SUE Marie-Joseph, dit Eugène
Publié le 14/10/2018
                            
                        
Extrait du document
SUE Marie-Joseph, dit Eugène (1804-1857). L’histoire d’Eugène Sue, c’est celle d’un grand bourgeois qui découvre la misère et dont la vie, cristallisée autour de cette prise de conscience, va peu à peu être investie par une véritable vocation. Cet événement personnel, intervenant chez un jeune écrivain au moment même où, en raison d’un prodigieux développement de la presse, la plume devient une arme aussi redoutable qu’efficace, va faire jouer à Eugène Sue, en ce début du XIXe siècle, un rôle de tout premier plan : dans la prise de conscience politique et sociale de ses contemporains aussi bien que dans l’avènement à maturité d’un genre en pleine mutation, le roman. Roi du roman-feuilleton, Eugène Sue fut le plus célèbre et le plus aimé des écrivains de son temps, au point que Balzac lui-même en fut jaloux toute sa vie. Comme Alexandre Dumas, Jules Verne... ou Lautréamont, il sera pourtant presque ignoré par la plupart de nos manuels de littérature du XIXe siècle.
Des romans mondains aux Mystères de Paris
Les romans maritimes : l’aventurier
Issu d’une très grande famille bourgeoise — Eugène a pour marraine Joséphine de Beauharnais —, il semble être prédestiné par l’héritage familial à une carrière de médecin ou de chirurgien. Il commencera bien par là, mais... dans la marine, et les premiers voyages seront pour le «Parisien en mer» l’occasion d’une constatation : il n’a aucun goût pour la carrière médicale. Il commence alors une carrière littéraire, à laquelle il ne se consacrera entièrement qu’après la mort de son père en 1830. Esthète, dandy sceptique et désabusé, le bel Eugène devient vite la coqueluche de tous les salons parisiens, même les plus fermés. Disraeli, en visite à Paris, notera dans son journal qu’Eugène Sue est le seul écrivain à ctre reçu dans le monde... Il vit dans un luxe inouï, prend pour maîtresse l’illustre Olympe Pélissier, dont le boudoir fut fréquenté des hommes les plus en vue
de son siècle, et on se plaît à lui reconnaître le flegme de Brummel et le charme de Byron... Ce « gant jaune » à la mode est disciple de Bonald, de De Maistre et de Lamennais. Heureux et « bien-pensant », il se lie avec Balzac et remporte de vifs succès littéraires. On le compare à Walter Scott, on fait de lui le Fenimore Cooper français : tout semble lui sourire. Publiée un an après Atar-Gull, roman très réussi que le Monde a donné en 1980 en feuilleton estival, la Salamandre rencontre un tel succès que Liszt songe à mettre en musique le chapitre final, qui relate l’agonie de naufragés, tandis que tout Paris s’émeut devant le cynisme de Szaffie, le héros qui, tuant les âmes, non les corps, se veut « meurtrier spiritualiste »... Dans la préface de la Vigie de Koat-Ven, Eugène Sue fustige l’action néfaste des «propagateurs de lumière », qui, « du milieu d’une oisiveté voluptueuse, spéculent sur les misères du pauvre et l’excitent à la haine et à la vengeance ». Leur jetant l'anathème, il s’écrie « Malheur à ceux-là, bien fous ou bien méchants qui, avec quelques mots vides ou retentissants, le “progrès”, les “Lumières” et la “régénération”, ont jeté, en France, en Europe, les germes d’une épouvantable anarchie! »
Tandis qu’il achève une Histoire de la marine en cinq volumes et s’étourdit dans les plaisirs mondains, Eugène Sue publie, en 1837, un roman historique, Latréaumont, dont la préface est couronnée d’une profession de foi sceptique : « Il n’existe dans ce monde rien d’absolu, rien de fixe, en mal ou en bien » et « la vertu, pas plus que le vice ne jouissent continuellement d’une ineffable félicité » (les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, constitueront une véritable réponse de la part de celui qui s’écrie [Poésies I] : « En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté indomptable et une ténacité de fer, le passé hideux de l’humanité pleurarde »).
Dans cet ouvrage, qui met en scène les « mystères » de Versailles pendant le Grand Siècle, Eugène Sue, en faisant un portrait sans complaisance de Louis XIV,
«
                                                                                                                            prend 	manifestement 	ses 	distances 	avec 	un 	milieu 	monarchiste 	qui 	va 	recevoir 	l'ouvrage 	comme 	un 	crime 	de 	lèse-majesté.
                                                            
                                                                                
                                                                    	La 	disgrâce 	des 	mondains 	coïncide, 	dans 	la 	vie 	d'Eugène 	Sue, 	avec 	une 	expérience 	nouvelle 	: celle 	de 	la 	ruine.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Il 	a dévoré 	son 	héritage, 	et 	il 	se 	retire 	en 	Sologne 	pour 	vivre 	sa 	crise 	en 	solitaire.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Les 	romans 	mondains 	: le 	scepticisme 	
Dans 	ce 	relatif 	exil, 	il rédige 	Arthur, 	le 	journal 	d'un 	inconnu 	(1838).
                                                            
