Devoir de Philosophie

VERS ET VERSIFICATION.

Publié le 12/11/2018

Extrait du document

Au xixe siècle, Hugo a conservé les couples de rimes plates (constitution de quatrains par alternance de rimes masculine et féminine), mais sans respecter strictement la règle de concordance entre mètre et syntaxe; à la pratique de l’enjambement s’ajoute parfois l’introduction de mots non marqués à la césure; moyens de dislocation de l’alexandrin — du vers —, qui seront constamment utilisés. Néanmoins, Hugo conserve, au moins virtuellement, deux segments à six positions :

 

Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,

 

Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.

 

{Contemplations, I, vu)

 

Dans ses trimètres même, la position 6 n’apparaît pas à l’intérieur d’un mot :

 

L'enfant pleure, l'enfant a faim, l'enfant est nu.

 

Dans le même temps, l’alexandrin n’est plus le vers par excellence des genres nobles, mais est utilisé dans le drame, la poésie « familière » (l’entretien); et tous les mètres sont remis en usage : Lamartine, par exemple, dans les Méditations poétiques, utilise concurremment alexandrin et octosyllabe et mêle les différents mètres.

 

Les mises en cause les plus radicales de la norme classique interviennent dans la seconde moitié du XIXe siècle; encore ne doit-on pas considérer qu’il a existé un mouvement uniforme. Leconte de Lisle a maintenu un vers de type classique — en même temps qu’il traduisait les tragiques grecs; mais aussi J.-M. de Heredia, E. des Essarts... Les écarts, chez Rimbaud et Mallarmé par exemple, portent essentiellement sur la césure; la 6e syllabe peut être plus faible que la 5e ou la 7e (ce qu’on relève aussi dans Baudelaire) :

 

Toi qui te meurs, toi qui brûles de chasteté

 

(Mallarmé, Hérodiade}

 

Il s'immobilise au songe froid de mépris

 

(Mallarmé, « le Vierge, le Vivace et le Bel Aujourd'hui »)

 

En plaçant à la césure un e (muet ou non), en plaçant la césure à l’intérieur d’un mot, Rimbaud brise le schéma 6/6; le déséquilibre des groupes par l’introduction de frontières syntaxiques fortes à l’intérieur du vers (: ou !) éloigne de la versification codifiée de l’âge classique :

 

Républiques de ce monde! Des empereurs.

 

Des régiments, des colons, des peuples, assez!

 

(Rimbaud, « Paris se repeuple »)

 

Autre remarque : la rime, pour les poètes, était un des éléments, et des plus importants, de l’existence du vers, alexandrin ou non (Hugo, Musset, mais aussi les Parnassiens utilisent abondamment le décasyllabe et l’octosyllabe). Un Verlaine, sans l’abandonner, s’en préoccupe peu et publie des pièces à simples assonances et des pièces sans rimes — pratique qui conduit au vers libre. L’importance du désordre ainsi introduit n’échappe pas à Verhaeren :

 

Les romantiques, et après eux les Parnassiens, disaient que les vers français n'existaient que par la rime, que c'était l'élément essentiel; que, puisque les poèmes n'étaient point nombrés et ne se composaient point, comme les vers latins, de longues et de brèves, la rime différenciait quasi seule les vers de la prose. Donc, nécessité de la rime riche.

 

Verlaine attaquait ainsi ce qui semblait en son temps essentiel au vers, ce qui le constituait, ce qui en « était la moelle » (février 1896, dans Impressions).

