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APPROCHE GÉNÉRALE DE LA MYTHOLOGIE GRÉCO-ROMAINE

Publié le 15/01/2018

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ont des devoirs et des obligations. Il y a, au demeurant, des «religions laïques», qui postulent l'existence non pas de divinités, mais de valeurs supérieures, créant pareillement obligations et devoirs (la Patrie, la Liberté, le Socialisme, etc.). L’homme religieux se caractérise par le sentiment du devoir, et ce sentiment était désigné en latin par le mot pietas, qui a donné le français «piété» — aussi bien dans le sens de «piété filiale» que de «piété religieuse».

 

La religion, pour les Grecs et les Romains de l’Antiquité, consiste donc à penser que les hommes ont, individuellement, et plus encore collectivement (dans le cadre de ce qu'on appelle la «cité », polis en grec, civitas en latin), des devoirs envers ces êtres éminents que sont les dieux: ils leur doivent, tout d'abord, le respect dû à un «supérieur» ; ils leur doivent ensuite un certain nombre de prestations en nature, qui sont les sacrifices; ils doivent enfin s’assurer, avant d'entreprendre une action importante, que les dieux n'y voient pas d'inconvénient, ce qui revient à ne pas l'entreprendre sans leur consentement (que les prêtres sont chargés de recueillir).

 

Ici intervient la prière, qui a pour but de demander aux dieux l'autorisation nécessaire et de les en remercier; elle peut avoir aussi pour but de leur demander aide et assistance et, là encore, de les en remercier. À négliger ces précautions élémentaires, on risque de froisser les dieux, qui sont des êtres susceptibles, et d'encourir leur mauvaise humeur, voire leur colère, laquelle peut prendre des formes redoutables (cataclysmes, épidémies). On peut en revanche, si l'on se conduit bien avec eux, c'est-à-dire conformément à la piété, en obtenir en cas de besoin un précieux secours, car leur puissance peut être aussi bénéfique que redoutable.

 

Ce code de bonne conduite des hommes envers les dieux n'implique, on le voit, aucune affectivité: les dieux n'exigent pas qu'on les aime; ils n'exigent pas non plus que l'on soit vertueux, eux-mêmes ne l'étant guère; tout ce qu'ils demandent, c'est que l'on observe scrupuleusement les rites (prières et sacrifices) auxquels, en fin de compte, se réduit ce code — un peu, si l'on veut, comme les gendarmes n'exigent rien d'autre des automobilistes que de respecter le code de la route et de les respecter eux-mêmes <

 

C'est seulement vers la fin du monde antique, d'abord avec les «religions à mystères» venues d'Orient, puis avec le christianisme, qui leur ressemble à bien des égards, qu'apparaî-tra la notion d'une essentielle «bonté» divine, liée à la promesse d'une immortalité bienheureuse dans l'Au-delà. Rien de tel dans la religion gréco-romaine: les dieux ne promettent rien, et ils ne sont ni bons ni méchants ; mais ils sont là, et ils sont puissants; nous étant supérieurs, ils ont des droits sur nous, d'où découlent pour nous des devoirs envers eux — des devoirs somme toute assez simples et au total peu contraignants, mais dont les hommes ont tout intérêt à ne pas s'affranchir. Ne pas tenir compte des dieux, agir selon son bon plaisir et sans leur demander la permission, c'est être «impie» et risquer d'attirer la colère divine non seulement sur soi-même, mais sur son entourage, s'il tolère cette impiété: les chrétiens l'apprendront à leurs dépens, car la répression qui s'abattra sur eux aura pour cause essentielle non pas l'intolérance, mais la crainte de voir les dieux se venger de leur impiété, au cas où on la tolérerait, sur la Cité tout entière.

 

Deux routes divergentes

 

La religion ainsi conçue n'implique ou ne postule aucune mythologie, c’est-à-dire aucun récit relatant la vie des dieux, leurs aventures, leurs conflits ou leurs amours. Du reste on constate que, durant plusieurs siècles, les Romains n'ont pas eu de mythologie, ce qui ne les empêchait pas d'être un peuple profondément religieux et attaché à la «piété envers les dieux». Ils rendaient scrupuleusement un culte à un grand nombre de dieux, auxquels ils offraient avec beaucoup de respect prières et sacrifices; mais de ces dieux ils ne racontaient rien : c'étaient, nous l'avons dit, des divinités sans histoire, et sans histoires — et d'autant plus respectables, sans doute, qu'elles étaient sans histoires. Les Grecs, au contraire, racontaient sur leurs dieux toutes sortes d'histoires scabreuses et captivantes, qui les faisaient ressembler à

La guerre de Troie, récit «épique», n'est donc à proprement parler ni mythique ni

 

historique : elle est en quelque sorte au carrefour du mythe et de l'histoire et participe des deux à la fois, un peu à la manière dont l’estuaire d’un fleuve participe à la fois du fleuve et de la mer, l’eau douce et l’eau salée s’y mêlant dans des proportions variables. On passe insensiblement, en pareil cas, du mythe à la légende et de la légende à l’histoire, sans jamais franchir de frontière nettement tracée. Le mythe débouche dans l'Histoire par l'intermédiaire de la légende, un peu comme le fleuve débouche dans la mer par l'intermédiaire de son estuaire.