                                                                                
                                                                    	La 	part 	àutobiographique 	est 	grande 	dans 	cet 	ouvrage 	marqué 	par 	le 	scepticisme.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Eugène 	Sue 	y révèle 	un 	certain 	talent 	pour 	l'analyse 	psychologique 	et 	la 	peinture 	de 	mœurs.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Il 	commence 	brillamment 	une 	carrière 	de 	feuilletoniste 	dans 	la 	Presse, 	et, 	tiré 	de 	ses 	embarras 	financiers, 	il 	se 	met 	à 	vivre 	de 	sa 	plume.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Mathilde, 	Mémoires 	d'une 	jeune 	femme 	(1840) 	forme 	avec 	Arthur 	un 	véritable 	diptyque 	: témoignage 	sur 	la 	condition 	féminine 	au 	XIX	0 siècle, 	cet 	ouvrage 	constitue 	
une 	sorte 	d'éducation 	sentimentale 	à l'usage 	des 	femmes 	de 	l'époque, 	écrit 	par 	un 	Eugène 	Sue 	sincèrement 	fémi	niste.
                                                            
                                                                                
                                                                    	L'analyse 	des 	passions 	-	l'amour, 	l'argent, 	le 	pouvoir, 	la possession-	y est 	parfois 	d'une 	remarquable 	finesse.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Baignant 	dans 	une 	atmosphère 	d'intrigues 	et 	de 	complots, 	le 	roman 	se 	situe 	dans 	la 	lignée 	des 	romans 	noirs, 	avec 	quelques 	personnages 	fortement 	typés 	: 	Lugarto 	symbolise 	le 	parvenu, 	face 	au 	mauvais 	noble, 	Gontran 	de 	Lancry, 	mis 	en 	échec 	par 	Rochegune, 	qui 	préfigure 	le 	Rodolphe 	des 	Mystères 	de 	Paris.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	feuille	ton 	remporte 	un 	énorme 	succès 	-	Dostoïevski 	aurait 	songé 	à traduire 	Mathilde 	en 	russe 	-	et 	de 	partout 	on 	écrit 	à Eugène 	Sue.
                                                            
                                                                        
                                                                    	Découvrant 	un 	nouveau 	type 	de 	rela	tion 	avec 	le 	public, 	le 	romancier 	prend 	conscience 	de 	toutes 	les 	ressources 	du 	nouveau 	mode 	de 	publication 	et 	commence 	à élaborer 	une 	technique 	dont 	il va 	devenir 	le 	maître 	incontesté.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Révélation 	et 	conversion 	
Le 	25 	mai 	1841, 	Eugène 	Sue 	assiste, 	au 	théâtre 	de 	la 	Porte-Saint-Martin, 	à la 	représentation 	d'une 	pièce 	de 	Félix 	Pyat 	:Deux 	Serruriers.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Sous 	la 	conduite 	de 	l'auteur 	son 	ami, 	il rend 	ensuite 	visite 	à un 	ouvrier 	nommé 	Fugè	res, 	qui 	les 	invite 	à venir 	manger 	chez 	lui 	un 	« bouilli 	» 	le 	lendemain.
                                                            
                                                                                
                                                                    	A 	la 	fin 	du 	repas, 	où, 	selon 	le 	mot 	de 	Félix 	Pyat, 	« ce 	délicat 	bouffa 	avec 	un 	appétit 	de 	forgeron 	», 	l'ouvrier 	parla 	de 	sa 	condition 	en 	évoquant 	Saint-Simon 	et 	Fourier 	: « Eugène, 	comme 	illuminé 	de 	rayons 	et 	d'éclairs, 	se 	leva 	et 	s'écria: 	Je 	suis 	socialiste!.
                                                            
                                                                                
                                                                    	..
                                                            
                                                                                
                                                                    » 	(F.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Pyat, 	dans 	la 	Revue 	de 	Saint-Pétersbourg, 	15 	février 	1888).
                                                            
                                                                                
                                                                    	Ce 	grand 	bourgeois 	sceptique, 	qui 	commence 	à se 	lasser 	des 	plaisirs 	acidulés-	de 	la 	vie 	mondaine, 	entrevoit 	une 	raison 	de 	vivre 	: « le 	socialisme 	lui 	apparaît 	comme 	une 	charité 	rationalisée; 	la 	possibilité, 	grâce 	à sa 	justifi	cation 	intellectuelle, 	de 	manifester 	son 	bon 	cœur 	sans 	risquer 	l'accusation 	de 	gâtisme 	ou 	de 	vulgarité, 	et 	sans 	se 	départir, 	sur 	les 	autres 	points, 	du 	scepticisme 	et 	de 	la 	désinvolture 	-	du 	dandysme», 	déclare 	Jean-Louis 	Bory.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Eugène 	Sue 	achève 	Mathilde, 	dont 	la 	seconde 	partie 	porte 	le 	témoignage 	de 	son 	évolution 	sociale, 	et 	en 	1850, 	lorsqu'il 	rééditera 	ses 	œuvres 	complètes, 	il 	déclarera, 	
avec 	l'assurance 	que 	donne 	une 	conversion 	assumée 	:.
                                                                                                                    »
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