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Voltaire, Zadig - 5 CHAPITRE III. Le chien et le cheval

Publié le 01/04/2011

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Le chien et le cheval. Zadig éprouva que le premier mois du mariage, comme il est écrit dans le livre du Zend, est la lune du miel, et que le second est la lune de l'absinthe. Il fut quelque temps après obligé de répudier Azora, qui était devenue trop difficile à vivre, et il chercha son bonheur dans l'étude de la nature. Rien n'est plus heureux, disait-il, qu'un philosophe qui lit dans ce grand livre que Dieu a mis sous nos yeux. Les vérités qu'il découvre sont à lui: il nourrit et il élève son âme, il vit tranquille; il ne craint rien des hommes, et sa tendre épouse ne vient point lui couper le nez. Plein de ces idées, il se retira dans une maison de campagne sur les bords de l'Euphrate. Là il ne s'occupait pas à calculer combien de pouces d'eau coulaient en une seconde sous les arches d'un pont, ou s'il tombait une ligne cube de pluie dans le mois de la souris plus que dans le mois du mouton. Il n'imaginait point de faire de la soie avec des toiles d'araignée, ni de la porcelaine avec des bouteilles cassées; mais il étudia surtout les propriétés des animaux et des plantes, et il acquit bientôt une sagacité qui lui découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que d'uniforme. [1]Un jour, se promenant auprès d'un petit bois, il vit accourir à lui un eunuque de la reine, suivi de plusieurs officiers qui paraissaient dans la plus grande inquiétude, et qui couraient çà et là comme des hommes égarés qui cherchent ce qu'ils ont perdu de plus précieux. Jeune homme, lui dit le premier eunuque, n'avez-vous point vu le chien de la reine? Zadig répondit modestement, C'est une chienne, et non pas un chien. Vous avez raison, reprit le premier eunuque. C'est une épagneule très petite, ajouta Zadig; elle a fait depuis peu des chiens; elle boite du pied gauche de devant, et elle a les oreilles très longues. Vous l'avez donc vue? dit le premier eunuque tout essoufflé. Non, répondit Zadig, je ne l'ai jamais vue, et je n'ai jamais su si la reine avait une chienne.    Précisément dans le même temps, par une bizarrerie ordinaire de la fortune, le plus beau cheval de l'écurie du roi s'était échappé des mains d'un palefrenier dans les plaines de Babylone. Le grand-veneur et tous les autres officiers couraient après lui avec autant d'inquiétude que le premier eunuque après la chienne. Le grand-veneur s'adressa à Zadig, et lui demanda s'il n'avait point vu passer le cheval du roi. C'est, répondit Zadig, le cheval qui galope le mieux; il a cinq pieds de haut, le sabot fort petit; il porte une queue de trois pieds et demi de long; les bossettes de son mors sont d'or à vingt-trois carats; ses fers sont d'argent à onze deniers. Quel chemin a-t-il pris? où est-il? demanda le grand-veneur. Je ne l'ai point vu, répondit Zadig, et je n'en ai jamais entendu parler. Le grand-veneur et le premier eunuque ne doutèrent pas que Zadig n'eût volé le cheval du roi et la chienne de la reine; ils le firent conduire devant l'assemblée du grand Desterham, qui le condamna au knout, et à passer le reste de ses jours en Sibérie. A peine le jugement fut-il rendu qu'on retrouva le cheval et la chienne. Les juges furent dans la douloureuse nécessité de réformer leur arrêt; mais ils condamnèrent Zadig à payer quatre cents onces d'or, pour avoir dit qu'il n'avait point vu ce qu'il avait vu. Il fallut d'abord payer cette amende; après quoi il fut permis à Zadig de plaider sa cause au conseil du grand Desterham; il parla en ces termes: «Étoiles de justice, abîmes de science, miroirs de vérité, qui avez la pesanteur du plomb, la dureté du fer, l'éclat du diamant, et beaucoup d'affinité avec l'or, puisqu'il m'est permis de parler devant cette auguste assemblée, je vous jure par Orosmade, que je n'ai jamais vu la chienne respectable de la reine, ni le cheval sacré du roi des rois. Voici ce qui m'est arrivé: Je me promenais vers le petit bois où j'ai rencontré depuis le vénérable eunuque et le très illustre grand-veneur. J'ai vu sur le sable les traces d'un animal, et j'ai jugé aisément que c'étaient celles d'un petit chien. Des sillons légers et longs, imprimés sur de petites éminences de sable entre les traces des pattes, m'ont fait connaître que c'était une chienne dont les mamelles étaient pendantes, et qu'ainsi elle avait fait des petits il y a peu de jours. D'autres traces en un sens différent, qui paraissaient toujours avoir rasé la surface du sable à côté des pattes de devant, m'ont appris qu'elle avait les oreilles très longues; et comme j'ai remarqué que le sable était toujours moins creusé par une patte que par les trois autres, j'ai compris que la chienne de notre auguste reine était un peu boiteuse, si je l'ose dire. «A l'égard du cheval du roi des rois, vous saurez que, me promenant dans les routes de ce bois, j'ai aperçu les marques des fers d'un cheval; elles étaient toutes à égales distances. Voilà, ai-je dit, un cheval qui a un galop parfait. La poussière des arbres, dans une route étroite qui n'a que sept pieds de large, était un peu enlevée à droite et à gauche, à trois pieds et demi du milieu de la route. Ce cheval, ai-je dit, a une queue de trois pieds et demi, qui, par ses mouvements de droite et de gauche, a balayé cette poussière. J'ai vu sous les arbres qui formaient un berceau de cinq pieds de haut, les feuilles des branches nouvellement tombées; et j'ai connu que ce cheval y avait touché, et qu'ainsi il avait cinq pieds de haut. Quant à son mors, il doit être d'or à vingt-trois carats; car il en a frotté les bossettes contre une pierre que j'ai reconnue être une pierre de touche, et dont j'ai fait l'essai. J'ai jugé enfin par les marques que ses fers ont laissées sur des cailloux, d'une autre espèce, qu'il était ferré d'argent à onze deniers de fin.« Tous les juges admirèrent le profond et subtil discernement de Zadig; la nouvelle en vint jusqu'au roi et à la reine. On ne parlait que de Zadig dans les antichambres, dans la chambre, et dans le cabinet; et quoique plusieurs mages opinassent qu'on devait le brûler comme sorcier, le roi ordonna qu'on lui rendît l'amende des quatre cents onces d'or à laquelle il avait été condamné. Le greffier, les huissiers, les procureurs, vinrent chez lui en grand appareil lui rapporter ses quatre cents onces; ils en retinrent seulement trois cent quatre-vingt-dix-huit pour les frais de justice, et leurs valets demandèrent des honoraires. Zadig vit combien il était dangereux quelquefois d'être trop savant, et se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qu'il avait vu. Cette occasion se trouva bientôt. Un prisonnier d'état s'échappa; il passa sous les fenêtres de sa maison. On interrogea Zadig, il ne répondit rien; mais on lui prouva qu'il avait regardé par la fenêtre. Il fut condamné pour ce crime à cinq cents onces d'or, et il remercia ses juges de leur indulgence, selon la coutume de Babylone. Grand Dieu! dit-il en lui-même, qu'on est à plaindre quand on se promène dans un bois où la chienne de la reine et le cheval du roi ont passé! qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre! et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie!

