Devoir de Philosophie

UNE MAXIME DE LA ROCHEFOUCAULD. La fausse humilité.

Publié le 03/07/2011

Extrait du document

rochefoucauld

Faites sur la maxime suivante de La Rochefoucauld les observations que vous jugerez nécessaires :

L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission, que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde; c'est un mouvement de l'orgueil par lequel il s'abaisse devant les hommes, pour s'élever sur eux ; c'est un déguisement et son premier stratagème ; mais quoique ses changements soient presque infinis, et qu'il soit admirable sous toutes sortes de figures, il faut avouer néanmoins qu'il n'est jamais si rare ni si extraordinaire que lorsqu'il se cache sous la forme et sous l'habit de l'humilité; car alors on le voit les yeux baissés, dans une contenance modeste et reposée ; toutes ses paroles sont douces et respectueuses, pleines d'estime pour les autres et de dédain pour lui-même : si on l'en veut croire, il est indigne de tous les honneurs, il n'est capable d'aucun emploi ; il ne reçoit les charges où on l'élève que comme un effet de la bonté des hommes et de la faveur aveugle de la fortune. C'est l'orgueil qui joue tous ces personnages, que l'on prend pour l'humilité. Tel est le texte de l'édition de 1665. Mais dans l'édition de 1668, la dernière qui ait paru du vivant de l'auteur, cette maxime a été transformée comme il suit : L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres ; c'est un artifice de l'orgueil qui s'abaisse pour s'élever ; et bien qu'il se transforme en mille manières, il n'est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que lorsqu'il se cache sous la figure de l'humilité.

rochefoucauld

« plus il se dissimule sous une vertu, et plus il y a d'habileté à le découvrir.

Une société composée d'hommesuniquement guidés par des instincts égoïstes ne peut se soutenir qu'au moyen de duperies réciproques.

La duperieest la plus forte là où un vice passe exactement pour la vertu contraire : c'est le cas de l'orgueil se donnant pourl'humilité.

Cette fois, il fallait mettre en œuvre des qualités d'observation fines, subtiles, et des qualités de styleminutieuses, délicates.

La Rochefoucauld n'y a pas manqué. II Il va résumer, en quelques lignes, ce que l'expérience de la vie lui a montré.

Mais il va le faire en mondain qui afréquenté ces salons du 17e siècle, où la grande affaire était d'étudier l'âme humaine, et de formuler le résultat deces recherches en définitions et en portraits, précis ou ingénieux.

Le plan, en effet, apparaît comme il suit :1° L'humilité n'est souvent qu'une hypocrisie de l'orgueil.2° De toutes les transformations de l'orgueil, elle est la plus étonnante.

Démonstration :a) portrait extérieur de l'orgueil déguisé ;b) le ton général de ses discours à l'égard des autres, et de lui-même;c) comment il se jugeil n'a aucun méritetous ses avantages, il ne les doit pas à lui-même.3° (N'en croyons rien), c'est l'orgueil qui se dissimule.La définition est reprise trois fois.

En somme, la gageure se présentait à peu près ainsi dans le salon de Mme deSablé : « L'humilité est un orgueil ».

Il s'agit de rendre cette proposition acceptable.

Avant tout, il est bon demontrer pourquoi l'humilité se masque sous la soumission.

Quel est son intérêt? Voilà le procédé constant desMaximes.

Quand nous nous mettons en apparence au-dessous des autres, n'est- ce pas afin de nous mettre enréalité au-dessus d'eux? Bans doute, car nous endormons leur défiance, car nous leur persuadons que nous nesommes pas orgueilleux et par suite pas ambitieux, pas dangereux pour leur égoïsme.

C'est déjà une premièresupériorité de les prendre pour dupes ; ce sera notre vraie supériorité de les vaincre dans la course aux honneurs, àla fortune, etc...

La première phrase opposera donc l'apparence à la réalité : l'antithèse est marquée à la fois par cerapprochement soumission et soumettre et par un contraste : feinte, effectivement (dans la réalité) ; le verbe :employons, indique le procédé, l'utilisation en vue d'une fin ; tout le monde, montre le vaste appétit de cette feintehumilité.

