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THÉÂTRE RELIGIEUX MÉDIÉVAL

Publié le 14/10/2018

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THÉÂTRE RELIGIEUX MÉDIÉVAL. Même si quelques documents épars et peu explicites attestent l’activité de mimes entre les Grandes Invasions et la renaissance urbaine de l’âge féodal, aucune continuité historique ne rattache le théâtre de l’Europe médiévale à celui de l’Empire romain. Les plus anciennes manifestations aujourd’hui connues où des acteurs incarnent des personnages en imitant leurs gestes et en prononçant leurs paroles relèvent directement de l’expression religieuse. Le « drame liturgique », comme on l’appelle, apparaît au Xe siècle, dans certaines abbayes bénédictines : vers 965, saint Ethelwold insère dans le coutumier commun aux maisons de l’ordre en Angleterre, la Regularis concor-dia, une Visitatio Sepulchri qu’il affirme emprunter à Fleury-sur-Loire et à Gand. Cette petite pièce mime la découverte du tombeau vide par les saintes femmes le matin de Pâques; le dialogue est emprunté à un trope (excroissance textuelle et mélodique de l’office liturgique) de la messe de la Résurrection, mais la Visitatio était représentée à la fin de matines, au lever du jour. L’usage s’est répandu très rapidement dans les abbayes, les cathédrales et les collégiales de l’Europe latine entière, où il a vécu durant tout le Moyen Âge. Au prix de transformations minimes, la Visitatio Sepulchri fut adaptée à Noël (Officium pastorum, ou visite des Bergers à la Crèche), à l’Epiphanie (Officium stellae ou jeu des Rois mages), à l’Ascension. Par endroits, on ajoutait des scènes au noyau originel : achat de parfums, apparitions du Christ ressuscité à Marie-Madeleine, aux Apôtres, aux disciples d’Emmaüs (ce dernier épisode pouvant faire l’objet d’un jeu particulier le lundi de Pâques,

 

L'Officium peregrini), massacre des Innocents, procession des Prophètes, qui annoncent la naissance du Christ (Ordo Prophetarum), etc.

 

Au dire d’Ethelwold, le jeu visait à « renforcer la foi des néophytes et du vulgaire ignorant » : les abbayes accueillaient, en plus des futurs moines, de jeunes aristocrates venus y acquérir les rudiments de la culture. Est-ce à eux que s’adresse le drame, comme une catéchèse visuelle destinée à pallier le caractère de plus en plus ésotérique de la liturgie? Il répondait aussi sans doute chez les moines eux-mêmes à un besoin d’expressivité, à un goût du dialogue chanté méditatif et lyrique, à une volonté d’animer et d’actualiser l’évocation des mystères chrétiens, auxquels le trope ne donnait pas une réponse suffisante faute de faire appel au geste, à l’imitation. Or les mots imitatio, similitudo, etc., reviennent souvent dans les rubriques des jeux.

 

Cela ne signifie pas que l’église devienne un théâtre, quelques clercs des acteurs et les autres des spectateurs passifs. Le jeu s’inscrit dans un espace que la symbolique architecturale investit de valeurs diverses : chœur, nef, autels, portes, points cardinaux ont d’avance une signification; le mobilier, les objets, les vêtements se plient pareillement à un usage encore symbolique et déjà imitatif. Pour atteindre à la « similitude » des saintes femmes, trois clercs doivent porter la chape et l’encensoir (qui, respectivement, signifient pour la circonstance « vêtement de femme » et « boîte de parfums ») et s’avancer « comme s’ils cherchaient quelque chose » : l’imitation l’emporte. Le Christ de l'Ordo peregrini de Rouen est un prêtre qui marche nu-pieds, une croix à la main : le symbolisme a conservé ses droits. On se gardera donc de voir dans le drame liturgique une « hallucination sacrée » (J. Duvignaud) au sens où la communauté remonterait dans le temps pour revivre directement les mystères des origines. Les sujets privilégiés sont les théophanies paradoxales où le Dieu de l’Évangile se révèle sous l’apparence de la banalité, voire à travers l’absence. La théâtralisation ne provoque pas un court-circuit entre le fidèle et le sacré, elle ne cherche pas à créer l’illusion; entre l’événement fondateur et la communauté qui le médite et le célèbre elle interpose un système de signes moins contraignant que la liturgie, mais non transparent.

