Devoir de Philosophie

TANIZAKI JUNICHIRO

Publié le 27/06/2012

Extrait du document

Ces variations sur ce que l'on pourrait appeler l' « esthétique comparée de la femme japonaise « trouveront leur plus parfaite expression dans l'oeuvre maitresse de Tanizaki, les quatre Soeurs, le meilleur roman du demi-siècle, l'un des plus longs de la littérature japonaise de tous les temps, qui parut de 1946 à 1948, peu après la traduction en langue moderne du Roman de Genji, le plus grand roman de la littérature classique. La publication en feuilleton en avait été interrompue par la censure militaire en 1943, qui voyait une provocation dans cette histoire dont les personnages étaient totalement indifférents à l'effort de guerre et aux événements contemporains...

« amour, mais par une sorte d'envoûtement physique, ce qui, de l'avis de tous, critiques de droite ou «prolétariens», était inadmissible, mieux, inconcevable.

C'est à propos de ce roman que le terme de « masochisme » fut prononcé pour la première fois; or, le récit étant écrit à la première personne, la tentation était forte de l'appliquer à l'auteur lui-même.

Tanizaki, selon son habitude, ne fit rien pour dissiper l'équivoque.

Mieux, il renchérit, et dans les deux romans qu'il publia en 1928, Manji et Tade kuu mushi, le personnage du masochiste retint une fois de·plus l'attention de la critique, qui ne voulait point voir que l'essentiel était ailleurs.

Ainsi s'établit une légende tenace, que nous avons retrouvée dans des articles consacrés récemment à la traduction française de T ade kuu mushi.

Il est vrai que ce titre qui est un proverbe signifiant : «Tous les goûts sont dans la nature », était devenu, retraduit de l'américain, « le Goût des orties ».

Ce qui accrédita définitivement une telle interprétation, ce fut la conduite de l'auteur qui, se trouvant placé dans une situation fort proche de celle du héros, « céda », deux ans après la publi­ cation de ce roman, sa propre femme à son meilleur ami, et poussa le détachement (d'aucuns dirent : l'impudence ou le goût de la publicité) jusqu'à annoncer son divorce et le remariage de sa femme dans un faire-part signé des trois noms.

L'affaire fit d'autant plus de bruit que le partenaire était un écrivain aussi connu que Tanizaki lui-même, Satô Haruo.

La réputation que l'on avait faite à notre auteur était telle que l'accusation d'exhibition­ nisme fut admise sans discussion, au point qu'il nous est arrivé de lire récemment encore, sous la plume d'un excellent auteur, que Tanizaki avait raconté son expérience conjugale dans un roman publié « après » l'événement, alors qu'une simple vérification des dates eût fait justice de cette allégation.

En réalité, le sens du roman est tout autre : le personnage masculin (le narrateur) est un indécis qui hésite entre trois femmes ou plutôt trois types de femmes que l'on trouve pour la première fois réunies dans un même récit : la femme émancipée, à l'américaine, telle l'héroïne de l'Amour d'un idiot, celle que l'on appelait alors« modern girl », et que les conservateurs voyaient d'un œil soupçonneux; la femme japonaise classique, à la beauté discrète et effacée, faite pour l'ombre des maisons obscures; et enfin, la femme équilibrée, adaptée à son temps, mais terne et sans mystère.

Dans tous les romans qui suivront, on retrouvera désormais l'une ou l'autre de ces femmes, et le jugement de l'auteur se dégagera de plus en plus nettement : la première l'attire par son charme trouble, mais l'effraie un peu; la seconde séduit son tempérament d'esthète, mais lui inspire une certaine mélancolie à l'idée qu'elle est condamnée à disparaître inéluctablement avec tout ce qui faisait le charme d'un art de vivre séculaire; la troisième est celle que sa raison lui fait préférer, mais on sent qu'elle l'ennuie.

Ces variations sur ce que l'on pourrait appeler l' « esthétique comparée de la femme japo­ naise» trouveront leur plus parfaite expression dans l'œuvre maitresse de Tanizaki, les quatre Sœurs, le meilleur roman du demi-siècle, l'un des plus longs de la littérature japonaise de tous les temps, qui parut de 1946 à 1948, peu après la traduction en langue moderne du Roman de Genji, le plus grand roman de la littérature classique.

La publication en feuilleton en avait été interrompue par la censure militaire en 1943, qui voyait une provocation dans cette histoire dont les personnages étaient totalement indifférents à l'effort de guerre et aux événements contemporains qui n'étaient mentionnés que pour servir de repères chronologiques : l'espace de quatre ans et de quinze cents pages, les sœurs Morioka ne songent en effet qu'à trouver un époux pour la blanche Yuki (Neige), beauté classique sortie tout droit d'un roman des siècles passés; après bien des refus, elle agréera enfin les hommages d'un aristocrate de vieille souche, mais qui de plus est un artiste poli par un séjour à Paris.

Sans doute faut-il comprendre que pour apprécier à sa juste valeur la vieille esthé­ tique japonaise, il convient, de nos jours, d'être à la fois « enraciné » dans la culture nationale, et rompu aux techniques étrangères, sous peine de n'être qu'un« vieux rabâcheur» ou l'égal de ces Occidentaux partis à la recherche d'une vaine « mystique orientale ».

Cela, Tanizaki le disait d'ailleurs en toutes lettres dans ce qui pourrait bien être son véritable chef-d'œuvre, l'Éloge de l'ombre, essai publié dès 1933, dans lequel il nous livre ses réflexions sur la conception japonaise du beau.

Jamais encore pareil sujet n'avait été traité, sous une forme apparemment désinvolte, avec autant de bonheur.

C'est rendre à Tanizaki un juste hommage que de conseiller à quiconque s'intéresse aux Arts japonais, voire aux Arts tout court, de faire de cet opuscule son livre de chevet.

RENÉ SIEFFERT 521. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles