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Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline

Publié le 13/11/2011

Extrait du document

 

Extrait étudié : Au front, le colonel de Bardamu reçoit un message : De le voir ainsi cet ignoble cavalier dans une tenue aussi peu réglementaire, et tout foirant d'émotion, ça le courrouçait fort, notre colonel. Il n'aimait pas cela du tout la peur. C'était évident. Et puis ce casque à la main surtout, comme un chapeau melon, achevait de faire joliment mal dans notre régiment d'attaque, un régiment qui s'élançait dans la guerre. Il avait l'air de la saluer lui, ce cavalier à pied, la guerre, en entrant. Sous ce regard d'opprobre, le messager vacillant se remit au « garde‑à‑vous «, les petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se doit dans ces cas‑là. Il oscillait ainsi, raidi, sur le talus, la transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses mâchoires tremblaient si fort qu'il en poussait des petits cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait démêler s'il voulait nous parler ou bien s'il pleurait. Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer d'instrument. C'est à la mitrailleuse qu'ils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets d'allumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes. L'homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d'articulé : ‑ Le maréchal des logis Barousse vient d'être tué, mon colonel, qu'il dit tout d'un trait. ‑ Et alors ? ‑ Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Etrapes, mon colonel ! ‑ Et alors ? ‑ II a été éclaté par un obus ! ‑ Et alors, nom de Dieu ! ‑ Et voilà ! Mon colonel… ‑ C'est tout? ‑ Oui, c'est tout, mon colonel. ‑ Et le pain ? demanda le colonel. Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien qu'il a eu le temps de dire tout juste : « Et le pain ? « Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu'il en existe. On en a eu telle­ment plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c'était fini que j'étais devenu du feu et du bruit moi‑même. Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté long­temps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu'un vous les secouait de par‑derrière. Ils avaient l'air de me quitter, et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l'odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière. Tout, de suite après ça, j'ai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait d'éclater comme l'autre nous l'avait appris. C'était une bonne nouvelle. Tant mieux! que je pensais tout de suite ainsi : « C'est une bien grande charogne en moins dans le régiment! «. Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserves. « Chacun sa guerre! « que je me dis. De ce côté‑là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l'air de servir à quelque chose la guerre! J'en connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrées ordures que j'aurais aidé bien volon­tiers à trouver un obus comme Barousse. Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout d'abord. C'est qu'il avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l'explosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours, mais le cavalier n'avait plus sa tête, rien qu’une ouverture au dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ca avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où c’était arrivé. Tant pis pour lui ! s’il était parti dès les premières balles, ça ne serait pas arrivé. Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. 

Au sein de toute cette violence sanglante, le personnage de Bardamu paraît indifférent. Il se réjouit cyniquement de la mort de Barousse car, pour lui, ce dernier est « une bien grande charogne en moins dans le régiment ! «. Et l’on peut noter l’humour de Bardumu qui dit : « j’en connaissais bien encore (…) de sacrées ordures que j’aurais aidé volontiers à trouver un obus comme Barousse « (analyse du vocabulaire comique). Pourtant, son commentaire sur l’utilité de la guerre est ensuite détruit car il dit : « Quand au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi, il était mort «. Le cynisme n’est qu’apparent et Bardamu, double de Céline, condamne l’absurdité de toute cette horreur. Même s’il ajoute « Tant pis pour lui ! s’il était parti dès les premières balles, ça ne serait pas arrivé «, il sait pertinemment – et le lecteur avec lui – que ce commentaire n’a aucune validité et qu’un colonel ne peut en aucun cas déserter.

« L'horreur et la violence de l'explosion sont ensuite montrées par la souffrance que Bardamu éprouve.

Le narrateurdont nous partageons le point de vue par sa focalisation interne nous fait part de ce qu'il a ressenti lors de ladéflagration.

Il suggère son intensité par des hyperboles telles que : « un de ces bruits comme on ne croirait jamaisqu'il existe ».

Il se sent dépossédé de son corps quand il dit : « le bruit est resté longtemps dans mes bras, dans matête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu'un vous les secouait par derrière ».

