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Auguste Comte par Paul Arbousse-Bastide Professeur à la Faculté des Lettres de Rennes Il s'estimait laid et ne se croyait pas digne d'être aimé.

Publié le 05/04/2015

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auguste
Auguste Comte par Paul Arbousse-Bastide Professeur à la Faculté des Lettres de Rennes Il s'estimait laid et ne se croyait pas digne d'être aimé. A l'École Polytechnique, son sobriquet était Sganarelle. Il s'en souviendra au moment le plus douloureux de son existence, dans le désarroi d'un délire où il faillit devenir " bien pis qu'un mort ". Ce philosophe de l'histoire, qui rêva d'en occuper la présidence spirituelle sous le couvert du Pontificat de l'Humanité, ne cessa de se sentir frustré du présent et contemporain d'un avenir qui ne s'est pas encore décidé à une pleine consécration. Aujourd'hui, Comte reste méconnu. Il est honoré ou honni pour ce qu'il n'a pas été et s'est passionnément défendu d'être : un dévot de la Science, un thuriféraire des savants, un antilibéral prétotalitaire, un contempteur de la religion, un athée péremptoire et dogmatique. A la décharge ou pour la confusion des colporteurs de stéréotypes, il faut bien dire qu'on ne prend guère plus la peine de lire Comte qui s'est d'ailleurs imposé, par l'artifice d'une écriture assez ingrate, de décourager les curiosités hâtives. Dans la Galerie des Philosophes, le buste de Comte, sans bénéficier encore de la patine du temps, reste, il faut l'avouer, affecté d'une poussière précoce peu favorable à la séduction des jeunes générations si sensibles pourtant à l'envoûtement d'un Hegel, proche de Comte à bien des égards et d'une expression autrement laborieuse. Et cependant, peu de philosophes ont suscité des fidélités et même des fanatismes plus tenaces. Le " dossier " Comte mérite une reconsidération attentive. L'ennui, c'est que, pour en prendre une connaissance honnête, il importe d'y apporter un capital de temps et de patience qui ne saurait être investi sans un élan préalable de sympathie pour l'homme. Cette sympathie, précieuse pour l'intelligence de tout penseur, est particulièrement nécessaire ici. C'est trop peu dire que de constater l'étroite correspondance entre la vie et l'oeuvre. Le style même de la pensée de Comte relève d'un mode très particulier où les événements de l'histoire personnelle, rehaussés d'une signification générale, prennent figure de concepts systématiques sans se réduire toutefois au symbole de l'analogie. Le réel individuel, pleinement significatif, s'intègre au discours rationnel au point qu'il devient difficile de distinguer le signifiant du signifié. Ce type de pensée est si peu fréquent qu'on serait tenté de lui contester toute spécificité philosophique. Pour en trouver l'équivalent, il faudrait évoquer, dans leur totalité expressive, des formes de méditation religieuse où la vie du penseur, dans le détail de ses épisodes, se confond avec le développement de sa mission, elle-même intégrée dans une anthropologie et une cosmologie. Toute la montée spéculative de Comte est marquée par une identification de l'homme avec l'oeuvre et de l'oeuvre avec l'action et la passion de l'universel humain - ou Humanité - à la fois objet et sujet exemplaire. Dans cette perspective et à ce niveau on conçoit que la sympathie préjudicielle pour l'homme requière une véritable option. L'identification de Comte à l'Humanité peut être tenue pour un gonflement dérisoire et pitoyable ressortissant à la psychopathologie ou pour une audacieuse tentative d'expression totale du concret. Si la fréquentation assidue de Comte exige un accueil préalable, la pénétration du système contraint d'y inclure l'homme en l'acceptant pour ce qu'il se donne. Il faut reconnaître qu'un tel homme ne laisse pas d'être parfois encombrant. Sa présence abusive déconcerte et mènerait au seuil de la désaffection si la singularité même du cas n'autorisait à espérer le meilleur du pire. S'agit-il bien d'un philosophe ? Ce polytechnicien turbulent et émancipé, pris tout entier par la question politique et sociale de son temps : terminer la Révolution et reconstruire l'Occident, n'a jamais été hanté par le mystère de l'existence et de la nature. Il demeure étonnamment imperméable à l'angoisse métaphysique dont il côtoie les problèmes avec une pénétration d'aveugle sans jamais les identifier. Le plus clair de sa tension spéculative, son parti pris fondamental, a consisté à exorciser le fantôme de l'absolu et à neutraliser ses idoles. " Tout est relatif, voilà la seule chose absolue ", écrivait-il...
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