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SHAKESPEARE — L'influence de Shakespeare sur la littérature française

Publié le 14/10/2018

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SHAKESPEARE. — L'influence de Shakespeare sur la littérature française. La position actuelle de Shakespeare en France est le résultat d’une évolution lente et complexe dans laquelle critique, traductions, représentations, production littéraire ont joué leur rôle et conjugué leurs effets.

 

Un fascinant « barbare »

 

Mort en 1616, il demeura à peu près inconnu en France pendant près de cent cinquante ans. Son œuvre fut mentionnée d’abord par l’abbé Prévost, dans les Mémoires d'un homme de qualité (1728-1731), puis par Voltaire, dans l'Essai sur la poésie épique (1733) et — avec bien plus de retentissement — dans la « Lettre sur la tragédie » (Lettres philosophiques, 1734). Dès lors, et pour un siècle environ, était fixé l’essentiel de son image, celle avant tout d’un étranger, plus ou moins barbare de surcroît, mais dont le génie « naturel » éclatait à l’occasion. Aux antipodes du « goût » classique, auquel répondaient la règle des trois unités, la séparation des genres, les normes de bienséance, Shakespeare fut, pendant tout ce temps, admiré parfois mais jamais absous et ne se trouva assimilé par notre univers culturel qu’à la fin de cette période d’intégration, lorsque, au terme d’un processus en rapport direct avec les querelles du monde littéraire, furent reconnues la validité et la spécificité de sa conception de l’œuvre théâtrale. Auparavant, on se limita à lui emprunter et à l’adapter — en fonction de la théorie classique de l’imitation — aux goûts et canons en vigueur. Voltaire, par exemple, introduisit dans ses tragédies des éléments d’origine shakespearienne pour renouveler un genre dont il déplorait le déclin et ouvrit la- voie à une multitude d’adaptations avec la Mort de César (1735), version de Julius Caesar qui suscita plus d’une réaction hostile. La démarche — qu’on a appelée de « naturalisation » — consistant à acclimater Shakespeare en France s’affirma également dans diverses traductions dues à Voltaire, à l’abbé Prévost, à l’abbé Le Blanc et témoignant chez eux d’un certain décalage — lequel devait se perpétuer jusqu’à notre époque entre audaces critiques et réalisations effectives. Il en fut de même du Théâtre anglais de La Place (1745-1746), où, pour la première fois, plusieurs pièces étaient présentées en un corpus cohérent, fait de traductions et de simples analyses, mais où étaient trahis, au profit d’une « correction » uniformisante, le naturel et la variété loués dans la préface.

 

Le « colosse gothique »

 

Dans la seconde moitié du xviiie siècle, l’anglomanie à la mode et l’évolution du goût favorisèrent ce « colosse gothique » (Diderot). On s’enthousiasma aussi bien pour Garrick, grand prêtre du culte shakespearien en Angleterre, que pour la traduction de Le Tourneur (17761782), qui, tout en s’efforçant à une exactitude accrue, révélait, en fonction d’une sensibilité nouvelle, la profondeur des caractères, l’accord entre décor et personnages, l’impact émotionnel de ce théâtre [voir Le Tourneur]. Voltaire, inquiet de voir dépassées les limites par lui assignées à l’influence shakespearienne, réagit par ses Lettres à VAcadémie (1776 et 1778) et, faisant appel à un chauvinisme dont il avait pourtant jadis souffert, défendit, face au « sauvage » qu’il déplorait d’avoir fait connaître, les classiques français, bafoués, selon lui, par les écrits de Le Tourneur. Pourtant, et bien qu’il triomphât sur le moment, une optique nouvelle s’affirma, tendant, sans cesser de censurer Shakespeare, à admettre sa différence intrinsèque. Un exemple caractéristique en est Ducis, qui illustre bien les contradictions de la période. Idolâtrant presque le grand homme mais ignorant sa lan-

