Synthèse: La guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux

Plus que les dieux, plus que les individus, c’est la foule anonyme qui est en fin de compte la cible de Giraudoux. Et c’est là que ses idées se révèlent prophétiques, car, plus que jamais aujourd’hui, si les voies de la paix semblent si difficiles dans le monde, la faute en revient aux masses autant qu’aux dirigeants. Ce sont elles qui parfois forcent la main des chefs, crient à la trahison ou hurlent à la mort en exigeant le châtiment ou l’extermination de l’adversaire. Avec la force terrible de l’opinion, et le développement des moyens qu’elle a de s’exprimer, plus rien désormais n’arrête la violence incontrôlée et irresponsable des foules, et il arrive que les gouvernements soient obligés de tenir compte de leur susceptibilité et de leur hargne qu’alimente la presse des Démokos.

C’est pourquoi Giraudoux parle aux hommes de bonne volonté, car sa pièce est actuelle et éternelle.

Elle est d’abord une mise en garde. Oui, on a parfois l’impression, dans les guerres, que des poisons ont été préparés depuis toujours et que le diable s’en mêle, qu’il n’y a rien à faire et que le destin se rit de nous. Dangereuse et coupable illusion. La fatalité a bon dos. Ce sont les hommes encore et toujours qui sont les responsables. A eux de veiller à éviter les « incidents », à prévoir les « hasards ». A eux de mesurer leurs actes, de peser leurs mots, de ne pas céder à la passion et à la pression du nombre. Ce serait trop facile de s’incliner et de ne rien faire devant « l’inéluctable ». Il faut avoir le courage de Giraudoux, celui de braver les préjugés, de railler les conformismes, quitte à subir les affronts de l’incompréhension et de la bêtise.

Car La Guerre de Troie n’aura pas lieu est en même temps un appel et une adjuration. Puisse la raison humaine triompher de l’aveugle destin ! A cet égard le titre de la pièce nous paraît mériter mieux qu’une interprétation douloureusement ironique : il a la valeur d’un espoir.