YU TA-FOU
Publié le 27/06/2012
Extrait du document

La Chine, nom qui avait évoqué tant de puissance, tant de civilisation, n'était plus qu'un territoire qu'on se partageait, un amas anarchique de coutumes dépassées dont on avait honte, un terrain de disputes entre féodaux et militaires impuissants devant l'étranger, une désolation de miséreux en guenilles, et, pire que tout, une apathie aussi écrasante qu'une montagne. Les écrivains de' la révolution littéraire ont voulu soulever cette inertie, réveiller ce peuple en sommeil, mais ils se sont sentis désespérément seuls devant la tâche à accomplir, ils ont cru qu'ils ne cannaitraient que la défaite;

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des seigneurs de la guerre et en particulier du dernier d'entre eux, Tchang Kaï-chek, étaient tels
qu'aucune tour d'ivoire n'aurait été assez close pour qu'on ne finisse pas par y entendre au moins
l'écho des désastres
de la guerre, des cris affamés.
L'effort d'un homme comme Yu Ta-fou a
quelque chose de pathétique.
Sa vie et son œuvre sont une perpétuelle oscillation entre des
problèmes personnels
et le sacrifice de son individualité à la lutte commune.
La première de ses nouvelles, qui l'a rendu célèbre, Noyade, relate la vie d'un étudiant
chinois au Japon; il lit Wordsworth dans la campagne, il se sent terriblement seul.
Ayant vu une
fille nue dans une auberge, il se sent coupable et va se réfugier dans un temple bouddhiste, mais la
vision d'un couple faisant l'amour dans les buissons l'amène dans un bordel.
Méprisé par la
servante car il est chinois, il se saoule et, s'étant réveillé dans une chambre, il va se noyer en
apostrophant la Chine humiliée.
Ce thème de la solitude, de l'impossibilité de s'intégrer à une
société, d'un désir vague mais corrodant de liberté, de changement, est commun à toute cette
génération; mais
Yu Ta-fou l'a ressenti plus fortement que d'autres, l'a exprimé avec le plus de
violence.
Pour lui ce n'est pas un grand sentiment, il a osé en voir lucidement l'aspect le plus
lourd,
la racine sexuelle : voyeur, masturbateur, l'alcool, l'opium et les prostituées ne faisaient
que le renvoyer implacablement dans sa solitude à hurler.
Son cri, c'est dans une société où
régnaient encore lourds comme des pierres qui étouffent, des tabous dépassés et sans raison, un
appel pour la liberté, pour la possibilité de vivre avec une femme, de vaincre la paralysie glaçante,
legs
d'un passé mort qui pèse comme un cauchemar, afin de gagner une aisance qui permette
d'établir la relation précaire d'un amour qui arrache à l'isolement.
Certes, l'impuissance est son
leitmotiv,
la course vers une femme qu'on ne peut s'attacher se retrouve dans sa vie et dans son
œuvre; et, quand tout parait possible, avec une ouvrière voisine de chambre ou avec une amie
d'enfance retrouvée, il
ne se sent que faiblesse devant un sentiment de culpabilité et d'horreur, il
ne lui reste que le désir exacerbé.
Mais pour l'avoir dépeint avec une impudeur qui a choqué et
qui choque encore, pour être allé plus loin et avoir dévoilé les bas-fonds même du spleen que
partagent avec lui ses contemporains, pour avoir eu le courage d'en faire œuvre littéraire, Yu Ta
fou n'a pas écrit pour rien ou pour l'art, ce n'est pas un hasard si tant dejeunes l'ont mis très haut :
en sacralisant par la littérature le fond du réel, il lui a donné droit de cité; même non résolus, on
osait désormais au moins donner la parole aux problèmes écartés par crainte du vertige.
Et Yu Ta-fou a senti que ces entraves de l'individu étaient les chaines mêmes du destin de
la Chine.
La fin de Noyade finit par cet appel : .
Mon pays! mon pays! Ma mort est ton œuvre Deviens prospère, deviens fort
Tu as encore tant d'erifants qui souffrent!
La Chine, nom qui avait évoqué tant de puissance, tant de civilisation, n'était plus qu'un
territoire qu'on se partageait, un amas anarchique de coutumes dépassées dont on avait honte,
un terrain de disputes entre féodaux et militaires impuissants devant l'étranger, une désolation
de miséreux en guenilles, et, pire que tout, une apathie aussi écrasante qu'une montagne.
Les
écrivains de'
la révolution littéraire ont voulu soulever cette inertie, réveiller ce peuple en sommeil,
mais ils se sont sentis désespérément seuls
devant la tâche à accomplir, ils ont cru qu'ils ne cannai
traient que la défaite; cependant, le courant s'est peu à peu taillé un chemin à travers détours et
reculs.
Yu Ta-fou a senti que son sort et celui du peuple le plus miséreux étaient liés; d'où sa
sympathie
pour un tireur de pousse, une ouvrière ou les paysans.
Et il reste peut-être plus révo
lutionnaire que d'autres écrivains, car si ce lien entre les difficultés individuelles et celles de tout
un peuple a été défendu par beaucoup, si certains sont allés plus loin dans la description métho
dique des maux et des souffrances de la société, Yu Ta-fou est sans doute le plus audacieux, le
plus violent
dans la mise à nu du mal à vivre de l'individu, cri d'alarme, appel déchiré, qui montre
que le problème et social et individuel n'est pas pleinement résolu tant qu'il gardera une
résonance d'amitié ou de scandale au fond des lecteurs de Chine ou d'ailleurs.
J.
PIMPANEAU.
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