gue, en rapport avec les acteurs anglais mais tributaire de La Place et de Le Tourneur, il offrit avec succès, de 1769 à 1816, à une France en pleine mutation, des adaptations répondant au principe de l’imitation et aux exigences classiques essentielles mais, tout autant, à la demande croissante d’émotions et sensations de tous ordres. Sensible à la spécificité shakespearienne, il tenta d’en donner le reflet sans heurter un publie attaché aux conventions établies, révisant ses pièces en fonction des réactions suscitées et allant jusqu’à offrir deux dénouements au choix. Homme de compromis plus que de synthèse, il contribua, servi par Talma, et malgré ses timidités et ses ambiguïtés, à faire évoluer l’attitude du public français envers Shakespeare. Outre les siennes se multiplièrent des adaptations, plus ou moins infidèles, allant du drame bourgeois à la fantaisie baroque, de l’opéra au spectacle de cirque, véhiculant parfois des éléments idéologiques et se faisant l’écho des conflits sociaux. Si aberrantes qu’elles nous paraissent souvent, elles attestent un intérêt soutenu pour Shakespeare, intérêt que confirme le nombre des créations et reprises à Paris et en province. Mais l’adhésion était loin d’être générale, et, en 1800 encore, Chateaubriand estimait que, malgré ses « talents naturels extraordinaires », cet Anglais valait pour ses seuls compatriotes et que les Français ne pouvaient pas sans « perversité » suivre ce « monstre ».

 

Le génie libérateur

 

Cependant, grâce en partie à des hommes connaissant mieux la langue anglaise, on s’acheminait vers l’acceptation totale de Shakespeare, et, en 1821, Guizot, dans la préface à sa révision de la traduction de Le Tourneur, affirma l’existence d’une « forme » propre à cet auteur, exigeant des critères de jugement particuliers. Presque en même temps, Stendhal, rompant, dans Racine et Shakespeare (1823 et 1825), avec un siècle de critique, trouvait chez lui non plus les « étincelles de génie » dont avait parlé Voltaire, mais un modèle à imiter, un antidote aux maux de notre littérature, l’exemple d’une liberté indispensable aux Modernes, la preuve qu’un théâtre rejetant les règles caduques, les interdits sclérosants était souhaitable et possible. A la même époque (1827-1829), les comédiens anglais, d’abord mal accueillis, firent triompher Shakespeare à Paris. Parmi leurs enthousiastes se trouvait Hugo, dont 1 e Cromwell, écrit alors, témoigne d’une influence shakespearienne, et qui, dans sa préface à la pièce, fait de l’auteur anglais le représentant par excellence du drame, genre supérieur, selon lui, à tous les autres. Trente-cinq ans plus tard, il écrivit, en préface à la traduction des Œuvres complètes (1859-1865) par son fils François Victor, son William Shakespeare (1865), où, à l’inverse de l’attitude qui avait jusqu’alors prévalu, il proclama ce génie admirable jusque dans ses outrances. Dans une certaine mesure, la traduction de François Victor Hugo reflète ce changement d’optique : elle se distingue par un effort intransigeant de fidélité, dont les résultats choquèrent à l’époque en révélant un Shakespeare inconnu dans sa violence, sa truculence, sa diversité déconcertante; cette fidélité, parfois embarrassée, assura jusqu’à nos jours la validité du travail de traducteur. En même temps — et depuis le premier quart de siècle -—, grâce à des adaptations plus fidèles, à des acteurs de valeur et malgré la multiplicité gratuite des décors et les réticences d’un public souvent conservateur, Shakespeare, mieux apprécié, devenait source d’inspiration pour de nombreux écrivains. La phase polémique terminée, celui que Flaubert appelait un « prodigieux bonhomme » à côté de qui « tout paraît médiocre » était désormais intégré à notre culture. La deuxième phase de sa fortune en France — celle qu’on peut appeler d’interprétation — était commencée.

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« L'éte rnel contempo ra in Les symbolistes et leu rs proches d éco uvriren t en lui Je créa teu r d'un univers où s'affron te nt des forces su rna ­ turelle s.

C'est Je cas de Maeterlinck; c'es t aussi cel u i.

de Ma ilarmé dan s ses commentaires su r Ma cbe th et sur Ham/et (1896) - le personnage d'HamJet hanta l'aute ur d' Igitu r et devint le héros de la fin du xrx• siècle, héros élu no tamment par Jules Laforgu e.

M ais c'est au xxe siè ­ cle que les changem ents le s p lus remarqu ables survin­ rent.

Pourta nt, bien des résistance s y prolongèrent celles d 'un Taine, d'un Sarcey, d'un Lemaitre, et bien des adaptations pratiquant encore ia «naturalisatio n» s'en tinrent à « notre Shakespeare » - selon le mot de Dou ­ mic -, Je seu l qu'acceptassen t une grande partie du public et une ce rtaine critiq ue.

