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Article de presse: Somoza, comme un chef de bande...

Publié le 22/02/2012

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17 septembre 1980 - Il est mort comme un chef de bande victime d'un règlement de compte, criblé de balles au coin d'une rue. Cette violence est à la mesure de l'énorme haine suscitée par " Tachito " Somoza. Il a fini comme son père, Tacho Somoza, fondateur de la " dynastie " et patriarche du " clan ", assassiné par un jeune poète qui s'appelait Rigoberto Lopez Perez. C'était au Nicaragua, à Leon, le 21 septembre 1956, au cours du bal annuel des syndicats de la province. Rigoberto fut abattu sur place par les policiers. Comme son père, comme son frère Luis, au pouvoir à Managua pendant sept ans, Anastasio Somoza Debayle, dit " Tachito ", savait que sa vie était menacée à chaque instant. Bien avant l'insurrection sandiniste, il ne se déplaçait dans son pays qu'avec les plus extrêmes précautions, voiture blindée et hélicoptère. Dans les derniers mois, il ne quittait plus guère un bunker étroit et sinistre, sur la Loma, la colline qui domine le champ de ruines qu'est le centre de Managua depuis le terrible tremblement de terre de 1972. Chassé du pouvoir, renié par les Etats-Unis, son plus ferme soutien pendant son règne, exilé, traînant ses valises de dollars, il avait finalement trouvé refuge chez le général Alfredo Stroessner, maître du Paraguay depuis plus d'un quart de siècle et doyen des dictateurs d'Amérique du Sud. Il avait acheté quelque 8 000 hectares de terres et s'était installé dans une villa des faubourgs d'Asuncion, fortement protégée par ses " gorilles " personnels et par la police secrète paraguayenne. Contre toute évidence, Tachito ne s'avouait pas vaincu. A la tête d'une fortune colossale-évaluée à plus de 1 milliard de dollars,-il aurait pu se résigner. Mais la volonté de puissance était la plus forte chez lui. Comment expliquer qu'il se soit si longtemps accroché à ce bunker dérisoire de Managua, écoutant à travers les murs de brique la rumeur des combats montant de la ville encerclée ? Ses " biens " étaient déjà à l'abri, dans des banques suisses et américaines et dans des sociétés cotées à Wall Street. Il n'avait cédé, la rage au coeur, qu'après que son dernier appel au secours à Washington eut été sèchement rejeté par la Maison Blanche. Il était né le 5 décembre 1925 à Leon, citadelle du parti libéral. Son père, expert-comptable diplômé de Philadelphie, " amuseur " des officiers commandant les troupes d'occupation nord-américaines du Nicaragua, avait été mis en selle par Washington en 1932. A la tête de la garde nationale crée par les Etats-Unis, dans un premier temps, puis à la présidence, Somoza père ne fut pas un ingrat. Il faisait, en 1934, assassiner Sandino, héros de la lutte de guérilla contre les forces américaines. A la mort de Tacho, en 1956, son fils aîné, Luis, lui succéda. Anastasio Somoza, " Tachito ", fils cadet, s'employa à transformer la garde nationale en un corps de prétoriens à sa dévotion. En 1961, il offrit le Nicaragua aux Etats-Unis comme " base de départ " pour les mercenaires chargés de mettre à la raison le gouvernement cubain de Fidel Castro. Il prit la place de Luis lorsque celui-ci fut emporté par une crise cardiaque. Diplômé de West Point, Tachito entretenait d'excellentes relations avec des militaires américains de haut rang et se flattait de l'amitié personnelle de Nixon, de Kissinger et de Ronald Reagan, entre autres. Jamais le " lobby " pro-Somoza aux Etats-Unis ne fonctionna aussi parfaitement que pendant les années de puissance de Tachito. Tacho père avait beaucoup exploité la guerre froide pour maintenir des liens privilégiés avec Washington et renforcer son pouvoir, et sa fortune, en se présentant comme un champion de la " lutte contre le communisme ". Tachito utilisa avec non moins d'assurance la " lutte contre le castrisme ". " Je suis le plus riche... " Pendant plus de quatre décennies de pouvoir presque absolu, le clan Somoza avait accumulé une fortune énorme et mis la main sur près de 60 % de toute l'économie du pays. " Même si j'abandonnais mon titre et mes liens politiques, je serais encore l'homme le plus riche de ce pays ", affirmait Tachito Somoza, en octobre 1973. C'était un an après le tremblement de terre qui fit dix mille morts et trois cent mille sans-abri. Tachito exploita ce " coup du sort " pour faire d'une pierre deux coups : revenir directement au pouvoir (il avait quitté la présidence en mai 1972 et remis le pouvoir à une junte de trois membres, restant lui-même commandant en chef de la garde nationale et le véritable " homme fort " ) accroître encore sa fortune personnelle (président du Comité national de reconstruction, Tachito s'occupa personnellement de la " répartition " des millions de dollars de l'aide internationale). Les ennuis pour Tachito commencèrent après l'inauguration de son second mandat présidentiel, en décembre 1974. Le 27 décembre, un commando sandiniste fit un raid spectaculaire au domicile d'un ancien ministre qui donnait une réception en l'honneur de l'ambassadeur des Etats-Unis. Premier coup de gong d'une longue et sanglante épreuve de force entre Somoza, soutenu par sa garde prétorienne et les Etats-Unis, et un Front de libération dont la stratégie intelligente tendait à créer les conditions d'une insurrection populaire généralisée. Deux " erreurs ", parmi d'autres, précipitèrent la chute d'un homme cynique, arrogant, sans scrupules, avide de richesses, mais qui ne manquait pas d'intelligence politique. En perdant tout sens de la mesure, il déclencha l'hostilité d'une bourgeoisie nicaraguayenne qui découvrit que la " part " du gâteau qui lui était laissée était vraiment trop modeste. Le conflit aigu d'intérêts, à partir de 1974, entre le clan Somoza et la bourgeoisie modérée fit le jeu des sandinistes, qui préconisaient une " alliance de classes " pour renverser le dictateur. Le coup d'accélérateur fut donné par l'assassinat, en janvier 1978, de Pedro Joaquin Chamorro, leader conservateur respecté (hostile par tradition au parti " libéral " de Somoza) et directeur du journal la Prensa. On a affirmé, à Managua, que ce crime avait été ordonné par Anastasio Somoza junior, alors âgé de vingt-six ans, diplômé, lui aussi, des écoles de guerre américaines et chef des unités d'élite de la garde nationale, et non par Tachito lui-même. Quoi qu'il en soit, ce meurtre a effectivement donné le signal de la lutte de tout un peuple, toutes classes confondues, contre le clan Somoza. Que Tachito ait pu encore tenir jusqu'en juillet 1979 s'explique seulement par la brutalité de sa résistance. " Justice est faite... ", s'est écriée, à Managua, Violeta de Chamorro, veuve de Pedro Joaquin et membre du premier gouvernement sandiniste, en apprenant la mort à Asuncion de l'homme qui avait voulu détruire sa famille. La fin de Tachito ressemble, en effet, à son destin couvert de sang, de crimes et de violence. MARCEL NIEDERGANG Le Monde du 19 septembre 1980

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