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ZONE (Début du poème) - APOLLINAIRE (LECTURE METHODIQUE)

Publié le 11/07/2011

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apollinaire

Poète et écrivain français né à Rome en 1880 et mort à Paris en 1918, Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Apollinaris de Kostrowistky, fréquente dans sa jeunesse au lycée Saint-Charles à Monaco. Il est rédacteur en chef du périodique "Les Soirées de Paris" de 1913 à 1918. Par ses tentatives pour faire une synthèse de la poésie et des arts plastiques, Apollinaire a une influence importante à la fois sur la poésie française et sur l'évolution de l'art moderne. 

 

À la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes 5 La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient 10 D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières Portraits des grands hommes et mille titres divers 15 J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylo-graphes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit 20 Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J'aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes 25 Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette 30 Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C'est le beau lys que tous nous cultivons C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent 35 C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité C'est l'étoile à six branches C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche 40 C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur [...]

apollinaire

« particulièrement moderne du discours poétique : le mélange des personnes des verbes. L'esthétique moderniste Le premier vers du texte exprime clairement une des raisons des choix esthétiques du poète : la lassitude devant des formes d'art qui lui paraissent dépassées, le néo-classicisme académique, le symbolisme, et même l'impressionnisme.

Dans les Méditations esthétiques (1913), il proclame ses certitudes : « On s'achemine ainsi vers un art entièrement nouveau.

» Quelles sont ces nouvelles formes d'art ? Le cubisme de Braque et de Picasso, le futurisme prôné par Marinetti, le fauvisme de Derain et Vlaminck, pour ne parler que de trois courants de la peinture du XXe siècle commençant. Les formes modernes de l'architecture fascinent Apollinaire : ce sont les constructions industrielles dont la simplicité le séduit (« les hangars de Port-Aviation », v.

6), c'est l'esthétique de la ferraille, la tour Eiffel qu'ont peinte si souvent Delaunay et Chagall : Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. L'image qui se développe dans ce vers 2 est plastiquement intéressante.

Les courbes des arches des ponts de la Seine évoquent les dos de moutons en troupeau.

Elles appellent irrésistiblement l'assimilation de la tour, forme isolée sur les quais, et verticale, à une bergère.

Cette bergère est située sur une berge de la Seine.

On notera aussi le caractère insolite du bêlement des sirènes de péniches. Le champ lexical de la vie quotidienne Amoureux de Paris, c'est surtout la ville moderne qu'Apollinaire aime décrire.

Plutôt que les grands monuments classiques, c'est une rue « industrielle » (v.

23) qui l'intéresse, une rue « neuve ».

Elle est située hors des circuits touristiques traditionnels, et il en a « oublié » le nom.

Cette rue est animée par des personnages présentés avec des mots simples, presque techniques : Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent (v.

17-18). La vie moderne, ici, est suscitée par un riche vocabulaire de sons : « clairon » (v.

16), « gémit » (v.

19), « aboie » (v.

20), « criaillent » (v.

22).

Cette musique moderne annonce celle d'Honegger (Pacific 231, 1923). Loin de la déparer, ce sont les éléments concrets de la vie quotidienne qui assurent l'esthétique de la rue (v. 21-22): Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent Il est vrai qu'au début du XXe siècle le développement de la publicité (« réclame » à l'époque) s'accompagne, chez les affichistes, d'une recherche plastique de plus en plus affirmée.

Delaunay et Dufy, par exemple, incorporent des affiches dans certains de leurs tableaux, ou en réalisent eux-mêmes.

On voit ainsi une sorte de poétisation de l'urbanisme : Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin [...] (v.

11-12). Pour conclure sur ce point, doit-on considérer que.

dans le vers 23 : « J'aime la grâce de cette rue industrielle ».

les mots « grâce » et « industrielle » choquent dans leur rapprochement ? Sûrement pas : une fois l'effet de surprise passé, on peut bien souscrire à l'idée du poète qui refuse le passéisme, le goût de l'ancien temps.

Il inscrit l'esthétique nouvelle dans un cadre nouveau, celui de la vie moderne de tous les jours.

Si cette conception du modernisme peut paraître aujourd'hui trop datée, elle n'en est pas moins, en son temps, vigoureuse, décapante et porteuse d'avenir. Un discours poétique moderniste Le discours poétique se veut ici novateur, moderne.

Beaucoup d'éléments stylistiques peuvent en témoigner, comme l'usage du vers libre, par exemple, ou l'absence de ponctuation.

Nous retiendrons seulement le procédé. »

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