 

Le XIIe siècle apporte plusieurs innovations. La Passion du Christ entre au répertoire au Mont-Cassin, en Italie du Sud, où les influences byzantines se conjuguaient avec la nouvelle spiritualité européenne, celle qu’illustre saint Bernard, plus sensible à l’humanité concrète de Jésus et au rôle pathétique de sa mère. Deux « jeux de la Passion » figurent encore, au xme siècle, dans les Carmina burana [voir Goliards] : les milieux scolaires se sont approprié le théâtre, mais, moins liés à la liturgie que les moines, ils dramatisent une gamme plus vaste d’histoires; le Jeu de Daniel des écoliers de Beauvais, les pièces d’Hilaire, disciple d’Abélard (Résurrection de Lazare, Image de saint Nicolas), du xiie siècle, l’attestent pareillement.

« matin de Pâque s; le dia logue est emprunté à un trope (exc roissance texntelle et mélodique d e l'office liturgi­ que) de la messe de la R ésurrection, mai s la Visitat io était représentée à la fin de matines, au lever du jour.

L'usage s'est rép an du très rap idement dans les abbaye s, les cathédrales et les coUég ial es de l'Eprope latine entière, où il a vécu durant tout le Moyen Age.

Au prix de transformatio ns minimes, la Visitatio Sepulchri fut adaptée à Noël (Officium pastorum, ou visite des Bergers à la Crèche), à l'Epiphanie (Off icium stellae ou jeu des Roi s mages), à l'Ascension.

Par endroits, on ajoutait des scènes au noyau origi nel : achafde parfums , appari tions du Chris t ressuscité à Marie-Madelein e, aux Apôtres, aux discip les d'EmmaUs (ce dernier épisode pouvant faire l'objet d'un jeu particulier le lundi de Pâques, l'Ofjïc ium peregrini) , massacre des Innocent s, proce s­ sion des Proph ètes, qui annoncent la naissance du Christ (O rdo Prophetamm), etc.

A u dire d'Ethe lwold, le jeu visait à «renforcer la foi des néophytes et du vulgaire ignorant» : les abbaye s accueillaient, en plus des futurs moines, de jèunes aristo ­ cra tes venus y acquérir les rudiments de la culture.

Est -ce à eux que s'adresse le drame, comme une catéchèse visuelle desti née à pallier le caractère de plus en plus ésotérique de la liturgie? n réponda it auss i sans dout e chez les moines eux-mêmes à un besoin d'expressivité, à un goût du dialogue chanté méditatif et lyriqu e, à une volonté d'animer et d' actllal iser l'évocation des mystères chrétiens, auxquels le trope ne donnait pas une réponse suffisante faute de faire appel a u geste, à l'imitat ion.

Or les mots imitatio, similirudo, etc., reviennent souvent dans les rubriques des jeux.

Cela ne sig nifie pas que J'église devienne un théâtre, quelques clercs des acteur s et les autres des spectateurs passifs.

Le jeu s'inscrit dans un espace que la symbolique archi tectu rale investit d e va l eurs dive rses : chœur, nef, autels, portes, points cardinaux ont d'avance une signifi ­ catio n; le mobilier, les objets, les vêteme nts se plie nt pareillement à u n usa ge encore symbolique et d éjà imita ­ t if.

Pour atte ind re à la « similitude » des saintes femmes, trois c lercs doivent porter la chape et l'encensoir (qu i, re s pectivement, signifient pou r la circonstance « vête­ ment de femme >> et « boîte de parfums ») et s'avancer «comme s'ils cherchaient que lque chose» : l'imitation l'emporte.

Le Chris t de J'Ordo peregrini de Rouen est un prêtre qui marche nu-pieds, une cro ix à la main : le symbolisme a co nservé ses droit s.

On se gardera donc de voir da n s le drame liturgique une « hallucination sacrée >> (J .

Duvignaud) au sens où.

la communauté remonterait dans le temps pour revivre dir ectement les mystères des ori gines.

Les sujets privil~gié s sont .les théophanies para­ doxales où.

le Dieu de l'Eva n gile se révè le sous l'app a­ rence de la banalité, vo ire à travers l 'absence.

La théâtra­ lisation ne provoque p as un court-circuit entre le fidè le et le sacré, elle ne cherche pas à créer l'illusion ; entre l'événement fondateur et la comm unaut é qui le médite et le célèbre elle interpose un système de signes moins contraignant que la liturg ie, mais non transparent.

Le XII• siècle apporte plus ieur s in novat ions.

La Pas­ sion du Christ entre a u répertoire au Mont -Cassin, en Italie du Sud, où les influences byzan tines se conju­ guaient avec la nouvelle spiri tualit é européenne, celle qu'illustre saint Bernard, plus sensible à l'humanité concrète de Jésus et au rôle pathétique de sa mère.

