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STENDHAL ET LA NAISSANCE DE L'ÉGOTISME

Publié le 23/06/2011

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stendhal

C'est un péché véniel qu'un écrivain débutant se trompe sur ses aptitudes. Henri Beyle connut cette mésaventure, mais il y persévéra quinze ans. Quel qu'en soit le sujet, c'est l'auteur, d'abord, que ses livres révèlent. Son oeuvre semble moins obéir à un souci esthétique, qu'à un souci de vérité qui atteint à l'art par surcroît. Paul Arbelet, considérant ses livres « hâtivement composés, entassés °,pêle-mêle et peu revus «, marqués au coin d'un a génie supérieur et manqué «, reconnaît en eux « ce je ne sais quoi d'inachevé et de mal mûri, cette saveur originale de fruit avorté, ce goût rare et inquiétant, celui d'un mélange trouble, mais inédit, le régal des esprits blasés et curieux «. Ils nous apportent plus encore cette leçon de franchise envers soi-même, qui est sans prix. Malhabile au vers où il voit un a cache-sottise «, Stendhal a opté pour une prose capable d'exprimer la précision des analyses et la netteté des observations. Pourquoi le doute surgit-il qu'il n'a pas réalisé ses intimes aspirations ? Le dur travail qu'il s'imposa, pour enfin se conquérir, rappelle l'effort interne d'un sapin dont le bourgeon terminal s'est trouvé détruit et qui, par une lente torsion de ses fibres, reprend péniblement son ascension. Après l'échec des tentatives théâtrales et devant les premières oeuvres publiées, on a l'impression qu'il s'est développé à contresens et à contre  coeur. C'est que sa jeunesse avait nourri deux rêves qui l'un et l'autre avortèrent : rivaliser avec Molière et rivaliser avec Cimarosa.

stendhal

« multiplie les plans, les ébauches, est une satire sur les Chateaubriand, les Genlis, les Geoffroy, les La Harpe, etc.

«et sur les chapons qui rognent les ailes du génie.

Cette pièce toute comique et sans passion sera dans le genre desFourberies de Scapin, du Cocu imaginaire, de Pourceaugnac, comique outré sous la monarchie, excellent dans unerépublique naissante ».

Evitant de trop s'éloigner d'un modèle, il met en scène « cinq ou six fois plus de caractèresqu'une comédie ne peut en montrer » et n'aboutit qu'à la platitude dans l'encombrement.

Pièce politique à l'origine,elle se transforme en comédie satirique.

L'erreur fut de rassembler sur les possibilités d'action des personnages undossier exhaustif, qui enrayait l'envol de l'imagination.

Stendhal notera en marge des Promenades dans Rome : « Cequi est indispensable pour toucher le vulgaire choque les hommes bien nés.

De là, difficulté et peut-être impossibilitédu drame en 1834, et le règne du roman.

Idée à, méditer.

Quand Dominique faisait des drames, on lui disait toujours: Cela est trop fin.

Les spectateurs n'y comprendront rien.

» Et sur un exemplaire du Rouge et Noir : « Depuis que ladémocratie a peuplé les théâtres de gens grossiers, incapables de comprendre les choses fines, je regarde le Romancomme la Comédie du XIXe siècle ».Quand l'ascétisme ne stérilise pas l'esprit, il lui donne une pointe acérée ; Stendhal romancier tirera parti de cestentatives.

L'étude de l'homme, commencée dans les livres, fut poursuivie à travers le monde et enrichie par le cultedu moi.

Cette seconde éducation entreprise en 1802 sera achevée en 1814.

Dans l'intervalle, s'il ne publie point,Henri Beyle écrit intarissablement, qu'il s'agisse de la Correspondance, des Pensées (ou Filoso fia Nova), du Journal.Telle est l'amorce de la veine autobiographique que continueront les Souvenirs d'Egotisme et la Vie de Henri Brulard.Stendhal note au jour le jour les événements de son existence et les découvertes qu'il fait dans un esprit acharné àcreuser les mêmes problèmes, et d'abord celui-ci ; comment devenir un écrivain de génie? Le spectacle des hommeset du monde, ses réactions de lecteur diversifient cet examen de lui-même.

Qu'il réunisse ses pensées pour enconstituer une Filosofia nova (1802-1803), sans toutefois les ériger en système, ou qu'il les inscrive dans sonJournal (1801-1823) et sa Correspondance, c'est toujours Henri Beyle qui en est le centre.

Il considère comme des «magasins » d'idées ces pages lucides qui donnent la plus juste idée de ses ambitions, de sa méthode de travail, desa tactique d'épicurien, de ses maladresses aussi.

Tout n'y est pas original.

Mais une maturité précoce y côtoie lahardiesse et le piquant des jugements.

Une vision de la vie s'en dégage : insoucieux de tout pittoresque, il prend surl'âme humaine telles vues suggestives qui révèlent des dons exceptionnels.

N'imagine-t-il pas, avant l'Ulysses deJames Joyce, un romancier qui enregistrerait la vie de son héros pendant vingt-quatre heures ? Nous sommesdevant ce « tourment de l'instantané » qu'on désirerait transcrire dans le temps même où on le ressent, mais quidoit passer par le truchement d'une technique qui en ralentit la transmission.