 

Les écarts par rapport à des règles majoritairement suivies au xixe siècle visent à ne plus privilégier la 6e syllabe comme temps fort rythmique, à dissocier la mesure et la syntaxe du vers. La disparition de la rime et les diverses variétés de vers libre qui s’ensuivent consacrent la rupture d’avec le schéma classique (disparition des contraintes de segmentation, de rime, de nombre), ce que marque Claudel de façon polémique :

[...] la technique alexandrine en gâtant et durcissant la sensibilité de l'artiste, en disciplinant l'oreille, qui ne laisse plus passer que les rythmes primaires et les sonorités homophones, a laissé dormir dans les profondeurs du français tout un trésor de délectation que le prosateur de son côté occupé à d'autres recherches et entraîné par le cours uniforme de l'écriture n'a pas su méthodiquement utiliser. L'obligation de rimer et de rimer bien [...] ne permet jamais à la phrase de déboucher par l'estuaire splendide d'une syllabe sans paire. C'est pourquoi notre vers classique, malgré ses mérites que j'honore, garde toujours quelque chose de grisâtre et de poussiéreux [...]

 

{Réflexions et propositions sur le vers français, 1925)

 

Les renouvellements de la technique du vers ne tiennent ni au choix personnel de tel ou tel poète, ni à une sorte d’épuisement des possibilités du vers de type classique, devenu monotone, pauvre de rythme après deux siècles d’usage; Valéry, choisissant le décasyllabe pour « le Cimetière marin » tout en maintenant les règles du xvne siècle, prouve la vigueur du mètre. Exemple parmi d’autres. Les modifications, tout au long du xixc siècle, sont dues à divers facteurs plus ou moins convergents et intervenant à différents moments. Nous avons indiqué l’extension de l’alexandrin à tous les genres ou peu s’en faut, la reprise large des différents types de mètres dont le rythme n’obeit pas toujours à des règles intangibles : par exemple, la césure du décasyllabe, le partage en deux segments inégaux (4-6 ou 6-4; plus anciennement, 5-5, rythme repris aussi au xixe siècle).

 

Ces reprises — et ces mélanges — coïncident dans la première moitié du xixe siècle avec la re-connaissance du Moyen Age et de la Renaissance; on recourt à l’exotisme de la distance temporelle pour les thèmes; on emprunte aussi les types de vers utilisés alors : point détaillé par Sainte-Beuve dans son Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828) :

 

Cet alexandrin primitif, à la césure variable, au libre enjambement, à la rime riche, qui fut d'habitude celui de Du Bellay, de Ronsard, de D'Aubigné, de Régnier, celui de Molière dans ses comédies en vers et de Racine en ses Plaideurs, que Malherbe et Boileau eurent le tort de mal comprendre et de toujours combattre, qu'André Chénier, à la fin du dernier siècle, recréa avec une incroyable audace et un bonheur inouï; cet alexandrin est le même que la jeune école de poésie affectionne et cultive,z et que tout récemment Victor Hugo par son Cromwell, Émile Deschamps et Alfred de Vigny par leur traduction en vers de Roméo et Juliette ont visé à réintroduire dans le style dramatique.

 

L’espace aussi s’ouvre; si l’enseignement a maintenu — et pour longtemps — les modèles grec et latin, ou leur équivalent français — les classiques (xviie et xvnie siècle) —, il n’empêche que les littératures allemande, anglaise, italienne sont lues, que d’autres métriques ainsi sont éprouvées. Mouvements de découverte qui modifient la relation de l’écriture et du genre : le poème en prose est, en partie, lié au genre fantastique anglo-saxon. Tout au long du xixe siècle, plus fortement dans la seconde moitié, s’ajoutent à ces éléments des modifications dans les principes d’apprentissage de la langue; les ruptures se multiplient en même temps que l’importance de la rhétorique décroît — tous changements dont on perçoit les traces dans les Arts poétiques foisonnants; la réflexion sur l’écriture discute de plus en plus la relation entre « vers » et « poésie » (apparition du poème en prose, puis de la strophe en prose versifiée, de la prose poétique, du verset, etc.), entre type de vers et genre.