Deux «jeux de la Passion » figurent encore, au xme siècle , dans les Carmina burana [voir GOLJARDS] : les milieux scolaires se so nt approprié le théâtre, mais, moins liés à la liturgie que les moines, ils dramati sent une gamme plus vaste d'histoires; le Jeu de Daniel des écoliers de Beauvais, les pièces d'Hilaire, disciple d'Abélard (R ésurrection de Lazare, Image de saint Nicolas), du xne siècle, 1' attestent pareillement.

Ces œuvres nouvelles introduisent, par places, la langue vulgaire , pour faire retentir J'émotion dan s un refrain ou dans une phrase lyrique , en particulier dans les planctus fun èbres de Notre-Dame ou des saintes femmes : au lat in la commu­ nicatio n narrative et notionnelle; à l'italien, au f rançais , à l'allemand la communion affective (c'étai t déjà le cas dans le Sponsus latin-occitan , drama tis ation de la para ­ bole des Vierges sages et des Vierges folles, qui remonte peut-êt re au XIe siècl e).

A cette époque il existait déjà un t héâtre en la n gue v ulgaire.

Le Jeu d'Adam (d'o rigine normande ou anglo ­ norma nd e) et la Seinte R esu. rreccion ang lo-normande datent de 1150-1200 , mais la technique savante du pre­ mier (changements de mètres, varia tion de s rép liques entre le récitatif et la stic hom ythie, dialectique ser rée des écha nges) laisse supposer des précédents.

L'origine et les pr emiers dévelo ppements de ce théâ tre sont d'au­ tant plu s obscurs que les textes sont mal conservés : avant 1300 ne subsistent que de rares chefs -d'œuvre; avant l'imprimerie, une seule pièce, Courtois d'Arras, est conn ue par plus d'un manuscrit complet, parce qu'elle pouvait être récitée par un jongleur; autrement , les textes , d estinés à une rep résentati on, lui survivent difficilement.

O n ne peut plus croire aujourd'h ui que le théâtre fran­ ç ais soit simplement n é du dr ame liturgi que et se soit progress ivement détaché de l'église pour rejoindre la place et le peuple.

Certes , les sujets des premières œuvres demeu rent religieux , ct Je titre donné à J'Adam dans Je manuscrit de Tours , Ordo representacio11is Ade ( « rites pour représenter Adam >> ), signale, à côté d'un caractère pleinement théâtral , une vague atmosphère litu rgique.

Cette dernière est confirmée par le cadre du Jeu : après une lectu re du premier ch apitre de la Genè se, un chœur chante sept répons des matines d e la Septuagé ­ sime tirés d u réci t de la Ch ute.

C'est au milieu de ces chants latins gue les ac t eurs jouent en français l'histoire cl' Ad am et d'Ev e, celle d'Abel et Caïn; on assiste ens uit e à une procession des Prophèt es, qui s'achève sur un ser­ mon de la Sibylle annonçant la fin du monde et le Juge­ ment dernier.

Bien des tr a its cepe nd a nt - dont certains sc retrouveront souvent sur la scène urbaine -nous éloignent du drame liturgique .

Le commencement du temps pascal invite moins à la célébratio n festive qu 'à la prédication de la Pénitence.

D e fai t, les d ialogues, qui Je cèdent, vers la fin, à une série de monologues, accordent une la r ge place au didactisme moral.

La rel ation de l'homme à Dieu est calquée sm celle du vassal à son seigneur (les équivalences lex icales omelvassalus et seignorldominus y aidaient largement), celle de la femme à son époux impli qu e la même hiérarchie : amour ct obé issa nce sont quasi syno n ymes.

A propos du sacri ­ fice d'Abel est évoquée la dîme, que Caïn refus e de payer comme ille devrait .

Le péché prive Di eu de l'obéissa nce volontaire que lui doit sa créature; le Christ incarné satis­ fait pour un débiteur devenu insolvable : ces analyses rappellent la théologie du Cur Deus Homo de saint Anselm e; mais l'action, qui embrasse toute l'histoire humaine (fah inconnu du drame liturgique, mais rendu possible par le choix d'une époque propice dans l'année litur gique), pousse cette théol ogie dans le sens d 'une nouvelle exp ression mythique.

Adam et Ève rompent leurs rela ti o ns inter humai nes en même temps qu' ils se saisissent d'un fruit réservé à Dieu , d'une part sacrée.

Abraham consent à offrir son fruit (I saac), qui pré figure le Christ, fruit du salut.

C'est le Ch rist en effet qui, sou s les noms de Salvator et de Figura, préside à tou te l'histoire.

La Sibylle annonce le re tour au chaos originel qui précé dera un nouvel ordre cosmique universel.

Blé­ ment indispensable à ce myth e, Je diable est mi s eo scène, non seuleme nt sous J'aspec t d'un be au séducte ur ou d'un serpent (mécanique) , mais comme le maître. »

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