Il semblemême que ses perceptions se sont mêlées comme le montre la synesthésie « l'odeur pointue de la poudre » (=glissement des sens : odorat - goût - toucher). Le pathétique culmine ensuite dans l'évocation des corps.

Le colonel, frappé de plein fouet par une déflagration« avait été déporté sur le talus, (…) projeté jusque dans les bras du cavalier ».

Il a ainsi dut éprouver unesouffrance terrible puisqu' « il en faisait une sale grimace ».

A noter l'humour noir du narrateur quand il dit que « lenarrateur n'avait plus sa tête ».

Il joue sur l'ambiguïté de 2 expressions, l'une évoquant la mort, l'autre la folie.

Deplus, comme « ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours », les deux hommes sont désormaisunis par delà la mort dans une égalité qui transcende la hiérarchie militaire.

« Pour toujours » insiste sur l'aspectirrémédiable de la mort.

L'horreur culmine surtout avec des comparaisons telles que « rien qu'une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous, comme de la confiture dans la marmite ».

La distanceentre la réalité, l'abondance du sang versé dans un corps où la vie était contenue quelques secondes auparavant etla familiarité appétissante de la confiture rend l'horreur encore plus grande.

Et ces corps deviennent ensuite« toutes ces viandes qui saignaient énormément ensemble ». Céline utilise cette distanciation à de nombreuses reprises dans le texte comme s'il voulait nier le danger présentépar la guerre.

La mitraillette est qualifié d'« instrument », les balles sont comparées à des « guêpes rageuses,pointilleuses ».

« [En] pouss[ant] des petits cris avortés, tel un petit chien qui rêve ».

Ces images familières etsimples qui appartiennent à la vie quotidienne sont totalement déplacées dans ce contexte guerrier où la mortguette les personnages.

Le champ lexical de l'enfance est présent aussi dans le passage par les « sottises,grimaces ».

Pourtant , la guerre est loin d'être une plaisanterie puérile.

La gravité de l'enjeu, de l'horreur ne peuventque ressortir davantage par le contraste souligné par ces images. La simplicité du vocabulaire employé et l'oralité du texte participent aussi au contexte pathétique.

Le narrateurparaît fruste et ne peut s'exprimer que de la façon la plus simple possible.

Les mots « décapitation », « plaiebéante » sont exprimés simplement par « rien qu'une ouverture au-dessus du cou ».

Le pathétique naît justementde l'économie du style et de l'absence d'un vocabulaire épique ou grandiloquent.

Céline utilise une phrase elliptique :« Après çà, rien que du feu et du bruit avec.

», pour suggérer l'horreur sans toutefois la montrer.

Dans la phrase« ils me sont restés quand même mes membres » il rejette le sujet, qui est annoncé par le pronom imprécis « ils » àla fin.

Cette économie du langage met en valeur l'horreur des évènements vécus dont les mots ne peuvent rendrecompte.

Céline refuse le vocabulaire du pathétique trop traditionnel pour être efficace.

Il pousse le lecteur à tenterde s'imaginer la scène. Au sein de toute cette violence sanglante, le personnage de Bardamu paraît indifférent.

Il se réjouit cyniquement dela mort de Barousse car, pour lui, ce dernier est « une bien grande charogne en moins dans le régiment ! ».

Et l'onpeut noter l'humour de Bardumu qui dit : « j'en connaissais bien encore (…) de sacrées ordures que j'aurais aidévolontiers à trouver un obus comme Barousse » (analyse du vocabulaire comique).

Pourtant, son commentaire surl'utilité de la guerre est ensuite détruit car il dit : « Quand au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal.

Lui pourtantaussi, il était mort ».

Le cynisme n'est qu'apparent et Bardamu, double de Céline, condamne l'absurdité de toutecette horreur.

Même s'il ajoute « Tant pis pour lui ! s'il était parti dès les premières balles, ça ne serait pas arrivé »,il sait pertinemment – et le lecteur avec lui – que ce commentaire n'a aucune validité et qu'un colonel ne peut enaucun cas déserter.. »

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