 

LE VERS LIBRE ET LA LIBÉRATION DU VERS

 

La libération du vers

 

Le renouveau de la poésie versifiée au début du xixe siècle est contemporain, on l’a souvent écrit, de profondes mutations sociales, économiques, politiques, scientifiques, qui ont influencé les formes littéraires et furent, en retour, marquées par elles. Les premières convulsions de la révolution industrielle en France, le mouvement d’urbanisation s’accélérant, la revendication sociale et politique, le formidable développement de la presse suscitent autant d’espérance que de nostalgie. La relance de l’expression versifiée est liée aux besoins d’action et d’expression des héritiers et des déshérités de la Révolution. Dans l’implosion des formes littéraires sous la pression de ces exigences nouvelles, l’ébranlement du système traditionnel de versification n'est qu'un des aspects de la profonde transformation des fonctions et des règles de l’écriture.

 

Tout d’abord, une date qu’on peut choisir tardive, parce qu’elle marque la rencontre de tentatives distinctes, mais un moment convergentes. Autour de l'année 1886 sont inaugurées ou commémorées trois formes littéraires : le vers libre, le poème en prose, le monologue intérieur; aucuie ne trouve alors son origine, mais chacune tire du voisinage des deux autres une signification plus générale. Elles n’ont pas toutes le même effet de choc : le monologue intérieur, qui ne tranche pas sur la forme ductile du roman, ne se distingue pas toujours nettement du dialogue (lui-même assoupli par l’apparition du discours indirect libre) ou du tissu narratif. Au contraire, le vers libre ou le poème en prose, rompant avec les règles plus apparentes du mètre, avec son cadre comptable, ne peuvent être ignorés et deviennent vite objets de proclamations et de débats, signes d'un ordre ou d’un désordre plus fondamentaux.

 

Ces trois formes ont pour point commun de ne s’autoriser que d’une nécessité intérieure, d’une liberté de choix qui prétend ne plus relever de la conformité sociale ou de ses formes admises mais manifester la part inconsciente de l’individu (l’inconscient qui recevra sous peu sa reconnaissance scientifique; Freud est à Paris en 1885) et/ou son refus du discours dominant, institutionnellement reconnu, vers des célébrations officielles ou proses des harangues républicaines. Il s’agit de (re)trouver, au-delà ou en deçà de contraintes littéraires censées limiter la liberté de parole, des procédés expressifs correspondant à d’autres formes d’échanges, plus intimes et plus rares ou, au contraire, moins circonscrites aux commerces de bon aloi. Que l'on n’entende pas par là l'existence d’un unanimisme révolutionnaire, d'on ne sait quel mouvement unilinéaire « de droite » ou « de gauche »; plutôt une mise en question de toute autorité, de toute parole faisant autorité.

 

Le point historique

 

En 1886, dans la Vogue, Jules Laforgue publie la traduction de deux poèmes extraits des Feuilles d'herbe de Whitman en vers non comptés, non rimés, comme les poèmes occupant les colonnes voisines, ceux-là d’origine française, de Gustave Kahn, auteur la même année du premier recueil en vers libres : les Palais nomades', toujours en 1886, dans la même revue, paraissent, tirés des Illuminations (pièces écrites en 1872-1873), deux textes de Rimbaud, « Marine » et « Mouvement », dont la marge de droite, en dents de scie, fait des poèmes-oriflammes, des vers sans nombre comptable, sans rimes finales, coupés au gré de la syntaxe et du sens : rendues à leur environnement prosaïque, ces painted-plates apparaissent moins comme des vers que comme l’exaspération d'une prose imagée projetant sur la page de brefs éclats de lumière où rythmes sonores et visuels s’échangent :

 

Les chars d'argent et de cuivre Les proues d'acier et d'argent Battent l'écume, Soulèvent les souches des ronces. Les courants de la lande

Et les ornières immenses du reflux

 

Filent circulairement vers l'est.

 

Vers les piliers de la forêt. Vers les fûts de la jetée, Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.

 

(« Marine »)

 

C’est, tout autant que la transgression du vers traditionnel, une prose qui refuse la justification régulière de sa marge, la coupe non signifiante du texte à pleine page. Ni prose ni vers non plus, « Barbare », dont les alinéas ne correspondent pas à la ponctuation, ou « Sonnet » (« Jeunesse II »), texte bloc dans son aspect graphique, mais où le sens impose la répartition en quatrains et en tercets.