En ajoutant: souvent, La Rochefoucauld a pleinement atteint le but : cette atténuation enlève à ladéfinition l'air d'un paradoxe, la gageure est gagnée.Avançons encore.

Cette soumission est feinte par qui? Par l'orgueil, ou, si l'on veut, par l'amour-propre.

C'est lui,c'est l'orgueil que La Rochefoucauld a poursuivi avec ténacité dans toutes ses retraites les plus obscures, et qu'ildénonce encore une fois ; c'est lui qui, personnifié, va devenir le sujet de toutes les phrases qui suivent.

Laseconde définition reprend l'antithèse : s'abaisse, s'élever, devant les hommes, sur eux (non pas : au-dessus d'eux,mais sur leurs propres têtes).

J'expliquerai donc : un mouvement de l'orgueil, par: une impulsion excitée dansl'homme par l'orgueil.La troisième définition apporte de nouvelles clartés.

Cette expression : un mouvement de l'orgueil, a besoin d'êtreprécisée, c'est un déguisement (nous voici en face des choses concrètes), et son premier stratagème sa premièreruse de guerre (sens militaire), l'amour-propre de l'homme étant en lutte perpétuelle contre l'amour-propre de sesvoisins.

Son premier, car l'orgueil en a une foule d'autres, mais c'est sur celui-là qu'il compte le plus (premier = quivaut mieux que les autres).Phrases courtes, si on les compare à celle qui suit; formules qui définissent vite et bien.

La première pose nettementle sujet (4 + 10) + (5 +11).

La seconde est plus martelée, et l'ironie est soulignée par les coupés : 8 + 11 + 6.

Latroisième par son rythme légèrement ascendant nous achemine (6 + 7) vers la période.

.L'idée contenue dans : son premier est reprise par : mais, et la phrase se déroule jusqu'au mot : humilité, termeimportant que nous trouvons au début, au milieu, à la fin de la maxime : cette idée de la souplesse hypocrite del'orgueil et de l'amour- propre, La Rochefoucauld l'a souvent exprimée; elle se complète à présent par cette autreidée que 'cette souplesse est la plus hypocrite, quand l'orgueil se masque sous son contraire.

Mais ce n'est pas surla fausseté de l'orgueil qu'il insiste ; c'est sur son habileté.

En un mot, la pensée prend le tour ironique.

Dilettantismed'un esprit distingué, curieux, qui se plaît à suivre les changements du comédien le plus habile ? Oui, et encorepersiflage de l'honnête homme, qui ne se pique de rien mais qui ne veut pas passer pour dupe, et qui punit, en laraillant, cette prétention de le tromper par des simagrées.

Et enfin, joie profonde de démasquer une fois encore cequi entrait d'égoïsme et de mensonge dans toutes les formes d'humilité qu'il a rencontrées autour de lui.Car il y a une insistance telle dans cette ironie que nous y sentons un accent personnel : presque infinis, admirable(avec le double sens : qui excite l'étonnement et l'admiration) toutescomme il est sans doute que le Protée des fables n'a jamais été, il en est un véritable dans la nature, car il prendtoutes les formes, comme il lui plaît ; mais, quoiqu'il soit merveilleux et agréable à voir sur toutes ses figures et danstoutes ses industries, il faut avouer pourtant qu'il n'est jamais si rare ni si plaisant que lorsqu'on le voit sous la formeet sous l'habit de l'humilité...

» Le manuscrit de 1663, l'édition de 1664 introduisent encore des variantes; Protée nedisparaît qu'avec l'édition de 1665.sortes de figures, autant de mots, d'expressions, qui sont des railleries.

Il faut avouer est une nouvelle ironie :l'aveu est arraché de force par le spectacle de cette suprême dextérité.

Rare — au-dessus du commun, excellent;extraordinaire = au delà de l'ordre, au delà de la vraisemblance; l'ironie est plus fortement appuyée, puisqu'on ditcouramment : « Vous êtes un homme rare, un homme extraordinaire », en guise de plaisanterie.

Voyez mêmel'intention railleuse dans ce verbe : il se cache (pas assez pour échapper à l'œil de La Rochefoucauld), et enfin dansles mots : sous la forme (sous l'aspect extérieur, par opposition au fond même, à la réalité), et sous l'habit (l'image. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles