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Un Songe de SULLY PRUDHOMME (Les Épreuves) Commentaire

Publié le 12/02/2012

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sully

Un songe Le laboureur m'a dit en songe: "Fais ton pain Je ne te nourris plus: gratte la terre et sème." Le tisserand m'a dit: "Fais tes habits toi-même." Et le maçon m'a dit:" Prends la truelle en main." Et seul, abandonné de tout le genre humain Dont, je trainai partout l'implacable anathème, Quand j'implorai du ciel une pitié suprème, Je trouvais des lions debout sur mon chemin. J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle; De hardis compagnons sifflaient sur leurs échelles. Les métiers bourdonnaient, les champs étaint semés. Je connus mon bonheur, et qu'au monde où nous sommes Nul ne peut se vanter de se passer des hommes, Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés. SULLY-PRUDHOMME

Sully Prudhomme réprimait un mouvement d'impatience quand on l'appelait, verbalement ou par écrit, l'auteur du Vase brisé. On eût pu, en effet, ajouter à cette poésie délicate, le sonnet que nous allons analyser, et l'Habitude, et les Yeux, et Patrie, et Repentir, et Première solitude, et vingt autres aussi célèbres, aussi "classiques". Un Songe figure dans toutes les anthologies poétiques, dans tous les manuels de morale pratique. ll sera toujours cité, à cause de sa valeur littéraire et morale. L'auteur y renouvelle, par une ingénieuse fiction, par une composition habile, par le bonheur de l'expression, par sa science du rythme et de la rime, un lieu commun de la morale sociale : la solidarité humaine....

sully

« R nul ne pent se vanter de se passer des hommes » ; tous ont besoin des services de tous.

Que nous le vouliqns ou non, nous sommes tous solidaires, interdependants et la devise tie tout homme conscient de ce grand fait social doit etre non pas : e Chacun pour soi 2.

mais : , interdépendants et la devise de tout homme conscient de ce grand fait social doit être non pas : « Chacun pour soi ) mais : c· Chacun pour tous, et tous pour chacun.

~ · La solidarité humaine est plus qu'un fait : c~est un ·devoir: Après avoir constaté que, bon gré mal gré, «il se faut entr'aider :., l'homme doit trans­ former cette nécessité en vertu.

Sully Prudhomme veut c;~ue de ces services mutuels naisse, par voie de reconnaissance, la fraternite universelle.

C'est, dit-il, parce que nous ne pouvons nous passer des hommes que nous devons les aimer.

Point de vue: utilitaire autant que noble.

Cette solidarité, tant prônée par sa génération laicisatrice, n'est-ce point l'antique charité chrétienne démarquée qui, eUe, est essentiellement désintéressée? Elle veut que les hommes s'aiment et s'entr'aident parce qu'ils sont frères en Dieu, ont même origine et même destinée.

Le commandement du Christ : « Aimez­ vous les uns les autres :.

, a pour corollaire : c Aidez-vous les uns les au­ tres :.

, même s'il Re vous en revient rien.

On a voulu fonder une morale sur ee principe de la solidarité (Bour­ geois-Fayot).

Les chercheurs de systèmes ont chevauché quelque temps ce dada.

Il s'est mué, avec M.

Durkheim, en une morale « soctologique ) , aussi déficiente que celle de la solidarité.

Ni l'instinct, ni le ealcul ne peuvent créer l'obligation; il y fànt un motif d'ordre absolu et de valeur impérative.

La charité précise et étend la solidarité; elle 1•informe et lui donne une âme.

• La fiction dans laquelle Sully P;tidhomme enveloppe sa doctrine est ingénieuse et dramatique.

Il imagine un songe, tout à fait à la manière classique, c'est-à-dire se rapprochant le plus possible de la réalité, noQS laissant une impression de vraisemblance.

L'indécision, hl bizarrerie, l'incohérence des images nous rappellent nos propres rêves.

Parnassien évadé de la poésie impersonnelle, l'auteur se met hardiment en scène.

Simple procédé- ...

Non, étant donné son habituelle sincérité, il est permis de croire que c'est là une confi­ dence.

Un intérêt spécial s'attache, de ce fait, au songe du poète.

Replié sur lui-même, ami de la « vie intérieure>, soucieux de remplir tons ses devoirs d'homme, il dut un jour s'examiner et se poser cette question : « N'ai-je ~oint, dans mon orgueil intellectuel, me livrant aux spéculations philosophiques, dédaigné tous ces humbles ouvriers sans lesquels ma vie serait impossible?:.

Ce sonnet répond à la question; c'est une amende honorable aux travailleurs manuels, représentés par les trois plus indis­ pensables : le laboureur., le tisserand, le maçon.

Le «moi:.

de l'auteur, loin de nous irriter ou de nous faire sourire, comme il arrive à d'autres, nous plaît en cette .attitude modeste et fraternelle.

La bonne idée, nous disons-nous, d'être intervenu en personne, de nous avoir conté ce songe vraïou supposé! .

· Et cette ingénieuse fiction se présente sous une forme dramatique.

Elle com:I;JOrte quatre penonnages, une action complète, avec exposition, nœud et denouement.

Le caraetêre du laboureur est esquissé.

Il s'exprime avec rudesse et âpreté, réalisme et simplicité.

Les paroles des deux autres tra­ vailleurs trahissent aussi le mécontentement, le mépris, la vengeance...

Il semble que tous les dédains passés ont accumulé dans leur âme cette colère plébéienne qui éclate maintenant en cris de révolte contre l'ordre établi.

On ne peut refuser avec plus de vigoureuse insolence...

Non moins émou­ vant est l'abandon du penseur qui n'a point su apprécier les services d'au­ trui.

Le voilà complètement isolé.

livré à ses propres ressources, incapable de se suffire à lui-même.

Une malédiction terrible pèse sur lui; le ciel reste sourd à sa prière; la terre, transformée .

en un vaste désert, s'est peuplée de lions menaçants.

Détails éminemment dramatiques.

.

Puis vient le coup de théâtre: «les yeux qui s'ouvrent:..

Le dormeur effaré se· retrouve subitement dans le monde réel où ceux qui t-out à l'heure l'ont si impitoyablement repoussé travaillent pour ltù: tableau plein de vie de l'activité llumaine, de la solidarité en action.

Et comme dans un · drame les réconciliations et les embrassades du dénouement font oublier -les horreurs des actes précédents, l'attendrissement du dernier tercet nous émeut doucement; nous sommes passés de la terreur à œtte « pitié char­ mante, que cultivait J"ean Racine.. »

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