 

Moins d’un an plus tard, Édouard Dujardin inaugure le monologue intérieur dans Les lauriers sont coupés, autre forme de l’« effusion intérieure ». Dès 1888, Mallarmé écrit à Dujardin pour signaler la convergence des recherches : « Vous avez là fixé un mode de notation virevoltant et cursif qui, en dehors des grandes architectures littéraires, vers ou phrases décorativement contournés, a seule raison d’être pour exprimer, sans mésappli-cation des moyens sublimes, le quotidien si précieux à saisir. Il y a donc là plus qu’un bonheur de hasard, mais une de ces trouvailles vers quoi nous nous efforçons tous en sens divers » (cité par O. de Magny, dans Introduction à la réédition, en collection « 10/18 », de Les lauriers sont coupés). On sait que Mallarmé souhaite la diversification extrême des modes d’expression et leur association : le grand « syntaxier » reconnaît le nouveau procédé, alors que lui-même s’efforce d’intégrer — comme l’a bien montré M. Ronat (Change, 1979-1980) —, dans ses vers et dans ses proses, les langages les plus hétérogènes, mêlant les formes de l’oral le plus rapide aux détours savants de l’écriture « artiste ».

 

Il n’est pas question de confondre les voies divergentes du vers libre, du poème en prose et du monologue intérieur, ni d’imposer à chacune de ces formes une interprétation unique; mais il faut voir comment, pendant le dernier tiers de ce siècle, s’effacent, non sans laisser de traces, les frontières du vers et de la prose. Plus largement encore, voir l’appel d’un « Art total » auquel rêvent, diversement mais également, les wagnériens (E. Dujardin crée la Revue wagnérienne en 1885) et les peintres nabis bientôt, après Baudelaire (déjà) et Mallarmé. Que Rimbaud reconnaisse en Baudelaire « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu » marque bien que contemplation schizophrène et prophétisme anarchi-sant ont partie liée dans l’explosion littéraire d’alors, ses brusques à-coups, ses trouvailles, ses refus et ses oublis, dont nous allons tenter de repérer les traces.

 

Les avatars du vers

 

Le succès de l’alexandrin, gagnant tous les genres depuis le xviie siècle, le rend fragile, prépare sa lente déconstruction.

 

Le vers libéré. Dès l’origine de la poésie lyrique, l'emploi des mètres concurrents est réglé dans des formes fixes (lai, virelai, etc.) liées à la danse et au chant : le rondeau, par exemple, insère dans des vers longs (alexandrins déca- ou octosyllabes) un vers court (de trois, quatre ou deux syllabes) en refrain qui est la reprise de Vincipit du poème. Au xviie siècle, la pratique de l’hétérométrie gagne les genres mineurs versifiés : poèmes comiques (l'Amphitryon de Molière...) ou narratifs (Fables et Contes de La Fontaine), où le dynamisme de l'action commande la facture du vers et le libère de la contrainte du mètre unique comme de la forme fixe des strophes.

 

L’ébranlement de l’alexandrin. Le plus codifié des vers a multiplié les contraintes : la rime, la césure, l’interdiction de l’enjambement... Ce dernier interdit, qui moule le mètre sur la syntaxe, peut être transgressé dès

VERS ET VERSIFICATION.

 

LE VERS TRADITIONNEL

 

La poésie française a été longtemps dominée par les relations entre « vers » (au sens où la tradition des manuels l’entend, le « vers traditionnel ») et « genre » [voir Genres littéraires]. La première relation entre vers assonancés et genre didactique assurait, outre une fonction mnémotechnique, la cohésion d'un ensemble; l’introduction de la rime, par les jeux possibles qu’elle autorise entre les types de vers, a conduit, avec un apogée aux xive et xve siècle, à la multiplication des genres à forme fixe, chacun étant consacré à un thème — au moins dans les Arts poétiques, ainsi, pour Molinet, « le douzain se prête “aux histoires et oraisons richement décoréez”, le virelai simple aux “chansons rurales” [...] » (P. Zumthor, le Masque et la Lumière, 1978). Les liens entre les différents types de vers, la forme choisie et le sens produit se sont lentement modifiés et ont fini — au moins pour une partie des productions — par être rompus; on les évoquera à partir des mètres considérés comme majeurs — l’alexandrin surtout, secondairement le décasyllabe et l’octosyllabe.

