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SOLEIL COUCHANT - Victor Hugo, Les feuilles d'automne (commentaire)

Publié le 14/02/2011

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hugo

Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées.

Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit;

Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées;

Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit! Tous ces jours passeront; ils passeront en foule

Sur la face des mers, sur la face des monts,

Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule

Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes,

Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts

S'iront rajeunissant; le fleuve des campagnes

Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, Sans que rien manque au monde immense et radieux! Victor Hugo, Les feuilles d'automne. Vous pourrez par exemple étudier le sentiment de la mort et de la fuite du temps, l'émotion personnelle du poète et l'art avec lequel il fait partager au lecteur cette émotion.

Les feuilles d'automne datent de 1831 et constituent un recueil « des vers de la famille, du foyer domestique, de la vie privée; des vers de l'intérieur de l'âme « (Préface). C'est donc un livre intime et il serait tout à fait ridicule d'y chercher les grandes méditations politico-sociales des recueils de l'exil ou les amples fresques épiques de La légende des siècles. Poème court, sans difficulté de vocabulaire : toute votre attention doit donc se porter sur l'organisation des éléments (similitudes, oppositions, répétitions), le jeu des temps, la syntaxe en général.

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« — répétition des jours : un implicite aujourd'hui appartenant déjà au passé (« Le soleil s'est couché ce soir...

»)auquel succède un « demain » lui-même suivi de « nuits » et de « jours »; — répétition des saisons dont le cycle est illustré par la permanence du feuillage — « et les bois toujours verts » —symbole de renaissance régulière — « s'iront rajeunissant »; — répétition de la vie naturelle par l'exemple du « fleuve » qui puise « sans cesse » de quoi s'alimenter et alimenterl'océan. Par opposition, la dernière strophe présente un temps dont l'objet n'est plus la permanence mais la fin : onremarquera l'emploi de deux verbes déjà utilisés mais avec une inversion des temps syntaxiques.

Au « je passe »inexorable correspondait les deux « ils passeront » (v.

5) qui assuraient le retour et le mouvement; le « je m'en irai »résigné fait écho à la périphrase « s'iront rajeunissant » qui du double point de vue lexical et syntaxique marquaitl'espoir du renouveau. Ainsi s'opposent deux natures temporelles ou plutôt deux perceptions d'un même temps : l'humain et le cosmique. 2.

Temps cosmique et temps humain. En effet, le temps est un et identique; mais l'homme seul a conscience de la durée : si ce sont les jours qui passentaux yeux d'une nature humanisée, c'est en revanche l'homme lui-même qui passe tandis que le temps demeure.

Ainsis'explique que les jours ne fassent qu'effleurer la nature : « Sur la face des mers, sur la face des monts, Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule...

», alors qu'ils pèsent sur l'homme : « Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête...

».

Ce passage du sur au sous marque l'intériorisation dutemps par l'homme, un homme qui en humanisant la nature cherche à la rendre semblable à lui-même et doncvulnérable.

Mais cet artifice rhétorique s'avère impuissant et le poète ne peut que constater que si la nature se ride(encore est-ce ici par métaphore : les vaguelettes ou les vallées « rident » l'onde et la montagne), elle ne vieillitpas (v.

10). La réflexion sur le temps conduit donc insensiblement à une réflexion sur la vie (et donc sur la mort). 3.

La tristesse et la joie. Havre de paix, la nature révèle aussi à l'homme sa propre limite (cf.

Pascal et les deux infinis).

Mais Hugo ne choisitpas ici de développer une vaste thèse métaphysique comme il le fera dans certains de ses poèmes ultérieurs (La finde Satan, Dieu par exemple) : il se contente d'enregistrer des impressions personnelles qu'il transcrit en termessimples : « ...

des morts que nous aimons », « refroidi sous ce soleil joyeux ». Dès lors le soleil couchant (symbole par excellence du temps cyclique) devient joyeux comme pour manifester lapuissance d'une nature qui s'élargit dans le dernier vers à l'infini.

Quant à l'homme, réduit à l'état de mort en sursis(relever l'antithèse du vers 14), il ne peut même pas se contenter du souvenir : son empreinte sur la terre est nullepuisque la disparition signifie l'effacement partiel (« l'hymne confus ») ou total (« sans que rien manque au monde»). Conclusion : Un thème rebattu renouvelé par une présentation pourtant d'une banale simplicité : vocabulaire etimages appartiennent au langage et à la rhétorique traditionnels, mais ils sont ici inclus dans une réflexion où lanature se trouve être non plus un simple décor mais l'élément dynamique du poème. Un exemple d'introduction rédigée Domestiquée par le XVIIe siècle, la nature n'a retrouvé sa liberté qu'avec les Philosophes de la seconde moitié duXVIIIe siècle (Diderot, Rousseau, Bernardin) puis s'est épanouie avec les romantiques.

Ceux-ci y ont trouvé tout à lafois un refuge — « l'exil champêtre » de René — et une consolatrice : c'est au Lac que Lamartine fait part de sadouleur comme Olympio, plus tard, en ses instants de tristesse, viendra rechercher « l'ombre des jours qui ne sontplus ».

Mais en même temps la nature renvoie au poète le reflet de sa propre fragilité : « O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure! Vous que le temps épargne et qu'il peut rajeunir.

» Cette même fragilité que le jeune Hugo éprouve devant le spectacle d'un « soleil couchant » et qu'il ne parviendra àconjurer que par l'appel au « sacré souvenir ».

Mais avant d'interroger, il lui faut contempler et sentir : contempler lanature pour en mieux sentir la grandeur.

Une grandeur qui ne se fonde que sur le rapport différent de l'homme et ducosmos au temps.. »

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