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VIGNY: La Canne de Jonc.

Publié le 14/02/2011

Extrait du document

vigny

Le capitaine Renaud, vieux « grognard « d'Empire, qui ne se fait aucune illusion sur les grands chef s'militaires ni sur la guerre, vient de donner sa démission quand éclatent les journées de 1830 : « Quand j'ai vu les ordonnances, j'ai dit : On va prendre les armes. J'ai lait un Daquet de mon uniforme, de mes épaulettes et de mon bonnet à poil, et j'ai été à la caserne retrouver ces braves gens-là qu'on va faire tuer dans tous les coins, et qui certainement auraient pensé, au fond du cœur, que je les quittais mal et dans un moment de crise ; c'eût été contre l'Honneur, n'est-il pas vrai, entièrement contre l'Honneur ? « ... La guerre civile se déchaîne... Pendant les deux jours du 28 et du 29 juillet, le capitaine Renaud n'avait fait autre chose que marcher en colonne, le long des rues, à la tête des grenadiers ; il se plaçait devant la première section de sa colonne, et allait paisiblement au milieu d'une grêle de pierres et de coups de fusil qui partaient des cafés, des balcons et des fenêtres... Il n'avait pas tiré son épée et marchait la canne à la main. Il parvient au pont d'Iéna aux abords duquel se trouvent deux maçons et un enfant de quatorze ans... TEXTE. — L'enfant s'approcha de lui, le regardant avec de grands yeux étonnés et, tirant de sa veste un pistolet d'arçon, il le prit des deux mains et le dirigea vers la poitrine du capitaine. Celui-ci détourna le coup avec sa canne, et, l'enfant ayant fait feu, la balle porta dans le haut de la cuisse. Le capitaine tomba assis, sans dire mot, et regarda avec pitié ce singulier ennemi. Il vit ce jeune garçon qui tenait toujours son arme des deux mains, et demeurait tout effrayé de ce qu'il avait fait. Les grenadiers étaient en ce moment tristement appuyés sur leurs fusils ; ils ne daignèrent pas faire un geste contre ce petit drôle. Les uns soulevèrent leur capitaine, les autres se contentèrent de tenir cet enfant par le bras et de l'amener à celui qu'il avait blessé. Il se mit à fondre en larmes ; et quand il vit le sang couler à flots de la blessure de l'officier sur son pantalon blanc, effrayé de cette boucherie, il s'évanouit. On emporta en même temps l'homme et l'enfant dans une petite maison proche de Passy... Quelques jours plus tard, le narrateur vient revoir le capitaine qui, toujours à la charge d'une petite marchande, veuve avec des enfants en bas âge, vient d'être amputé d'une jambe. Lorsque j'entrai, elle (la marchande) vint au-devant de moi avec un air de timidité et de reconnaissance qui me firent peine. Je sentis combien d'embarras à la fois elle avait cachés par bonté naturelle et par bienfaisance. Elle était fort pâle, et ses yeux étaient rougis et fatigués...  

« Voyez, monsieur, il a bien souffert, allez ! « me dit-elle en ouvrant la porte. Le capitaine Renaud était assis sur un petit lit à rideaux de serge, placé dans un coin de la chambre, et plusieurs traversins soutenaient son corps. Il était d'une maigreur de squelette, et les pommettes des joues d'un rouge ardent ; la blessure de son front était noire. Je vis qu'il n'irait pas loin, et son sourire me le dit aussi. Il me tendit la main et me fit signe de m'asseoir. Il y avait à sa droite un Jeune garçon qui tenait un verre d'eau gommée et le remuait avec la cuillère. Il se leva et m'apporta sa chaise. Renaud le prit, de son lit, par le bout de l'oreille, et me dit doucement, d'une voix affaiblie : « Tenez, mon cher, voilà mon vainqueur. « Je haussai les épaules, et le pauvre enfant baissa les yeux en rougissant. Je vis une grosse larme couler sur sa Joue. « Allons ! allons ! dit le capitaine en passant la main dans ses cheveux. Ce n'est pas sa faute. Pauvre garçon ! il avait rencontré deux hommes qui lui avaient fait boire de l'eau-de-vie, l'avaient payé, et l'avaient envoyé me tirer son coup de pistolet. Il a fait cela comme il aurait jeté une bille au coin de la borne. N'est-ce pas, Jean ? «... Conversation ; rappel de souvenirs ; testament ; et c'est la fin : « Dites-moi !... ne pourriez-vous me fermer la bouche ? Je crains de parler... on s'affaiblit... Je ne voudrais plus parler... J'ai soif. « On lui donna quelques cuillerées, et il dit : « J'ai fait mon devoir. Cette idée-là fait du bien. « Et il ajouta : « Si le pays se trouve mieux de tout ce qui s'est fait, nous n'avons rien à dire ; mais vous verrez... «

vigny

« un sacrifice, nous permettront de préciser davantage sa pensée. 1.

— La thèse. — Le sentiment de l'Honneur, sur lequel est fondée l'abnégation est « une vertu tout humaine.,, sans palme célesteaprès la mort » et qui dédaigne même l'approbation des hommes, la gloire, ( « L'admiration est corrompue etcorruptrice » proteste le Capitaine Renaud au début du récit) et même les intérêts dits supérieurs.

Seule compte —consolation puissante — l'approbation de la conscience.

: « L'honneur, c'est la conscience, mais la conscienceexaltée ». Les qualités qu'exige l'abnégation sont tout humaines, comme son principe.

Ce sont : — l'intelligence qui donne au « roseau pensant » le sentiment de sa supériorité morale.

Il...

(= le Capitaine de Labouteille à la mer)... Il voit les masses d'eau, les toise et les mesure, Les méprise, en sachant qu'il en est écrasé. — l'énergie, le stoïcisme : le Loup « souffre et (meurt) sans parler » ; le Capitaine de La bouteille à la mer ...

Se croise les bras dans un calme profond. — la modestie : Vigny, au début du chapitre dont ces lignes sont extraites se présente réfléchissant « à l'héroïsmemodeste et au désintéressement, si rares tous les deux ». — la bonté enfin : l'honneur, affirme Vigny dans sa conclusion, « produit des actes de bienfaisance que l'évangéliquecharité ne surpassa jamais ; il a des tolérances merveilleuses, de délicates bontés, des indulgences divines et desublimes pardons ». 2.

— La thèse dans le récit. Et de fait, dans ce récit, le Capitaine Renaud ne cherche son réconfort ni dans les promesses d'une vie future nidans la pensée de la gloire, ni dans la pensée que son sacrifice servira à quelque chose : le « mais vous verrez..

»de la fin ne laisse aucun doute sur son pessimisme.

Simplement : « J'ai fait mon devoir : cette idée-là fait du bien ».Il possède une intelligence lucide qui lui permet de voir le mal de la vie et aussi la force morale de l'homme : il décèlela bonté dont le germe se trouve dans chaque cœur.

« Allons ! allons !...

ce n'est pas sa faute, etc.»— Il possède lestoïcisme du Loup.

Il tombe assis « sans dire mot ».

Vigny-note les manifestations visibles d'une souffrancevolontairement muette : « Il était d'une maigreur de squelette, et les pommettes des joues d'un rouge ardent »...Bien mieux, le Capitaine plaisante : « Tenez, mon cher, je vous présente mon vainqueur ».

— Modeste, le Capitaineest toujours, dans ses attitudes comme dans son langage, d'une grande simplicité.

Bon enfin, le Capitaine pardonneà son assassin.

Foncièrement bons sont également les autres personnages du drame : la marchande, qui a agi « parbonté naturelle et par bienfaisance », les grenadiers ( « Ils ne daignèrent pas (par sens de leur dignité d'hommes)faire un geste contre ce petit drôle »), et l'enfant, dont nous voyons les larmes et le repentir.

Vigny a donc établientre les différents points de sa théorie et son récit une correspondance très scrupuleuse. 2.

— Les qualités du récit démonstratif : vraisemblance et vie ; discrétion de la « leçon ». Mais pour que la thèse soit acceptée, il ne faut pas que le récit donne l'impression d'avoir été conçu artificiellementpour étayer une thèse : il doit au contraire garder avec la vie les attaches les plus étroites.

De plus il faut que leton, évitant d'être moralisateur et partant incommode, touche et entraîne le lecteur. 1.

— La vraisemblance. Là vraisemblance est, semble-t-il, constamment respectée.

Vigny a choisi un héros dont les traits de caractère serencontrent souvent chez les soldats en vertu d'une vieille tradition connue.

Vigny a pu observer lui-même plus d'unde ces vieux grenadiers d'Empire, aussi simples que braves.

La vérité du héros tient sans doute aussi au fait queVigny lui a prêté beaucoup de lui-même.

L'expérience quotidienne du Capitaine n'est-elle pas un peu celle de Vignyofficier de garnison à Pau ? La philosophie du Capitaine, son stoïcisme, sa réserve, sa bonté...

ne se retrouvent-ilspas dans les Destinées ? 2, — Style : vie et réserve. Le ton du récit est lui aussi propre à « agréer » au lecteur et ainsi à lui faire accepter plus volontiers la leçonproposée.

Aucune grandiloquence suspecte, aucune sollicitation directe en vue de forcer l'admiration.

Au contrairele récit est dépouillé à l'extrême : Vigny ne rapporte que les faits, et leurs mobiles, avec la gravité exigée par lesujet.

Mais pour être caché, l'art de Vigny n'en est pas moins réel.

Une savante disposition met les faits essentielsen relief.

Après le « Je vis bien qu'il n'irait pas loin » du narrateur, la remarque : «son sourire me le dit aussi» faitsentir intensément toute la force d'âme tranquille du héros.

Ou bien Vigny se contente de suggérer : l'assassin duCapitaine est un « singulier ennemi » ; puis c'est « l'enfant » qu'on emporte, évanoui, avec le Capitaine ; enfin c'estun « pauvre garçon ».

Vigny ne nous entretient pas de la force d'âme de son héros.

C'est au lecteur à la déduire. »

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