 

Acte de naissance commun : l’origine du décasyllabe et de l’alexandrin est rapportée aujourd’hui au sénaire ïambique de la latinité, mètre à six mesures et à six accents de durée [voir Rythme et poésie]; l’octosyllabe, lui, est issu du dimètre ïambique. Ces trois types de vers apparaissent en concurrence dans l’épopée assonancée et dans les Vies de saints écrites en strophes brèves (quatrains, quintains ou sixains). Le décasyllabe rimé est utilisé dans ces deux genres, mais aussi dans les chansons de toile et les romances :

 

Quant vient en mai, que l'on dit as Ions jors, que Franc de France repairent de roi cort...

 

(« Belle Erembourc », dans Poètes et romanciers du Moyen Âge, la Pléiade)

 

L’alexandrin rimé apparaît aussi dans le genre hagiographique et le récit épique, où il prend une place dominante (Canso d’Antiocha, chanson de croisade en langue d’oc du premier tiers du XIIe siècle; Roman d'Alexandre, en laisses monorimes à rimes plates, de Lambert le Tort et Alexandre de Bernay [1170]; quintains rimés dans la Vie de saint Thomas Beckett [1 174], de Gucrnes de Pont-Sainte-Maxence).

 

L’étiolement de l’hagiographie et la vogue des romans en prose à partir du XIVe siècle entraînent la quasi-disparition de l’alexandrin. Le décasyllabe et l’octosyllabe, liés aux autres genres, se maintiennent, alors que se multiplient les formes fixes des poèmes à chanter et à danser. De Guillaume de Machaut aux Grands Rhétori-queurs, de Rutebeuf à Villon, de Charles d’Orléans à C. Marot, ces mètres dominent la poésie lyrique ou satirique, parfois concurrencés par l’impair (surtout l’hepta-syllabe) ou combinés à des vers plus courts.

 

Seconde naissance de l’alexandrin : la première était due principalement à un fait de langue (succession de temps faibles et forts en roman, et non plus alternance de durées); la seconde a tenu, corrélativement à l’abandon des formes du Moyen Âge, au retour de l’humanisme à T Antiquité. Lazare de Baïf restitue l’alexandrin par ses traductions de tragédies grecques en sénaires ïambiques (par ex., en 1537, Électre de Sophocle). Notons que, par la suite, la relation à l’Antiquité apparaîtra régulièrement comme une justification de l’alexandrin. Au xvmc siècle, pour les rédacteurs du Dictionnaire de Trévoux (éd. 1740), les vers alexandrins « tiennent dans la langue française la place des vers hexamètres des Grecs et des Latins ». Ronsard l’utilise dans la Continuation des Amours (1555; cf. les « Sonetz en vers héroïques»), alors que les Amours de 1552 sont en décasyllabes, parce que c’est le vers qui imite au plus près le mètre par excellence des Anciens.

 

L’alexandrin a été considéré à partir de l’âge classique comme le vers noble, ce que marquent clairement les dictionnaires : c’est le vers le plus approprié « pour les poèmes épiques et pour la poésie la plus relevée » (poésie religieuse, en particulier), « pour les pièces de théâtre », « l’élégie amoureuse et plaintive ». Mais il est aussi en usage dans les stances (Racan), la satire (Régnier), etc

 

Les termes recouvrent des réalités différentes selon le moment considéré. L’alexandrin classique, celui de Racine ou celui encore de Voltaire, obéit à des règles métriques fortes. Principalement : il doit être composé de deux unités (hémistiches) égales, soudées entre elles; les 6e et 12e syllabes, fortement marquées (pour la 6e,

