Devoir de Philosophie

Victor HUGO: Fenêtres ouvertes

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

hugo

Le matin - En dormant    J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.  Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre.  Cris des baigneurs. Plus près ! plus loin ! non, par ici !  Non, par là ! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi.  Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle  Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle.  Grincement d'une faux qui coupe le gazon.  Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison.  Bruits du port. Sifflement des machines chauffées.  Musique militaire arrivant par bouffées.  Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci.  Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici  Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge.  Vacarme de marteaux lointains dans une forge.  L'eau clapote. On entend haleter un steamer.  Une mouche entre. Souffle immense de la mer.

Le monde vient au poète quand il dort. Dans un extrait de L'Art d'être grand-père, paru en 1877, intitulé « Le matin. — En dormant «, dans la section « Fenêtres ouvertes «, Victor Hugo nous montre comment l'univers rassurant du quotidien envahit sa chambre à Guernesey.

Ce fragment musical et impressionniste est insolite dans l'oeuvre du visionnaire. Il repose sur une série d'impressions auditives, mais aussi visuelles, voire olfactives et tactiles. Ces perceptions mettent le monde merveilleux de l'enfance, de la campagne, de la bourgade enfin à la portée du vieil exilé par ailleurs attiré par le port et par le vent du large. Tout Hugo est donc dans ces seize alexandrins à rimes suivies où le poète disloque la syntaxe et le rythme pour restituer la variété de ses sensations.

 

  1. Un concert de rumeurs familières

    - Cadrage spatio-temporel de la scène

    - Un festival de bruits désaccordés

    - Des sensations olfactives et tactiles associées

    - Reconstitution d'un univers familier et rassurant.  

  2. L'éclatement de la forme au service de l'impression brute

- Parataxe et désordre des sensations

- Dislocation du rythme et confusion des impressions

- Mise en relief de la sensation et extériorisation du monde intérieur.

 

 

hugo

« vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge » (v.

13).

Mais cette ouverture peut aussi bien être celle du poèteaccessible à toutes les perceptions du monde extérieur. Celui-ci ne parvient au vieil homme encore couché que sous l'espèce de bruits faciles à identifier.

Le verbe «entendre », introduit dès le premier vers, est repris au v.

15 sous la forme « On entend ».

Par le pronom indéfini «on », Hugo convie le lecteur et l'humanité entière à partager ses impressions.

Elles sont exprimées par une série deverbes ou de noms.

Les uns renvoient directement à des bruits : « cris », « chocs », « grincement », « rumeurs », «bruits », « sifflement », « brouhaha », « vacarme ».

D'autres ne les évoquent qu'indirectement : « Des chevauxpassent dans la ruelle » (v.

6) ou encore : « Des couvreurs marchent sur la maison » (v.

8).

Les bruits ainsidésignés peuvent être proches (« tout près de moi », v.

13) ou lointains (« Vacarme des marteaux lointains dansune forge », v.

14).

Certains parviennent distinctement à l'ouïe du poète : « Georges l'appelle » (v.

5) ; « Merci.

/ Bonjour.

Adieu » (v.

11-12).

D'autres, au contraire, sont confus : la musique militaire arrive par « bouffées » (v.

10).Les voix des voyageurs sont d'abord un « Brouhaha » (v.

11) et le poète semble avoir du mal à localiser les cris desbaigneurs.

Il confond aussi parfois la nature de ces bruits.

Les uns émanent d'objets comme la cloche, la truelle, legrincement d'une faux ou encore le sifflement des machines.

Les autres, au contraire, proviennent d'éléments (l'eau,la mer).

Enfin les sons produits par les animaux (gazouillement des oiseaux, chant des coqs et du rouge-gorge,vrombissement de la mouche) se mêlent au concert des voix humaines (cris des baigneurs et des enfants, voix desvoyageurs sur le port).

Mais le tout constitue ce que l'auteur appelle au vers 1 des « voix » : l'écho intérieur deperceptions extérieures.

Le poète semble en effet refuser de distinguer qualitativement les sons entre eux : lesobjets inanimés sont personnifiés par le jeu de verbes de mouvement dont ils sont le sujet (« Une cloche est enbranle », v.

2), par l'emploi de noms d'action dont ils sont le complément déterminatif : « Grincement d'une faulx quicoupe le gazon » (v.

7).

Inversement l'utilisation d'articles indéfinis ou l'absence d'articles dépersonnalisent les humains : « des voix », « des couvreurs », « voix françaises ».

Enfin les enfants sont animalisés par la grâce de lacoordination : « Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi » (v.

4).

Hommes, animaux et objets font donc partie d'unmême univers familier dont il reconstruit le spectacle sous nos yeux. Hugo associe à ces perceptions auditives des sensations olfactives : bouffées de musiques comme d'un parfum,odeur iodée de la mer, du gazon frais coupé ou du fumier sont suggérées au détour de la moindre impression.

A cessensations olfactives s'ajoutent subrepticement des notations tactiles : la truelle comme les pas raclent sur le toit ;on croit voir les baigneurs s'éclabousser et la cloche comme les marteaux ou les pas sur le toit ébranlerphysiquement le dormeur réveillé ; enfin, souffle de la mer et halètement du steamer paraissent enfler la poitrine deHugo.

Mais, surtout, il identifie par le jeu de la détermination la source de chaque bruit et associe des images auxsons. En suivant chacune de ses impressions pour en localiser ou simplement en énoncer la cause, il sort de lui-même ethabite les réalités ainsi dénoncées.

Dans la chambre même, la mouche noire rappelle à la conscience du poète laprésence du monde extérieur.

Celui-ci est évoqué d'abord à travers la maison, dont l'espace est rendu sensible parles pas des couvreurs.

Tout près du poète, côté jardin, le rouge-gorge (v.

13), par la vertu de l'adjectif possessif «mon », semble chanter pour lui.

Il ressuscite la joie de vivre perceptible aussi dans le gazouillis des oiseaux et desenfants assez proches de lui pour qu'il en identifie immédiatement les voix.

Les uns et les autres lui rendent unejeunesse qui lui fait défaut.

Ils prolongent en lui l'écho des baigneurs agités par le jeu.

Côté cour maintenant, le pasdes chevaux juste au bas de la maison, le raclement d'une truelle sur un toit mitoyen, le vacarme plus lointain de laforge cernent la maison de rumeurs urbaines rassurantes.

Ils se joignent au chant des coqs dans les fermes et augrincement de la faux sur l'herbe du jardin pour rythmer les travaux et les jours d'un séjour bucolique alliant la ville àla campagne.

Figurant le coeur du poète, la cloche bat à l'unisson d'un temps qui est aussi caractéristique de celuid'une île : la mer est évoquée par les « cris des baigneurs » (v.

3) et les « bruits du port » (v.

9).

Celui-ci est décritdans toutes ses composantes et dans toutes ses activités.

Ce port moderne rappelle à l'auteur des Travailleurs de la mer qu'il est un exilé.

Les « voix françaises » réveillent en lui la nostalgie du pays natal.

Le poète de la mer ressent alors l'appel du grand large et, puissant comme l'Océan, il retrouve dans les métaphores l'écho de sonsouffle épique. Tout Hugo est résumé dans ces quelques vers.

Le poète a perçu du monde extérieur ce qui correspond en faitétroitement à son monde intérieur.

Avec beaucoup de virtuosité il a recréé l'illusion du désordre des sensationsbrutes en disloquant sa syntaxe et son vers.

Les phrases sont juxtaposées entre elles sans la moindre liaisonsyntaxique.

Comme les verbes sont de surcroît tous au présent actuel, atemporel et omnitemporel, et qu'ilsdésignent souvent des mouvements, on ne sait plus si Hugo veut restituer des perceptions simultanées ousuccessives. Cette confusion des différents plans est encore rendue par le chaos d'un rythme syncopé.

Rares sont en effet lesalexandrins binaires classiques qui répartissent des hémistiches réguliers de part et d'autre de la césure : si le vers 7commence comme un alexandrin ordinaire (« Grincement/d'une faulx// »), le deuxième hémistiche peut se scander2/4.

La plupart du temps, la césure disparaît au profit des coupes secondaires devenues principales en raison dudécoupage syntaxique impératif : le vers 1 se scande obligatoirement 4/8, les vers 9 et 15 3/9, le vers 16 5/7.

Lasyntaxe impose sans cesse sa loi à la versification et le poète ne respecte pas davantage les limites du vers :commencée au vers 2, l'évocation des cris des baigneurs se poursuit au début du vers 3.

Il en va de même pour lescris des enfants au vers suivant.

Certes une ponctuation forte termine le vers 4 et l'adverbe « aussi » assimileJeanne à un oiseau, mais le pronom personnel, contenu dans « Georges l'appelle », relie la petite fille à son frère.

Lemouvement lancé au-vers 4 se prolonge donc bien au vers 5, comme les bribes de conversations saisies au vol duvers 11 s'achèvent au vers 12.

De rejet (v.

4) en contre-rejet (v.

5-6, 12-13), les sensations se bousculent et le. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles