Cet attachement mutuel s'entretint donc d'une estime réciproque, l'un pour les talents de la comédienne, l'autre pour le prestige de l'auteur. Il se prolongea par un badinage tel que les affectionnait Marivaux, de ces badinages qui sont plus sérieux qu'il n'y paraît. Un soir que l'auteur rendait visite à l'actrice, celle-ci l'accueillit espiègle : « C'est demain ma fête, M. de Marivaux... Vous qui vous mêlez de bel esprit, est-ce que vous ne ferez pas quelques vers pour moi ? La requête était si charmante que ce fut tout autant l'homme que le bel esprit qui y répondit, par une lettre. « Non, en vérité, mademoiselle, je m'en garderai bien ! Vous êtes un point de vue un peu trop dangereux pour moi.. « Marivaux tenta quelques vers en se pliant à la tradition du portrait : « Quand on versifie à l'honneur de quelqu'un, le jour de sa fête, on le loue, on célèbre ses bonnes qualités :
C'est d'ordinaire son portrait,
Qu'en pareille aventure on fait.
Mais à faire un portrait de l'espèce du vôtre,
Il y va, ma foi, trop du nôtre :
A mon original je ne me fierais pas!
Le moyen avec lui, que le peintre badine? Il n'offre qu'un tissu de grâces et d'appas; Et le fripon qu'il est, il a toute la mine De ne marchander pas celui qui l'examine.
Or, voyez le bel embarras
Lorsque, pour prix de mon ouvrage,
J'aurai perdu ma liberté!
Lorsqu'en vous regardant, mon coeur m'aura quitté,