 

jamais moins que la 5e ou 7e), sont constituées par la dernière voyelle pleine d’un mot lexical (verbe, nom, adjectif, adverbe) ou d’un segment de phrase; la rime plate est la disposition majoritaire, deux rimes consécutives devant être d’espèces différentes (masculine et féminine en alternance); doit être observée la concordance entre mètre et syntaxe (d’où, par exemple, proscription de l’enjambement). Codification partiellement rassemblée dans l'Art poétique (1674) de Boileau. Par ex., pour la division binaire du vers :

 

Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots Suspende l'hémistiche, en marque le repos.

 

(Chant I, vers 105-106) ou (chant II) pour l’adéquation entre sujet et forme. Ensemble de dispositions qui n’est pas suivi régulièrement par tous les poètes; le genre composite de la fable, qui mêle récits, dialogues, sentences, etc., échappe en partie aux codifications classiques aussi bien pour le lien entre mètre et syntaxe que pour l’usage de mètres différents (cf. La Fontaine). De même, dans certains genres considérés comme mineurs (stance, ode, chanson, etc.), les poètes de la première moitié du xvne siècle ont repris la tradition des vers mêlés, ou usé autant de l’octosyllabe, du décasyllabe que de l’alexandrin (cf. la Solitude de Saint-Amant, en octosyllabes); aucun de ces genres ne disparaît à l’époque classique.

 

Les écarts manifestés dépendent du contenu du genre et non de l’utilisation de mètres différents; ainsi Racine a mêlé, dans sa poésie religieuse, l’alexandrin et l’octosyllabe, l’alexandrin et l’hexasyllabe, mais dans des formes strophiques régulières (sixains 12-8-8-8-8-8, quatrains 12-6-12-6, etc.) :

 

Grand Dieu, qui fais briller sous la voûte étoilée

 

Ton trône glorieux.

 

Et d'une blancheur vive à la pourpre meslée Peins le centre des cieux...

 

(« Hymnes traduites du bréviaire romain, le mercredy, à Vespres », dans Poésies}

 

Les principes qui régissent la forme du vers, la relation entre type de vers et genre sont conservés tout au long du xvme siècle par les poètes et rappelés par les théoriciens. Que le lecteur, aujourd’hui, ne lise plus les tragédies de Voltaire ni J.-B. Rousseau ne doit pas laisser croire à une crise du vers. Si l’on questionna la poésie, ce fut non pour discuter le bien-fondé des règles fixées au xviic siècle, mais pour accroître les contraintes — en particulier lexicales (cf. les Commentaires sur Corneille, où Voltaire condamne tout mot ou expression qui lui semble rompre l’unité de ton). On admet, surtout dans la seconde moitié du xvme siècle, quelques infractions aux lois de la césure, à la condition qu’elles introduisent une nuance intéressante; l’enjambement (à la fin du vers ou à l’hémistiche) doit, pour être licite, avoir « un dessein bien marqué et bien rempli » (La Harpe). Licences donc, et non pas renouvellement de la technique du vers; on le lit clairement dans les très nombreux commentaires sur la technique du vers. Ainsi, selon La Harpe (cité par Quicherat), à propos de Ronsard —

 

Elle allaite un chacun d'espérance; et pourtant,

 

Sans être contenté, chacun s'en va content —,

 

« ce mot d’espérance, formant césure au cinquième pied, coupe le vers de manière à produire une suspension qui a un effet analogue à celui de l’espérance ». Et dans

 

Cette nymphe est digne qu'on lui dresse

 

Des autels...

 

« Ronsard ne s’aperçoit pas que placer ainsi une chute de phrase au commencement d’un vers est tout ce qu’il y a de plus ridicule et de plus baroque et qu’alors, pour me servir d’une expression triviale, mais juste, le vers tombe sur le nez, ou plutôt qu’il n’y a plus de vers ».

« décoréez", le virelai simple aux ''chansons rurales"[ ...

)» (P.

Zumthor, le Masque er la Lumière, L978).

Les liens entre les différents types de vers, la forme choisie et le sens produit se sont lentement modifiés et ont fini -au moins pour une partie des productions -par être rom­ pus; on les évoquera à partir des mètres considérés comme majeurs- l'alexandrin surtout, secondairement le décasyllabe et l'octosyllabe.

Acte de naissance commun : l'origine du décasyllabe et de l'alexandrin est rapportée aujourd'hui au sénaire 'iambique de la latinité, mètre à six mesures et à six accents de durée [voir RYTHME ET PO�SIE); l'octosyllabe, lui, est issu du dimètre 'iambique.

Ces trois types de vers apparaissent en concurrence dans l'épopée assonancée et dans les Vies de saints écrites en strophes brèves (qua­ trains, quintains ou sixains).

Le décasyllabe rimé est utilisé dans ces deux genres, mais aussi dans les chan­ sons de toile et les romances : Quant vient en mai, que l'on dit as lons jors, que Franc de France repairent de roi cort ...

(« Belle Ere m bo urc "• dan s Poètes et romanciers du Moyen Âge, la Pléiade) L'alexandrin rimé apparaît aussi dans le genre hagio­ graphique et k récit épique, où il prend une place domi­ nante (Ca11so d'Antiocha, chanson de croisade en langue d'oc du premier tiers du xu• siècle; Roman d'Alexandre, en laisses monorimes à rimes plates, de Lambert le Ton et Alexandre de Bernay [ 1170): quintains rimés dans la Vie de saint Thomas Beckett [ 1 174], de Guernes de Pont-Sainte-Maxence).

L'étiolement de l'ha giographie et la vogue des romans en prose à partir du x1v< siècle entraînent la quasi­ disparition de l'alexandrin.

Le décasyllabe et l'octo­ syllabe, liés aux autres genres, se maintiennent, alors que se multiplient les formes fixes des poèmes à chanter et à danser.

De Guillaume de Machaut aux Grands Rhétori­ queurs, de Rutebeuf à Villon, de Charles d'Orléans à C.

Marot, ces mètres dominent la poésie lyrique ou satiri­ que, parfois concurrencés par l'impair (surtout l'hepta­ syllabe) ou combinés à des vers plus courts.

Seconde naissance de l'alexandrin : la première était due principakment à un fait de langue (succession de temps faibles et forts en roman, et non plus alternance de durées); la seconde a tenu, corrélativement à l'aban­ don des formes du Moyen Âge, au retour de l'humanisme à l'Antiquité.

Lazare de Baïf restitue l'alexandrin par ses traductions de trag§dies grecques en sénaires ïambiques (par ex., en 1 � 37, Elecrre de Sophocle).

Notons que, par la suite, la rel&tion à l'Antiquité apparaîtra régulièrement comme uneju>tification de l'alexandrin.

Au xvme siècle, pour les rédacteurs du Diction11aire de Trévoux (éd.

1740), les vers alexandrins « tiennent dans la langue française la place des vers hexamètres des Grecs et des Latins».

Ronsard J'utilise dans la Continuation des Amours (1555; cf.

les « Sonetz en vers héroïques»), alors que les Amours de 1552 sont en décasyllabes, parce que c'est le vers qui imite au plus près le mètre par excellence def.

Anciens.

L'alexandrin a été considéré à partir de l'âge classique comme le vers noble, ce que marquent clairement les dictionnaires : c'est le vers le plus approprié «pour les poèmes épiques et pour la poésie la plus relevée >> (poé­ sie religieuse, en particulier), «pour les pièces de théâ­ tre », «l'élégie amoureuse et plainti ve».

Mais il est aussi en usage dans les stances (Racan), la satire (Régnier), etc Les termes recouvrent des réalités différentes selon le moment considéré.

L'alexandrin classique, celui de Racine ou celui encore de Voltaire, obéit à des règles métriques fortes.

