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THÉOPHILE GAUTIER CONTES FANTASTIQUES

Publié le 13/06/2015

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tout ce qui a vécu en même temps qu'eux, il me prend des terreurs, et je me sens courir des frissons sur la peau. Que se disent-ils, puis­qu'ils ont encore des lèvres, et que leur âme, si la fantaisie lui pre­nait de revenir, trouverait leur corps dans l'état où elle l'a quitté ?

L'Égypte est vraiment un royaume sinistre, et bien peu fait pour moi, la rieuse et la folle ; tout y renferme une momie ; c'est le coeur et le noyau de toute chose. Après mille détours, c'est là que vous aboutissez ; les pyramides cachent un sarcophage. Néant et folie que tout cela. Éventrez le ciel avec de gigantesques triangles de pierre, vous n'allongerez pas votre cadavre d'un pouce. Comment se réjouir et vivre sur une terre pareille, où l'on ne respire pour parfum que l'odeur âcre du naphte et du bitume qui bout dans les chaudières des embaumeurs, où le plancher de votre chambre sonne creux parce que les corridors des hypogées et des puits mor­tuaires s'étendent jusque sous votre alcôve ? Être la reine des momies, avoir pour causer ces statues à poses roides et contraintes, c'est gai ! Encore, si pour tempérer cette tristesse j'avais quelque passion au cœur, un intérêt à la vie, si j'aimais quelqu'un ou quelque chose, si j'étais aimée ! mais je ne le suis point.

Voilà pourquoi je m'ennuie, Charmion ; avec l'amour, cette Égypte aride et renfrognée me paraîtrait plus charmante que la Grèce avec ses dieux d'ivoire, ses temples de marbre blanc, ses bois de lauriers-roses et ses fontaines d'eau vive. Je ne songerais pas à la physionomie baroque d'Anubis et aux épouvantements des villes souterraines.

Théophile Gautier, Une nuit de Cléopâtre, chap. II.

— Le Roman de la momie

[Sous la direction de Lord Evandale, une petite équipe procède à des fouilles dans la région de Thèbes].

S'avançant sur le bord du gouffre, le Grec sonda de son regard perçant comme celui d'un oiseau nocturne les murs de la petite chambre qui formait la partie supérieure du puits. Il ne vit rien que les personnages ordinaires de la psychostasie, le juge Osiris assis sur son trône, dans la pose consacrée, tenant le pedum d'une main et le fouet de l'autre, et les déesses de la Justice et de la Vérité amenant l'esprit du défunt devant le tribunal de l'Amenti.

Tout à coup il parut illuminé d'une idée subite et fit volte-face : sa vieille expérience d'entrepreneur de fouilles lui rappela un cas à peu près semblable, et d'ailleurs le désir de gagner les mille guinées du lord surexcitait ses facultés ; il prit un pic des mains d'un fellah et se mit, en rétrogradant, à heurter rudement à droite et à gauche les surfaces du rocher, au risque de marteler quelques hiéroglyphes et de casser le bec ou l'élytre d'un épervier ou d'un scarabée sacré. Le mur interrogé finit par répondre aux questions du marteau et sonna creux.

 

Une exclamation de triomphe s'échappa de la poitrine du Grec et son oeil étincela.

vous des choses que l'on ne peut redire ; — une famille d'animaux et de dieux horribles aux ailes écaillées, au bec crochu, aux griffes tranchantes, toujours prêts à vous dévorer et à vous saisir si vous franchissez le seuil du temple et si vous levez le coin du voile !—

Sur les murs, sur les colonnes, sur les plafonds, sur les planchers, sur les palais et sur les temples, dans les couloirs et les puits les plus profonds des nécropoles, jusqu'aux entrailles de la terre, où la lumière n'arrive pas, où les flambeaux s'éteignent faute d'air, et partout, et toujours, d'interminables hiéroglyphes sculptés et peints racontant en langage inintelligible des choses que l'on ne sait plus et qui appartiennent sans doute à des créations disparues ; prodi­gieux travaux enfouis, où tout un peuple s'est usé à écrire l'épi­taphe d'un roi ! Du mystère et du granit, voilà l'Égypte ; beau pays pour une jeune femme et une jeune reine !