Ces réflexions venues au hasard serontdéveloppées ultérieurement.

La théorie de la « cristallisation » y est en germe, et aussi tels goûts littéraires quis'affirmeront dans Racine et Shakespeare.

Stendhal a senti ce qui convenait à sa nature : « Par instinct, ma viemorale s'est passée à considérer attentivement cinq ou six idées principales et à tâcher de voir la vérité sur elles.

»Il veut acquérir ce « pouvoir d'analyse » qui lui fera connaître « la tête » et « les passions » qu'il transposera dansquelque « ouvrage immortel »., Il ne s'attache qu'à l'homme.

Bientôt, les livres d'histoire eux-mêmes lui apparaissentcomme une « introduction à la connaissance du coeur humain ».

Les renseignements fournis par les Pensées et leJournal se recoupent et offrent de l'écrivain une vision que la Vie de Henri Brulard aura tendance à noircir.

Ondécouvre comment il a constitué par les livres sa première connaissance du monde et de l'homme.Le Journal est le « procès-verbal mathématique et inflexible » de sa manière d'être et l'énoncé pur et sévère de cequ'il croit qui a été.

Il n'y voit pourtant qu'une partie de sa conscience intime : « Ce qui en vaut le mieux, et qui aété senti aux sons de la musique de Mozart, en lisant le Tasse, en étant réveillé par un orgue des rues, en donnantle bras à sa maîtresse du moment, ne s'y trouve pas ».

Ce document désordonné est d'un intérêt d'autant plus vifqu'il est plus spontané.

La famille d'Henri Beyle n'y apparaît guère, mais bien les camarades d'études et le milieu desDaru.

L'écrivain s'y entraîne au style direct.

Un des fragments essentiels relate le voyage d'Italie de 1811.

Les pagessur la campagne d'Autriche sont saisissantes.

Sa tendance est de ne retenir « que ce qui est peinture du coeurhumain ».

Il découvre que la Révolution ne méritait peut-être pas son enthousiasme d'antan : elle a « exilé l'allegriade l'Europe pour un siècle peut-être ».

Ou bien, il confirme sa gratitude envers l'idéologie :« ...

Elle m'explique à moi-même ; et me montre ainsi ce qu'il faut fortifier, ce qu'il faut détruire dans moi-même.

» Ily a plus.

Stendhal en 1811 sent sourdre en lui une « source inépuisable de sensibilité » susceptible de « dictercinquante pages d'observations d'artiste sur le passage de montagnes en deçà d'Iselle, par exemple » ; mais ilrésiste à la tentation : « Il faut trop de paroles pour bien décrire ».

Il préférera suggérer.

Dans sa tentative pourtenir les « annales de ses désirs, de son âme », Stendhal se rend compte qu' « il est très difficile de peindre ce qui aété naturel en nous » ; « le factice, le joué » laissent un souvenir plus net.

Il voudra retrouver l'impressionimmédiate : « M'exercer à me rappeler mes sentiments naturels, voilà l'étude qui peut me donner le talent deShakespeare ».

Il souffre du divorce entre la violence ou la suavité de la sensation et une expression aride quicaractérise sa technique.

Louason lui a-t-elle dit « de la voix la plus tendre »« Adieu, à demain » Dans son impuissance à traduire son émoi, il risque ce commentaire négatif : « Voilà le squelettesans vie de l'heure la plus charmante, le plan des îles Borromées et du rivage du Lac Majeur, exactement cela.

C'estcela, et rien n'est plus loin de ce que ces îles ont été pour notre âme charmée.

Le plan nous montre tout ce quenous n'avons pas vu, ma la piaggia amena, la selva lusinghiera, doue sono ? ».

Il devra lutter contre cette carence,à la fois involontaire et volontaire.

Le miracle sera que le moins descriptif des romanciers, sans renier sa manière, aitacquis le plus efficace pouvoir de suggestion.

Ou bien, dans un raccourci saisissant, c'est son caractère qu'il juge ;peut-être, après tout, n'en a-t-il point : « J'ai l'air d'avoir du caractère parce que, par le plaisir d'éprouver denouvelles sensations, j'aime à hasarder ; mais je ne domine point en cela ma passion véritable, je ne fais qu'y céder».

Il confesse sans amour propre qu'il a trop de sensibilité pour avoir jamais le talent de séduire.

Tels sont quelques-uns des accents du Journal.

Son intérêt psychologique et biographique est considérable.Ainsi en va-t-il de la Correspondance, directe, nuancée, variée, où s'affirme, sauf exception, cette forme dépouillée.Que d'interlocuteurs et d'interlocutrices depuis le commerce épistolaire avec Pauline qu'il veut secouer de sa torpeur! Une amitié confiante, le désir, non de la pervertir — il lui conseille la bonté, la franchise, — mais de bien l'aiguillerdans la conquête de son Moi et la chasse au bonheur (qui peut comporter quelque hypocrisie pratique),. »

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