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Stendhal, Vie de Henry Brulard: commentaire

Publié le 25/12/2019

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stendhal

Enfin, je ne suis descendu du janicule que lorsque la légère brume du soir est venue m'avertir que bientôt je serais saisi par le froid subit et fort désagréable et malsain qui en ce pays suit immédiatement le coucher du soleil. Je me suis hâté de rentrer au palazzo Conti (piazza Minerva) ; j'étais harassé. J'étais en pantalon de 

blanc anglais; j'ai écrit sur la ceinture en dedans : 16 octobre 1832. Je vais avoir la cinquantaine, ainsi abrégé pour n'ètre pas compris: J. vaisa voir la 5.

 

Le soir, en rentrant assez ennuyé de la soirée de l'ambassadeur, je me suis dit : « Je devrais écrire ma vie, je saurai peut-être enfin, quand cela sera fini dans deux ou trois ans, ce que j’ai été, gai ou triste, homme d’esprit ou sot, homme de courage ou peureux, et enfin au total heureux ou malheureux, je pourrai faire lire ce manuscrit à Di Fiore.»

Cette idée me sourit. Oui, mais cette effroyable quantité de Je et de Moi! Il y a de quoi donner de l’humeur au lecteur le plus bénévole. Je et Moi, ce serait, au talent près, comme M. de Chateaubriand, ce roi des égotistes.

De je mis avec moi tu fais la récidive...

Je me dis ce vers à chaque fois que je lis une de ses pages.

On pourrait écrire, il est vrai, en se servant de la troisième personne : il fit, il dit. Oui, mais comment rendre compte des mouvements intérieurs de l’àme? c’est là-de s sus surtout que j’aimerais consulter Di Fiore.

Je ne continue que le 23 novembre 1835. La même idée d’écrire my life m’est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne; à vrai dire, je l’ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j’ai été découragé par cette effroyable difficulté des Je et des Moi, qui fera prendre l’auteur en grippe, je ne me sens pas le talent pour la tourner. A vrai dire, je ne suis rien moins que sur d’avoir quelque talent pour me faire lire. Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à écrire, voilà tout.

(Stendhal, de Henry Brulard, chap. 1, 1890.)

Le récit autobiographique s’ouvre par l’évocation d’une promenade sur le mont Janicule à Rome. Stendhal date, de cette journée, la première manifestation de son envie d’écrire sa vie.

L’«égotisme» est ici la passion de parler de soi (en latin, ego = je, moi). Stendhal se qualifiait lui-même d’égotiste, mais il désignait, par là, celui qui cultive en lui les sensations et les expériences et en fait une analyse minutieuse. En 1832, il avait commencé un récit autobiographique, Souvenirs d’égotisme, publié en 1893.

3. Stendhal transforme ici le vers de Molière: «De pas mis avec rien tu fais la récidive», Les Femmes savantes, Acte II, scène 6. Faire la «récidive», c’est dire deux fois la même chose, commettre un pléonasme.

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