« L'on ne voit que symboles menaçants et funèbres, des pedum, des tau, des globes allégoriques, des serpents enroulés, des balances où l'on pèse les âmes, — l'inconnu, la mort, le néant ! Pour toute végétation des stèles bariolées de caractères bizarres ; pour allées d'arbres, des avenues d'obélisques de granit ; pour sol, d'immenses pavés de granit dont chaque montagne ne peut fournir qu'une seule dalle ; pour ciel, des plafonds de granit : — l'éternité pal­pable, un amer et perpétuel sarcasme contre la fragilité et la briè­veté de la vie ! — des escaliers faits pour des enjambées de Titan, que le pied humain ne saurait franchir et qu'il faut monter avec des échelles ; des colonnes que cent bras ne pourraient entourer, des labyrinthes où l'on marcherait un an sans en trouver l'issue ! — le vertige de l'énormité, l'ivresse du gigantesque, l'effort désor­donné de l'orgueil qui veut graver à tout prix son nom sur la sur­face du monde !

Et puis, Charmion, je te le dis, j'ai une pensée qui me fait peur ; dans les autres contrées de la terre on brûle les cadavres, et leur cendre bientôt se confond avec le sol. Ici l'on dirait que les vivants n'ont d'autre occupation que de conserver les morts ; des baumes puissants les arrachent à la destruction ; ils gardent tous leur forme et leur aspect ; l'âme évaporée, la dépouille reste. Sous ce peuple il y a vingt peuples ; chaque ville a les pieds sur vingt étages de nécropoles ; chaque génération qui s'en va fait une population de momies à une cité ténébreuse : sous le père vous trouvez le grand-père et l'aïeul dans leur boîte peinte et dorée, tels qu'ils étaient pendant leur vie, et vous fouilleriez toujours que vous en trouveriez toujours !

 

Quand je songe à ces multitudes emmaillottées de bandelettes, à ces myriades de spectres desséchés qui remplissent les puits funèbres et qui sont là depuis deux mille ans, face à face, dans leur silence que rien ne vient troubler, pas même le bruit que fait en rampant le ver du sépulcre, et qu'on retrouvera intacts après deux autres mille ans, avec leurs chats, leurs crocodiles, leurs ibis,

              Sur Chéops, Chephren, etc., on consultera avec profit : Christian Jacq, L'Égypte des Grands Pharaons, Librairie Académique Perrin, 1981.

          Le pied de la momie a été trouvé chez un marchand de bric-à-brac, dont le narrateur énumère les curiosités. Pour une description beaucoup plus prolixe de ce genre de magasins, on pourra se reporter aux pre­mières pages de La Peau de chagrin, de Balzac.

Au premier coup d'oeil, les magasins lui offrirent un tableau confus, dans lequel toutes les oeuvres humaines et divines se heur­taient. Des crocodiles, des singes, des boas empaillés souriaient à des vitraux d'église, semblaient vouloir mordre des bustes, courir après des laques, ou grimper sur des lustres. Un vase de Sèvres, où Mme Jacotot avait peint Napoléon, se trouvait auprès d'un sphinx dédié à Sésostris. Le commencement du monde et les événements d'hier se mariaient avec une grotesque bonhomie. Un tourne­broche était posé sur un ostensoir, un sabre républicain sur une haquebute du moyen âge. Mme du Barry, peinte au pastel par Latour, une étoile sur la tête, nue et dans un nuage, paraissait contempler avec concupiscence une chibouque indienne, en cher­chant à deviner l'utilité des spirales qui serpentaient vers elle.

 

Les instruments de mort, poignards, pistolets curieux, armes à secret, étaient jetés pêle-mêle avec des instruments de vie, soupières en porcelaine, assiettes de Saxe, tasses diaphanes venues de Chine, salières antiques, drageoirs féodaux. Un vaisseau d'ivoire voguait à pleines voiles sur le dos d'une immobile tortue. Une machine

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