitude de l'auteur apparaît déjà surréaliste avant l'heure, par son désir de choquer et de jouer, et par une formetrès moderne de la poésie. Comme Max Ernst qui place dans ses tableaux des mains qui sortent d'une chaudière, ou des oiseaux transpercésd'objets étranges, Apollinaire aime surprendre, en décrivant côte à côte des objets ou des êtres qui ne vont pasensemble.

Cette grossièreté, et la violence gratuite qui se manifeste dans la volonté d'assassiner ce vieux juif,constituent des thèmes bien connus des Surréalistes. Ils vont tuer cet homme pour le voler, mais une telle inconscience de leur crime semble exister qu'ils donnentl'impression que leur acte est parfaitement naturel : or, le bouleversement des valeurs était une grande idée dessurréalistes, et les attentats commis au nom de l'anarchisme ne les gênaient nullement.

Le désir de jouer avec saculture, de mêler des éléments et des idées disparates, de tout tourner en dérision constitue encore des attitudessurréalistes. La poésie nouvelle annonce aussi le Surréalisme : l'absence de ponctuation souligne l'absurdité de la scène, tout aumoins l'absurdité apparente, car peu de liens apparaissent entre les différentes actions : la suppression des mots deliaison laisse croire à des énormités : « On mange alors toute la bande », pourrait-on imaginer ; et la juxtapositionde l'amour refusé et du « Sers-nous un bon petit repas » met en valeur le côté fruste du personnage, et la dérisionde Fauteur.

La hiérarchie disparaît ainsi entre les faits : manger et boire sont placés sur le même plan qu'assassiner; on arrive ainsi à un effacement de la morale, et à un univers absurde : c'est le même procédé qu'emploie plus tardAlbert Camus dans l'Étranger en utilisant le style absurde pour souligner l'absurdité de la vie de son héros. Ce poème est remarquable aussi bien par la magie envoûtante de l'Allemagne que par son côté parodique, son goûtdu jeu, et son essai de Surréalisme qui reste encore compréhensible. Il rappelle les jeux de Calligrammes, les dérisions d'André Breton, surtout des peintres tels que Picasso, Max Ernst,Dali ou Miro, ou encore du cinéaste Buñuel dans le Chien andalou ou Belle de Jour.. »

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