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Allégorie de Paul VERLAINE, Parallèlement

Publié le 22/05/2010

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verlaine

Un très vieux temple antique s'écroulant Sur le sommet indécis d'un mont jaune, Ainsi qu'un roi déchu pleurant son trône, Se mire, pâle, au tain d'un fleuve lent. Grâce endormie et regard somnolent, Une naïade âgée, auprès d'un aulne, Avec un brin de saule agace un faune Qui lui sourit, bucolique et galant. Sujet naïf et fade qui m'attristes, Dis, quel poète entre tous les artistes, Quel ouvrier morose t'opéra, Tapisserie usée et surannée, Banale comme un décor d'opéra, Factice, hélas ! comme ma destinée?

Paul VERLAINE (1844-1896), Parallèlement, 1889.

S'inspirant surtout de Watteau, Verlaine transposait, dans Les Fêtes Galantes, l'atmosphère de rêve tiède, de vie retirée, propre à ces scènes de mythologie galante, de théâtre ou de mascarade. Dans Allégorie, rien de tout cela. D'emblée, le poète installe au premier plan la réalité d'une « tapisserie usée et surannée « dont la matière, le canevas sur lequel un « ouvrier morose « et sans génie recopia jadis quelque carton dessiné, révèle la vétusté. Corrodée par les ans, elle apparaît tout de suite comme la toile fanée d' « un décor d'opéra « : nul charme susceptible d'entraîner loin du monde, celui qui la regarde. Elle porte en ses couleurs ternies, les marques du temps qui passe : le temple a pâli, revêtant un aspect terne. A l'origine, les rayons du soleil inondaient le sommet du mont, à la manière d'un Claude Gelée ou d'un Turner.

Vous ferez de ce poème un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, étudier comment le détour par l'allégorie permet au poète d'exprimer ses sentiments. Parallèlement, dernier recueil important écrit par Verlaine, regroupe des pièces bien différentes, tant par la date de leur rédaction que par l'origine de leur inspiration. Postulant à la fois vers l'érotisme — tonalité dominante — et vers le rêve, l'ailleurs, ce livre témoigne de l'intime division de son auteur et de son impuissance à unifier des mouvements divers. Allégorie, qui remonte en fait à 1867, est une « fête galante « à l'antique d'un genre particulier : Verlaine n'y feint plus d'épouser le libertinage nonchalant et détaché des peintures du XVIIIe siècle. Dissipée la buée scintillante du songe. Son oeil se dessille, la toile se décolore, et le poète, traduisant ses conflits intérieurs, porte sur son univers poétique passé et sur lui-même un regard décapant qui, peut-être, ne résout rien...

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« « ...

C'est effrayant ce que nous nous sentonsD'affinités avec les moutonsEnrubannés du pire poétastre.Nous fûmes trop ridicules un peuAvec nos airs de n'y toucher qu'à peine.Le Dieu d'amour veut qu'on ait de l'haleine,Il a raison ! Et c'est un jeune Dieu.Séparons-nous, je vous le dis encore.O que nos coeurs qui furent trop bêlants,Dès ce jourd'hui réclament, trop hurlants,L'embarquement pour Sodome et Gomorrhe ! » Le regard que Verlaine porte sur la tapisserie est donc bien l'occasion d'un regard sur lui-même, « poétastre bêlant», las des plaisirs trop doux.Tous les signes de la grandeur — le temple, image de la mesure, de la réalisation spirituelle, du cheminement vers lalumière ; le sommet, symbole de la transcendance, de la stabilité, de la pureté, de l'accès à la divinité ; la royauté,manifestation de la supériorité humaine et divine — sont « déchus », détruits, reniés.

Non sans violence :contrastant avec les quatrains, les tercets apparaissent comme un sursaut de révolte marqué par les sonoritésviolentes [i] et le choc des occlusives.

Le naïf, c'est Verlaine.

Confiant, c'est par inexpérience, par ignorance, qu'il apu souscrire à une simplicité aussi risible.

Le rêve parmi les forêts souveraines, les aulnes, les saules, les rivières etles ruines, parmi des bois habités par les dieux, ce rêve où les esprits romantiques aiment à se plonger, n'est plus laréalité suprême, mais un mensonge, uneduperie.La révolte du poète se meut alors en une infinie nostalgie.

Le changement, dans le dernier vers de l'épithèteappliquée à la destinée du poète n'est pas fortuit : d'abord « banale », cette destinée est considérée comme «factice » du moment où Verlaine souscrit à un divorce entre soi et soi, divorce dont témoignera toute l'oeuvre, àpartir de 1876.

« Dis, qu'as-tu fais, toi que voilà, / De ta jeunesse ? » De ta vie ? Et le poète de se persécuter lui-même...

Cette idée est très présente dans l'image du temple qui, « ainsi qu'un roi déchu pleurant son trône, / Semire, pâle, au tain d'un fleuve lent.

» L'action, là encore figée, repliée sur elle-même par le verbe réfléchi « se mire», suggère une autodestruction inlassable.

Comme Narcisse, le temple, le roi...

et le poète se heurtent dans lemiroir, à la mort, au néant.

Comme eux, il lit dans ce « fleuve lent », descendant des montagnes, sinuant à traversles vallées, se perdant dans les lacs ou dans les mers, l'écoulement irrémédiable de ses intentions, de ses désirs.

Il yvoit la précarité, le caractère éphémère de son existence...

et, comme le roi, il pleure.

Les formes interrogatives dela fin du poème, malgré l'invective anaphorique et « Dis quel poète...

quel ouvrier...

? » Car cette oeuvre, au fond,c'est la sienne.

Et c'est sa destinée.

« Factice hélas ! ».

Entre songe et réalité, passé et présent, absence etprésence, amour et chair, c'est bien un schisme que dévoile le poème.

Verlaine s'est-il trompé en tentant de sesatisfaire des baisers superficiels de ces donneurs de sérénades, amants bizarres traversés par une étrange brume,aussi flottants que l'ombre des arbres et des monts à laquelle ils se confondent ? « Ils n'ont pas l'air de croire à leurbonheur », écrivait-il déjà non sans lucidité, dans Clair de lune.

Les pures idylles, les histoires de nymphes et defaunes, lui semblent tout à coup bien dérisoires, bien fanées.

Pourtant leur innocence ne cessera de le hanter, luiqui vécut, dans l'expérience rimbaldienne de 1873, le drame de n'avoir pu réaliser la fusion de la connaissance et dela pureté... Le regard porté sur cette Allégorie a donc été pour Verlaine l'occasion de la découverte de la facticité du thème desamours innocentes et d'un regard sur le « poétastre » qu'il pense avoir été.Mais nous savons que chez lui, rien n'est jamais tranché.

Rancune et fidélité sont « parallèles », toujours ses mainsse tendent pour ressaisir ce qu'il a lâché ou fui, maudit ou désavoué.

Ainsi, en raillant un « sujet naïf et fade », il n'apas manqué de retrouver, par une alchimie ambiguë, ce murmure tendre et fuyant, ces émanations imprécises quisont toute sa musique.. »

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