Argument plus solide : depuis 1666, il est brouillé avec ses maîtres de Port-Royal 3. Nicole l'a traité d' « empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles 4 «. Racine a répondu avec méchanceté. Or, à l'époque où il compose Phèdre, il travaille à une réconciliation qui lui tient à coeur; il est de nouveau sensible à l'influence des Solitaires. La réimpression du Traité de la Comédie de Nicole en 1675 a peut-être déterminé la conception janséniste de Phèdre où l'homme, totalement livré à la tyrannie des dieux, mène une vie sans espérance, où la passion conduit à la honte et à la mort. N'insiste-t-il pas dans sa préface sur l'austère leçon que suggère la pièce : « Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même «? Et il ajoute : « (C'est) peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine. « Boileau porte l'oeuvre au Grand Arnauld 5 qui l'admire et reconnaît sa
Avec Iphigénie, il revient à Euripide et aux légendes antiques qui lui inspirèrent la Thébaïde et Andromaque. Peut-être, en évoquant la pure fille d'Agamemnon, innocente victime de l'ambition politique et de la jalousie divine, eut-il l'idée de peindre par contraste une femme sensuelle, infiniment coupable, incarnation païenne du péché. Iphigénie, Phèdre, deux panneaux d'un diptyque reflétant le déchirement du poète, écartelé entre la nostalgie de la pureté, séquelle de sa formation janséniste et de son tempérament voluptueux ?
Hypothèse plausible et séduisante. En tout cas, dès 1675, il se met à l'ouvrage. La préface de Phèdre laisse entrevoir une longue gestation, des lectures attentives, une information minutieuse, une création réalisée patiemment, avec amour. Racine parle de son oeuvre si passionnément qu'il a dû mettre en elle le meilleur de son génie. « Au reste, je n'ose encore assurer que cette pièce soit en effet (réellement) la meilleure de mes tragédies. « Par la suite, approuvé par Boileau, il la considérera comme sa réussite la plus parfaite, l'aboutissement de son système dramatique.
La critique contemporaine insiste sur l'importance des relations familiales dans le théâtre racinien, dans Phèdre notamment. Roland Barthes appelle « horde « la communauté familiale que constituent les personnages de chaque pièce 8, et montre l'importance des instincts primitifs qui la possèdent. Charles Mauron observe que Racine paraît obsédé par les rapports entre père et fils, entre mère et enfants 9. Georges May démontre que le drame éclate dans le cercle étroit d'une famille, appartenant à une lignée maudite, - qu'il tire l'essentiel de sa puissance de conflits passionnels et politiques entre gens de même sang.