Les contes de Voltaire ne sont :    ni des romans psychologiques, car l'auteur ne cherche pas à y intéresser par l'étude des sentiments; la plupart de ses personnages ne sont le plus souvent — surtout dans Zadig — que des comparses ;    ni des romans d'intrigues, car Voltaire ne se soucie pas d'imaginer une action mouvementée dont les diverses péripéties soutiendraient seules l'attention. Il s'est même moqué des romans d'aventures dont son œuvre est quelquefois la parodie;    ni des romans de mœurs, car des événements invraisemblables nous y entraînent souvent loin de la réalité; l'auteur ne peint pas pour peindre, mais pour donner une apparence de vérité aux caprices de sa fantaisie.

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« Les contes de Voltaire ne sont : ni des romans psychologiques, car l'auteur ne cherche pas à y intéresser par l'étude des sentiments; la plupart deses personnages ne sont le plus souvent — surtout dans Zadig — que des comparses ; ni des romans d'intrigues, car Voltaire ne se soucie pas d'imaginer une action mouvementée dont les diversespéripéties soutiendraient seules l'attention.

Il s'est même moqué des romans d'aventures dont son œuvre estquelquefois la parodie; ni des romans de mœurs, car des événements invraisemblables nous y entraînent souvent loin de la réalité; l'auteurne peint pas pour peindre, mais pour donner une apparence de vérité aux caprices de sa fantaisie. En revanche, les contes de Voltaire sont des récits ou plutôt des 15 suites d'anecdotes qui mettent en relief et enaction des idées qui lui ' sont chères; ils ne sont pas, dit M.