Principalement : il doit être composé de deux unités (hémistiches) égales, soudées entre elles; les 6c et 12• ;yllabes, fortement marquées (pour la 6•, jamais moins que la 5' ou 7•), sont constituées par la dernière voyelle pleine d'un mot lexical (verbe, nom, adjectif, adverbe) ou d'un segment de phrase; la rime plate est la disposition majoritaire, deux rimes consécuti­ ves devant être d'espèces différentes (masculine et fémi­ nine en alternance); doit être observée la concordance entre mètre et syntaxe (d'où, par exemple, proscription de 1 'enjambement).

Codification partiellement rassem­ blée dans l'Art poétique (1674) de Boileau.

Par ex., pour la division binaire du vers : Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots Suspende l'hémistiche, en marque le repos.

(Chant 1, ve rs 105·1 06) ou (chant II) pour l'adéquation entre sujet et forme.

Ensemble de dispositions qui n'est pas suivi régulière­ ment par tous les poètes; le genre composite de la fable, qui mêle récits, dialogues, sentences, etc., échappe en partie aux codifications classiques aussi bien pour le lien entre mètre et syntaxe que pour 1 'usage de mètres différents (cf.

La Fontaine).

De même, dans certains gen­ res considérés comme mineurs (stance, ode, chanson, etc.), les poètes de la première moitié du xvu• siècle ont repris la tradition des vers mêlés, ou usé autant de l'octosyllabe, du décasyllabe que de l'alexandrin (cf.

la Solitude de Saint-Amant, en octosyllabes); aucun de ces genres ne disparaît à l'époque classique.

Les écarts manifestés dépendent du contenu du genre et non de l'utilisation de mètres différents; ainsi Racine a mêlé, dans sa poésie religieuse, l'alexandrin et l'octo­ syllabe, l'alexandrin et l'hexasyllabe, mais dans des for­ me .s strophiques régulières (sixains 12-8-8-8-8-8, qua­ trains 12-6-12-6, etc.) : Grand Dieu, qui fais briller sous la voûte étoilée Ton trône glorieux, Et d'une blancheur vive à la pourpre meslée Peins le centre des cieu x ...

( « Hy mnes traduites du bréviaire romain, le mercredy, à Vespr es »,dans Poésies) Les principes qui régissent la forme du vers, la rela­ tion entre type de vers et genre sont conservés tout au long .du xvu1• siècle par les poètes et rappelés par les théon �1ens.

Que 1� lec .teur, aujourd'hui, ne lise plus les tragédies de Voltaire 01 J.-B.

Rousseau ne doit pas laisser croire à une crise du vers.

Si l'on questionna la poésie, ce fut non pour discuter le bien-fondé des règles fixées au x vu• siècle, mais pour accroître les contraintes -en particulier lexicales (cf.

les Commentaires sur Corne ille , où Voltaire condamne tout mot ou expression qui lui semble rompre l'unité de ton).

On admet, surtout dans la seconde moitié du xvm• siècle, quelques infractions aux lois de la césure, à la condition qu'elles introduisent une nuance intéressante; l'enjambement (à la fin du vers ou à l'hémistiche) doit, pour être licite, avoir« un dessein bien marqué et bien rempli >> (La Harpe).

Licences donc, et non pas renouvellement de la technique du vers; on le lit clairement dans les très nombreux commentaires sur la technique du vers.

Ainsi, selon La Harpe (cité par Quicherat), à propos de Ronsard - Elle allaite un chacu n d'espérance; et pourtant, Sans être contenté, chacun s'en va content-.

«ce mot d'espérance, formant césure au cinquième pied, coupe le vers de manière à produire une suspension qui a un effet analogue à celui de l'espérance >>.

Et dans Cette nymphe est digne qu'on lui dresse Des autels ...

«Ronsard ne s'aperçoit pas que placer ainsi une chute de phrase au commencement d'un vers est tout ce qu'il y a de plus ridicule et de plus baroque et qu'alors, pour me servir d'une expression triviale, mais juste, le vers tombe sur le nez, ou plutôt qu'il n'y a plus de vers ».. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles