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SOCIOCRITIQUE ET SOCIOLOGIE DE LA LITTÉRATURE

Publié le 14/10/2018

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sociologie

SOCIOCRITIQUE ET SOCIOLOGIE DE LA LITTÉRATURE. Le mot sociocritique peut être lu comme une synthèse de sociologie et de critique (littéraire). Bien plus récent que sociologie, qui fut introduit dans le discours philosophique par Auguste Comte (autour de 1830), ce mot apparaît en France, dans le cadre de la « nouvelle critique », au cours des années 60. Il est analogue au mot psychocritique, plus ancien, introduit par Charles Mauron. Son usage est encore limité aux pays

francophones, où il est entré en compétition avec son quasi synonyme, qui est sociologie de la littérature. Dans les autres pays d'Europe et aux Etats-Unis, on ne rencontre que la dénomination sociologie de la littérature : sociology of literature, Literatursoziologie, sociologia della letteratura...

 

Le concept; l'histoire

 

Le concept de sociocritique/sociologie de la littérature est difficile à définir, étant donné qu’il désigne de nombreuses approches théoriques disparates qu'il est impossible de subsumer sous une définition à la fois univoque et nuancée. Essayant de définir le commun dénominateur des théories en question, on pourrait dire que la sociocritique est une tentative pour expliquer la production, la structure et le fonctionnement (la lecture, la traduction) du texte littéraire dans le contexte social, historique ei institutionnel. Elle est plus ancienne que la sociologie : après J.-J. Rousseau, qui s’interroge sur les fonctions sociales (pédagogiques) de la littérature dans l'Émile, Mme de Staël publie son ouvrage intitulé De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800). A Bonald nous devons l’idée qu’il n’existe rien dans la société qui échappe au processus de socialisation; à Tocqueville l’analyse des fonctions de la littérature dans les sociétés démocratiques; dans son œuvre capitale, !'Ancien Régime et la Révolution, il s’est étendu sur le rôle que jouèrent les hommes de lettres dans le drame révolutionnaire.

 

Beaucoup plus systématique que celle de Tocqueville est l’approche historique d’Auguste Comte, qui cherche à expliquer l’essor de l’art et de la littérature dans le cadre de sa théorie rationaliste de la sécularisation progressive des sociétés européennes. Bien avant le marxiste G. Lukâcs, il est persuadé que l’art finira par se substituer aux rites religieux et qu'une vision esthétique du monde, liée à l’épanouissement de l’industrie et des sciences, remplacera la religion.

 

Dans son ouvrage intitulé Philosophie de l'art (1865) Hippolytc Taine introduit un certain déterminisme en postulant qu’une œuvre d’art peut être expliquée par rapport au milieu social de l'auteur. Le moment, le milieu, la race auxquels appartient un auteur et qui le conditionnent, forment ensemble, selon Taine, le cadre de référence pour toute analyse sociologique (sociocritique) d’une œuvre d’art.

 

A la différence de Taine, qui oriente ses recherches vers la création, la production des œuvres, Gustave Lan-son, dont l’influence sur la critique littéraire est particulièrement importante au début du XXe siècle, met l’accent sur la lecture et sur le rôle que joue le « public » dans l’évolution littéraire.

 

Le commun dénominateur de ces approches dispara tes, qui ont le mérite d’avoir posé certains problèmes fondamentaux — problèmes que la sociocritique et la sociologie de la littérature n’ont pas encore résolus —, est leur faiblesse méthodologique. La plupart d’entre elles sont apparues avant le développement des méthodes sociologiques dialectiques et empiriques.

 

Concepts et méthodes

 

Les différentes théories qui font partie de la socio-critique/sociologic de la littérature contemporaine sont inséparables de la sociologie moderne, telle qu’elle a été développée par Karl Marx, Max Weber, Émile Durkheim et Talcott Parsons.

 

Les œuvres de ces auteurs constituent les points de départ de nombreuses approches « sociocritiques » qui se sont développées au cours des cinq dernières décennies. Ces approches sont aussi hétérogènes, aussi incom-

sociologie

« patibles que les modèles philosophiques et sociologiques à partir desquels elles se sont constituées.

Il faut insister sur le fait que les méthodes marxistes ou matérialistes, dont les auteurs s'efforcent d'expliquer la production littéraire et la lecture par rapport aux déve­ loppements matériels, socioéconomiques, auraient été inconcevables sans 1' esthétique hégélienne.

La termino­ logie et la structure discursive de cette esthétique sont aussi importantes pour les principaux courants de la sociocritique marxiste que les concepts introduits par Marx.

Parmi ces derniers, il faut compter, en premier lieu, le concept de base économique et celui, complémentaire, de superstructure.

Bien que Marx, Engels et la plupart de leurs disciples soient d'accord pour affirmer que des phénomènes culturels comme la littérature et l'art, appartenant à la superstructure, sont relativement auto­ nomes par rapport aux changements de la base, ils insis­ tent sur le fait que l'organisation économique se trouve à l'origine de tous les changements sociaux.

A supposer que cette hypothèse soit valable pour la société bourgeoise ou pour les sociétés industrielles en général, il n'est pas certain qu'elle le soit aussi dans le cas des sociétés féodales, qui ne furent pas dominées par les lois du marché.

C'est par rapport à ces lois, et notamment par rapport à la médiation par la valeur d'échange qui finit par obli­ térer les valeurs d'usage, qu'on pourrait rendre compte de toute une littérature commercialisée, parfois dite « tri­ viale ».

Dans ce cas, le refus de la commercialisation et de la valeur d'échange devient une sorte de garantie de la littérature critique ou d'avant-garde à laquelle appar­ tiennent - par exemple - les textes de Mallarmé, de Hülderlin ou de Proust.

La plupart des marxistes ne considèrent pas la littéra­ ture dans cette perspective, qui a été ouverte par le philo­ sophe allemand Th.

W.

Adorno, dont les théories, si elles utilisent une terminologie matérialiste, ne sauraient être qualifiées de marxistes.

Aux yeux des théoriciens marxistes et marxistes­ léninistes, les concepts clés de la sociocritique conti­ nuent à être la classe sociale, le reflet et 1' engagement (partijnost, Parteilichkeit).

Depuis F.

Mehring, V.I.

Lénine et G.

Plekhanov, ces théoriciens estiment que l'œuvre d'art reflète une position de classe.

Pour eux, il en découle le devoir de l'artiste de rendre la réalité d'une manière réaliste qui est celle de la classe révolution­ naire : de la bourgeoisie et, plus tard, du prolétariat.

Dans le réalisme socialiste (en U.R.S.S.

ou en Allemagne de l'Est), l'engagement de l'artiste se concrétise en expri­ mant l'idéologie« progressiste».

La définition du rapport entre l'idéologie de classe et la production littéraire a un caractère moins simpliste dans la sociocritique française contemporaine, notam­ ment chez les disciples de L.

Althusser.

Dans Pour une théorie de la production littéraire (1966), P.

Macherey montre comment la littérature démasque l'idéologie en révélant les lacunes et les contradictions de celle-ci.

Pourtant, ces idées ont été développées, bien avant Althusser et Macherey, par W.

Benjamin et surtout - on l'a vu - par Th.W.

Adorno, qui analyse en détail, dans ses Noten zur Literatur (1958-1974) et dans sa Théorie esthétique (1970; trad.

fr., 1974), les dimensions critiques de la littérature et de la musique, par lesquelles celles-ci s'opposent aux discours idéologiques.

Moins nombreux que les auteurs qui se réclament de Marx, mais aussi fertiles et stimulants, sont les représen­ tants de la sociocritique qui ont orienté leurs travaux vers la sociologie de Durkheim.

Dans les années 30 et 40, Jan Mukarovsky, membre du Cercle linguistique de Prague, développe une théorie sémiologique de l'art dans laquelle il part de l'idée que toute œuvre (littéraire) a deux aspects : a) d'une part, elle est un signe matériel polysémique, donc interprétable; b) d'autre part, elle peut être considérée comme un objet esthétique.

Dans sa définition de l'objet esthétique, Mukarovsky a recours au concept durkheimien de conscience collective: en tant qu'attribution de sens (interprétation), l'objet esthé­ tique est variable : il change avec les transformations historiques de la conscience collective.

Chaque époque attribue un sens différent à l'œuvre qui est toujours poly­ sémique; chaque société crée, en tant que collectivité (conscience collective), son propre objet esthétique, qu'elle tend à identifier avec l'œuvre tout court, en igno­ rant sa polysémie.

On pourrait faire valoir de manière critique que les objets esthétiques (les interprétations collectives) ne se succèdent pas seulement dans 1' histoire, mais qu'ils coexistent au sein d'une société donnée: celle-ci n'étant pas une totalité (une conscience) homogène, mais un ensemble contradictoire marqué par des contradictions et des conflits.

A la différence de Mukarovsky, qui se sert du concept de conscience collective pour élucider la lecture des œuvres, Jean Duvignaud utilise ce concept pour expli­ quer la production littéraire : en particulier la littérature dramatique de la Grèce antique, celle de l'époque élisa­ béthaine en Angleterre et celle du siècle d'or en Espagne.

Il montre, dans Ombres collectives.

Sociologie du théâ­ tre (1965), comment la division du travail mène à l'affai­ blissement de la conscience collective en favorisant l'anomie (dérèglement du système normatif, selon Durkheim) et comment le théâtre réagit à ces développe­ ments en privilégiant le héros marginal : le fou, le crimi­ nel ou l'individu extraordinaire, isolé.

Plus récemment, la sociologie systématique de Talcott Parsons, qui s'inspire surtout de Weber et de Durkheim, a été développée en Allemagne par Niklas Luhmann et appliquée au système des genres littéraires par Erich Kahler.

Tout en retenant l'idée qu'il existe une hiérar­ chie de systèmes et de subsystèmes dans laquelle fonc­ tionne le système des genres littéraires ( Gattungs­ system), Kahler « historise » l'approche fonctionnaliste (de Parsons et Luhmann) en introduisant la notion marxienne de lutte de classes dans 1' approche sys­ tématique.

Kahler part de l'idée que des changements dans les systèmes sociaux et économiques provoquent des transformations et des adaptations dans le système des genres: avec la disparition de la noblesse d'épée, par exemple, l'épopée féodale commence à perdre sa fonc­ tion sociale; avec le temps, elle est remplacée par la tragédie, qui acquiert une fonction dans la société abso­ lutiste.

Pour Kahler il ne saurait être question d'un reflet mécanique, donc d'un simple rapport mimétique entre fiction et réalité : aux changements sociaux le système des genres réagit en abandonnant certaines formes anciennes, pour créer des formes nouvelles -bref, en changeant de moyens d'expression.

Méthodes empiriques et méthodes dialectiques Un autre grand sociologue qui a inspiré les travaux de la sociocritique est Max Weber.

A la différence des marxistes, il pense que les structures culturelles ne sont pas seulement autonomes, mais qu'elles peuvent agir sur les structures sociales et économiques d'une société.

Weber diffère des marxistes sur un autre point essen­ tiel, en affirmant qu'il est nécessaire et possible de sépa­ rer les jugements de valeur des jugements de fait pour atteindre à l'objectivité scientifique (Wertfreiheit) et que toute démarche qui cherche à lier la théorie à une prati­ que politique quelconque (à une idéologie révolution­ naire, par exemple) est néfaste.. »

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