Bénac, les délassements d'un polémiste fatigué par sesluttes, mais ses armes mêmes. L'unité de l'œuvre est assurée par la présence d'un personnage central dont l'auteur nous conte les aventures, etsurtout par l'idée 20 générale ou la question importante que Voltaire exprime ou pose au cours de son récit.

Mais,avec beaucoup d'art, il s'attache à varier les épisodes.

Il veut intéresser le lecteur, tout en l'amenant à réfléchir,soit sur les événements qu'il rapporte, soit sur les problèmes qu'il soulève.

Cette page de Zadig a été écrite etconçue suivant cette méthode. I.

— L'art de conter Zadig est un jeune Babylonien plein de sagesse et de vertus qui veut être heureux.

Abandonné par sa fiancéeSémire (chap.

I), puis trompé par sa femme Azora (chap.

II), il décide de vivre en observant la nature et enétudiant les propriétés des animaux et des plantes.

C'est alors que lui arrive l'aventure que raconte Voltaire.

Ce récitrévèle une grande habileté : a) Voltaire a d'abord l'art d'intriguer le lecteur et de maintenir en haleine sa curiosité en ne donnant qu'au § 4l'explication des réponses en apparence contradictoires de Zadig (§ 1 et 2) qui ont 35 amené sa condamnation (§3). b) Suivant le même procédé, le dénouement est encore retardé un peu avant la fin du récit, puisqu'il se produit alorsun nouvel événement, qui fait rebondir l'intérêt (§ 7) et vient prendre place dans la narration en s'opposant à ce quiprécède. c) D'autre part, Voltaire sait choisir non seulement le détail en apparence insignifiant et pourtant essentiel qui, dèsla première ligne (petit bois) prépare la suite du récit, mais encore les traits qui, créant une atmosphère, donnent autexte une certaine couleur locale.

Cette couleur locale est sobre (les eunuques sont des gardiens de 45 harems etle grand desterham, à qui Voltaire donne le sens de gouverneur, une sorte de surintendant des finances); mais elleest surtout destinée à parodier les romans orientaux., alors à la mode depuis la fin du XVIIe siècle.

Ainsi s'expliquentnotamment le vocabulaire imagé et les flatteries respectueuses de Zadig quand il s'explique devant ses juges. d) Enfin et surtout, sans avoir l'air de nourrir aucune arrière-pensée philosophique, Voltaire semble disparaîtredevant son récit pour laisser parler les faits.

C'est Zadig lui-même qui, sur un ton désabusé, tire la conclusion de sesaventures, mais cette conclusion est celle que nous attendions.

Comment ne pas y souscrire puisqu'on vient d'enlire une démonstration évidente? II.

— Les préoccupations philosophiques Pourtant dans ce récit, comme dans tous les contes de Voltaire, les préoccupations philosophiques sont certaines. a) Beaucoup moins optimiste qu'à l'époque du Mondain (1736), Voltaire ne croit plus, comme il le soutenait aussidans ses Discours sur l'Homme (1738), qu'il suffit d'être sage pour être heureux.

Agacé par la philosophie de Leibniz,dont certains disciples l'ont attaqué, ulcéré par les tracasseries dont il est victime à la cour de Versailles, malgré lepoème où il célèbre, en bon courtisan, la victoire de Fontenoy (1745), de plus en plus convaincu que le monde estabsurde et injuste, surtout depuis qu'il recueille les matériaux de son Essai sur les mœurs, Voltaire ne pense plus en1747 que « tout va bien ».

Ces temps sont révolus.

Il sera sans doute plus amer encore quand, douze ans plus tard,en 1759, il publiera Candide, mais il pense déjà en 1747 que les décisions de la Providence sont étonnantes et qu'entout cas ses desseins sont impénétrables.

Zadig a pour sous-titre la Destinée.

Or, cette destinée paraît à Voltaire,du moins à cette époque, l'œuvre imprévisible d'un hasard auquel l'homme, malgré ses efforts, ne peut rien changerpuisque le Bien y sort du Mal et le Mal du Bien.

Zadig est puni d'avoir été trop sage.

La sagesse ne fait donc pas leBonheur.

Ayant cru tirer une leçon de son aventure, il est encore puni.

Décidément, seul le hasard gouverne lemonde.

(Début du 2e §.) b) Autre leçon qui se dégage du récit : seule, l'observation rigoureuse et précise des faits permet de connaître lavérité.

Zadig s'est borné à observer (j'ai remarqué, j'ai vu, j'ai compris, j'ai fait l'essai, j'ai jugé) et, à elle seule cette. »

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