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Le Temps perdu de SULLY PRUDHOMME (commentaire)

Publié le 12/02/2012

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Le temps perdu

 

Si peu d'oeuvres pour tant de fatigue et d'ennui !

De stériles soucis notre journée est pleine :

Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine,

Nous pousse, nous dévore, et l'heure utile a fui...

 

"Demain ! J'irai demain voir ce pauvre chez lui,

"Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine,

"Demain je te dirai, mon âme, où je te mène,

"Demain je serai juste et fort... pas aujourd'hui."

 

Aujourd'hui, que de soins, de pas et de visites !

Oh ! L'implacable essaim des devoirs parasites

Qui pullulent autour de nos tasses de thé !

 

Ainsi chôment le coeur, la pensée et le livre,

Et, pendant qu'on se tue à différer de vivre,

Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.

Introduction. - Epris d'un haut idéal, hanté par le problème de nos origines et de notre destinée, rêvant d'instaurer sur la terre le règne de la Justice et du Bonheur, le noble poète gémit de voir tant de vies humaines gaspillées en de vains amusements. Dans ce sonnet que n'eût point désavoué Pascal, contempteur du divertissement, Sully Prudhomme, son disciple, condamne la vie mondaine : trépidante, frivole et stérile, et exhorte à l.avi.e intérieure : active, sérieuse et féconde...

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« Queue oeuvre meritoire pour nous, utile aux autres, est sortie jusqu'alors des « soins », des « pas », des « visites » qui remplissent nos journees? Le resultat le plus clair de cette agitation, n'est-ce pas la « fatigue » et 1' e en- nui » ? Nous nous tuons en pure perte; nous alienons cette richesse incom- parable : notre liberte, au profit du neant.

Est-ce la vivre?...

Oh! nous ne sommes pas mechants, nous ne sommes pas- paresseux; nous avons de ver- tueuses velleites d'etre charitables, de courageux projets de culture intellec- tuelle et morale...

Helas! l'enfer est pave de bonnes intentions; nos chateaux en Espagne n'abritent que des roves inconsistants; un million de « je vou- drais » ne font pas un « je veux » !...

Chaque jour, nous nous repetons « A demain les affaires serieuses.

» Pourquoi pas : « a aujourd'hui »? Ayons done, des le jour present, la ferme volonte de nous arracher a cette vie factice qui nous devore et nous tue.

Commencons, sur-le-champ, a vivre, a etre enfin des hommes.

Sans plus tarder, achevons la lecture de ce livre serieux a peine decoupe, cultivons notre esprit; recherchons, dans la medi- tation, le sens de la vie, l'usage sense de nos facultes; exercons-nous a la pratique de ces males vertus : la justice et la force; puis, quand nous aurons travaille a notre propre perfection, songeons au bonheur de nos freres les hommes.

Voila un digne emploi de notre temps et de nos capacites : lA est le vrai devoir »; c'est cela vivre.

N'attendons pas a demain pour com- mencer.

» Ainsi nous parle Sully Prudhomme dans ce sonnet, pour peu que nous sachions lire entre les lignes. C'est un lieu commun vieux comme le monde que ce proverbe : « Ne remets pas a demain ce que to peux faire le jour meme.

» Quel parti a su en tirer ici le poke : comme it l'enrichit! Du vague « ce que », qui dit tout et ne dit rien, qui convient autant au vice qu'A la vertu, il fait une serie de realites vivantes.

Son esprit mathematique, avide de precision, illustre de nette facon le vieux dicton incolore.

D'un conseil banal il tire une doc- trine elevee; it mue un conseil abstrait en un petit drame.

Examinons atten- tivement les procedes dont il use pour renouveler et enrichir l'idee, la lecon que nous venons de &gager.

Le premier quatrain renferme une constatation attristante.

L'homme du monde, extenue par de « steriles soucis », qui le harcelent sans pitie, qui devorent ses journees, s'apercoit du vide, de Pinutilite de sa vie surmenee.

Le deuxieme quatrain rappelle tout ce qu'il a differe d'accomplir pour satisfaire aux exigences tyranniques d'un certain monde.

L'enumeration suit un ordre logique c'est a juste titre que le bon poke place en tete la visite du pauvre a domicile.

L'oubli de la misere d'autrui n'est-elle pas le crime principal de ceux qui ne vivent que pour s'amuser et parader? n'est-ce pas l'une des causes de la revolte qui gronde dans les classes popu- laires? La culture intellectuelle ne vient qu'apres.

La vie interieure, la pra- tique des males vertus est subordonnee a l'action charitable.

Il faut partir non du concret, non de l'abstrait, quand on aspire a une vie haute et fe- conde; d'autre part, l'action doit s'appuyer sur la reflexion et la lutte contre Pegoisme natif. Le premier tercet est une replique toute naturelle an deuxieme quatrain. Il est consacre a « aujourd'hui », qui s'oppose a « demain ».

C'est l'examen de conscience, apres une journee sacrifice au monde : soins, pas, visites, devoirs parasites; c'est le souvenir humiliant des papotages creux du « five- o'clock tea », symbole des fausses obligations mondaines. Le deuxieme tercet ramasse en un vers synthetique toute cette analyse et conclut en termes particulierement energiques, afin de frapper les « mon- damns », a qui le sonnet est dedie.

Cette mise en oeuvre de la matiere satisfait a la fois aux exigences de notre raison qui aime la pensee claire et ordonnee, et aux lois de l'art qui vent Punite dans la variete. Ce developpement sobre et riche se revet d'une langue exacte, opulente, harmonieuse; d'images justes et expressives; de rythmes qui parlent en meme temps a l'oreille et- a l'intelligence. Pas un mot, dans ces vers, qui ressemble a une chenille; chacun possede une plenitude singuliere et &eine une idee, parfois une plkade d'idees.

Its « Quelle œuvre méritoire pour nous, utile aux autres, est.

sortie jus. »

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