 

Pour cette raison, la mythologie gréco-romaine, dont il est question dans ce livre, ne pouvait être limitée aux mythes proprement dits qu’avaient élaborés les Grecs et les Romains de l’époque archaïque; il était nécessaire d’y inclure aussi les légendes de ces peuples, c’est-à-dire les récits qui constituaient leur proto-histoire (l’Antiquité de l’Antiquité en quelque sorte), du fait même que ces récits, bien que ne se rapportant pas au temps primordial qui est celui des mythes, sont inséparables de ces derniers et des êtres suprahumains (les dieux et les déesses) qui en sont les protagonistes. Nous avons donc défini la mythologie gréco-romaine comme l'ensemble des mythes et des légendes qui nous ont été légués par l'Antiquité dite classique.

 

I!ORIGINE DE LA MYTHOLOGIE GRECQUE, SES CARACTÉRISTIQUES

 

L’origine des mythes que racontaient les Grecs est d’une grande complexité. Le substrat en est sans aucun doute la très ancienne mythologie élaborée par ces Indo-Européens qui avaient, par migrations successives, occupé l’immense territoire délimité à l’ouest par l’océan Atlantique, au sud par la Méditerranée et à l’est par l’Indus. Les Grecs étaient, tout comme les Indo-Iraniens, les Slaves, les Germains, les Celtes et les Romains, un peuple indo-européen, et, à ce titre, ils avaient apporté et partiellement conservé ces anciens mythes, communs à l’ensemble de ces peuples. Certains de ces mythes, pour prendre un exemple particulièrement net, reflétaient l’idéologie spécifique des Indo-européens: celle que le comparatiste Georges Dumézil a appelé «trifonctionnelle», et selon laquelle toutes les activités humaines se répartissent en trois fonctions, auxquelles président trois catégories spécifiques de divinités — la fonction de souveraineté, la fonction guerrière et la fonction de production et de reproduction.

 

C’est cette idéologie (remarquablement bien conservée dans la mythologie indienne) qui sous-tend de toute évidence un mythe grec comme celui du concours de beauté opposant, sur le mont Ida, les trois déesses Héra, Athéna et Aphrodite : la première promet au Troyen Pâris, s’il lui accorde le prix, la souveraineté sur l’ensemble de la Grèce; la seconde, la victoire dans toutes les guerres qu’il entreprendra; la troisième, la possession de la plus belle femme du monde, Hélène, ainsi que des immenses richesses de Ménélas, époux de celle-ci. C’est ce troisième don que choisira Pâris, et c’est en s’emparant d’Hélène qu’il provoquera la guerre de Troie — dans laquelle, au demeurant, les Grecs apparaissent, à certains caractères, comme incarnant les deux premières fonctions, tandis que les Troyens, caractérisés à la fois par leur richesse et leur extrême fécondité, semblent bien incarner la troisième.

 

Mais la mythologie grecque est loin de se réduire à ses éléments indo-européens. Le territoire conquis par les premiers Grecs n’était pas un désert: il était habité par des hommes (les peuples pré-helléniques) qui possédaienteux-mêmes une riche mythologie, que les Grecs leur ont empruntée et qu’ils ont combinée avec celle dont ils étaient porteurs; à cette mythologie autochtone appartiennent notamment, selon toute vraisemblance, la plupart des très nombreux mythes relatifs aux «métamorphoses », c’est-à-dire aux transformations d’êtres humains en animaux ou en végétaux. D’autre part, les Grecs étaient en contact avec les autres peuples, notamment sémitiques, qui peuplaient le Bassin méditerranéen, et à eux aussi ils ont

« finalement vaincu.

On voit comment ce mythe, autrement dit cc récit d'un événement mettant aux prises des êtres surnaturels, et survenu en dehors du temps historique, fournissait l'explication du phénomène climatique et géologique que les Égyptiens constataient: si ce phénomène existait, c'est parce que «quelque chose>> s'était passé dans le temps primordial, et c'est le récit de ce > et du .

Mystère des origines (de l'univers, de l'Homme, voire tout simplement de tel peup le ou de telle cité); mystère des phénomènes naturels (qu'ils soient astronomiques, climatiques ou biolo­ giques) ; mystère des comportements humains, surtout lorsqu'ils sont irrationnels (l'amour, la violence); mystère, enfin, de la mort -ct de ce qui, peut-être, la suit.

La science a la même ambition.

Mais, devant des phénomènes de cc genre, l'esprit scientifique adopte une autre démarche: il procède en imaginant des hypothèses explicatives («hypothèses de travail», comme on dit), dont la validité doit être vérifiée, notamment par l'expérimentation, et qui sont susceptibles d'aboutir à une théorie.

I..:esprit mythique imagine, lui aussi, des hypothèses (et l'imagination est commune aux deux démarches) ; mais, d'une part, ces hypothèses ne sont pas soumises à vérification; d'autre part, elles prennent la forme non point de théories, mais de récits mettant en scène des personnages et racontant leurs actions.. »

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