La recherche de l'authen­ ticité n'en progressa pas moins dan s le domaine de la traduction, g râce à la fois à des universita ires aussi com ­ péten ts que Belj ame e t Le gouis et à des écriva ins comme Gide, qui reven diquait une fidélité s'appliq uant à l'esprit et n on po int à la lett re .

L 'évolution la plu s spec taculaire se prod uisit d ans Je domaine théâtral, où Shakespeare bénéf icia d'u ne co ncept ion nouvelle de la mise en scè ne d'aille u rs inspirée en par tie par lui.

L'ave ntur e c om­ mença en 1898 , lorsque Lugné-P oe, méconte nt des repré­ sentations données en France et, comme Co peau plus tard, influencé par _ le travai l déjà fait en Angl eterre, donna au c irque d'Eté un Mesure pour mes ure conçu en fonct ion de la « forme » généra le de l'œuvre, exempt d'entractes et ét ablissant entre acteurs e t spectateurs un r apport spatial nouveau.

D'autres innovateu rs, d'Antoine à B aty, en passant par G émier , Copeau , Pitoë f f, Dullin , créèrent d 'au tres mises en scène dont certaines furent des événements : celles du Roi Lear par Antoine en 1904 , de La Nuit des rois par Copeau en 19 14, du Mar chand de V enise pa r Gémier en 1917, de Richard Tl! par Dullin en 1933 ...

De telles r éalisation s visaient à retrouver le théâ­ tre des grandes époq ue s - dont la période élisabéthai ne - , consi déré comm e seul vérit ab lement popu laire et possédant le sec r et d'une unit é et d'une plénitude per­ dues.

P our y parvenir, leurs auteurs, avec des différenc es considérables dues à le ur s tempéraments propre s, adop­ tèrent les mêmes options fondamentales : so uc i d u texte, relatif · C h ez Gémier et Dullin mais imposant souvent aux autres le c hoix de versions intégrales; utilisation des élé­ ments à leur dispos ition, du jeu de l 'acteu r au décor, pour réaliser - que ce soit par le dépouilleme nt, comme Pitoëf f, ou par la profusion , comme Gémier ou Baty -l'expression plastique nécess air e de l'un ité formelle « intérieure» de la pièce d ont parle Copeau; er, en fonc­ tion de ce but, adoption de diverse s varian tes du déco r unique et réductio n ou suppression des entr actes et de toute coupure artificielle; en fin, pour réunir acteurs et public dans une expérience commune, suppre ssion des obstac les matér iels tels que la rampe et créatio n de moyens d'accè s ent re scè n e et salle.

Grâce à la révolution ai n si réalisée en moins d 'un demi -siècle, le th éâtre de Shakespea r e, débarrassé des convent ions accumulées, acquit une fraîcheur inconnu e et révé la d es di mens ions insoupçonnées.

L 'effo rt commenc é fut po ursuivi avec J ea n Vi lar, dont le R ichard Il, créé au pr emier festival d 'Avign on (1 9 47), reste lié dan s le souvenir à la fonda­ tion du T.N.P.; avec Jean-Louis Barrault, qui, dès 1945, conç ut sa mise en scène d'Antoine er Cléopâtre « comme une symphonie» et, en 1948, do nna un Ham /et résolu­ men t an tiromantique; avec la décentralisatio n théâtrale, qui proposa Shake sp ea re à un public plus large à tous égards.

Désormais divers metteurs en scè ne, profitant des expériences passées, des apports des sciences humai­ ne s, d es progr ès de la technique théâtrale, proposent « leur» Shakespeare : dans les meilleurs cas, celui-ci est, une fois de plu s, redécouv er t; d an s les pires, il es t vic- ti.me d'adap ta tion s d 'un nouveau genre, au bénéfice des théories, des idéologie s ou des fantasmes du moment.

P arallèleme nt à ·J'e ssor th éâtral, des poètes comme Pierre -Jean Jouve, Jules Su pervielle, Yve s Bonn efoy ont mis les resso ur ces neuves du langage poétique co ntem ­ p orai n au service de traductions.

Bonnefoy, récusant la recher che. »

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