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Baruch SPINOZA: la foi et la theologie

Publié le 10/04/2005

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spinoza
Il nous reste à montrer, en conclusion, qu'entre la foi et la théologie d'une part, la philosophie de l'autre, il n'y a aucun rapport, aucune affinité. Pour ne point savoir cela, il faudrait tout ignorer du but et du principe de ces deux disciplines, radicalement incompatibles. La philosophie ne se propose que la vérité, et la foi, comme nous l'avons abondamment démontré, que l'obéissance, la ferveur de la conduite. En outre, la philosophie a pour principes des notions généralement valables et elle doit se fonder exclusivement sur la nature; la foi a pour principes l'histoire, la philologie et elle doit exclusivement se fonder sur l'Écriture, la Révélation. (...) La foi laisse donc à chacun la liberté totale de philosopher. Au point que chacun peut, sans crime, penser ce qu'il veut sur n'importe quelle question dogmatique. Elle ne condamne, comme hérétiques et schismatiques, que les individus professant des croyances susceptibles de répandre parmi leurs semblables l'insoumission, la haine, les querelles et la colère. Elle considère comme croyants, au contraire, les hommes qui prêchent autour d'eux la justice et la charité, dans la mesure où leur raison et leurs aptitudes le leur rendent possible. Baruch SPINOZA
spinoza

« d'atteindre la vérité) appartient à la philosophie.

Ce qui relève de la société appartient à la foi.

Et la société, c'estce qui est soumis aux aléas de l'histoire, aux variations de l'interprétation (« la philologie »), aux textes de l'Ecrituresainte, aux dogmes (« de la révélation »).

Autrement dit, à tout ce qui relève de l'humain (par opposition à nature)et du même coup, sans que Spinoza soit explicite là-dessus, à tout ce qui relève de la croyance (par opposition à lacertitude de la vérité).Répartition des domaines, faite selon la revendication propre à chaque discipline.

Mais le lecteur n'irait-il pasconclure à la supériorité de la philosophie ? 3.

La suite du texte n'est plus construite sur la symétrie qui prévalait jusqu'alors.

Tout le développement estmaintenant consacré à la foi. Mais il appelle plusieurs remarques.

Le texte dit explicitement : « La foi laisse donc à chacun la liberté totale dephilosopher » Cette affirmation se produit à l'intérieur du raisonnement dont nous avons rendu compte.

Elle n'est pasempirique, elle ne renvoie pas à une expérience, elle ne relève pas du témoignage dont la forme serait : voilàcomment fait la foi, elle laisse à chacun, etc.

Cette affirmation est logique.

Si nous nous entendons, comme nousvenons de le faire, sur la séparation radicale des deux disciplines, alors « la foi laisse à chacun »...

Mais à lacondition qu'on s'entende.

Quel est d'ailleurs le on de « on s'entende » ? Est-ce un pouvoir politique qui garantit laséparation des domaines ?D'autre part, historiquement (et non plus logiquement) qui a procédé à une extension illégitime de son pouvoir? Uneseule réponse est possible.

C'est la foi ou plutôt l'instance institutionnelle qui la promeut (c'est-à-dire l'Église) quicherche à limiter la liberté du philosophe.

Il s'agit bien d'une affaire dont on ne peut se sortir que par le recours àl'instance politique (en Hollande : le pouvoir des Régents).Mais si la foi (ou plutôt l'instance religieuse) peut procéder à cet abus (limiter la liberté de philosopher) n'est-ce pasparce que l'Église dispose encore d'un pouvoir auprès des pouvoirs ? Permettre pratiquement à la philosophie (auxphilosophes) d'user de la liberté totale de philosopher n'est ce pas demander qu'on abolisse tout pouvoir que l'Égliserevendiquerait dans sa fonction d'influence auprès des pouvoirs ? Il y a certes des domaines où le pouvoir del'Église, d'après Spinoza, est légitime.

Ce sont, par exemple, ceux de la philologie.

Mais on reconnaîtra que c'est bienpeu...A moins que ce soit une tout autre interprétation qui prévale, dans laquelle on ferait totalement abstraction de lanotion d'un pouvoir des Régents qui garantirait le libre exercice de la philosophie et de la foi, abstraction aussi dupouvoir temporel de la foi.

La scène se jouerait alors, non pas entre deux corps sociaux, celui des philosophes etcelui des gardiens de la foi, mais à l'intérieur d'un même personnage qui ferait profession de philosopher librement,tout en gardant une part de lui-même dévolue à la foi.

Une même personne qui se livrerait séparément à deuxactivitésdifférentes.

Mais le terme d'incompatibles employé au début du texte pour désigner justement ces deux activités,rend cependant peu plausible une telle interprétation.Cette séparation établie par Spinoza entre la philosophie et la religion lui permet d'affirmer que la foi ne peut quelaisser à chacun la liberté totale de philosopher.

Mais, si tel est le cas, alors la philosophie est autorisée à penser lafoi.

Pour Spinoza, le philosophe est libre de penser ce qu'il veut sur n'importe quelle question religieuse et doncd'intervenir dans un domaine qui n'est pourtant pas le sien.

Mais si le philosophe est libre de penser (on est d'ailleurstoujours libre de penser...), on doit aussi le laisser libre d'exprimer publiquement sa pensée, de la diffuser autour delui, d'opérer des conversions à cette doctrine de la liberté de penser.Si Spinoza affirme que la foi ne peut s'opposer à la liberté de penser, il lui concède toutefois le droit de décider pourceux qui croient ( c'est-à-dire pour ceux qui relèvent de sa juridiction) de ce qui est orthodoxe ou hérétique etainsi, par exemple, de condamner des croyances qui s'opposent à la justice et à la charité. Intérêt du texte: La question de société posée, dans la Hollande du temps de Spinoza, est celle de l'établissement d'une frontièreentre la religion et la philosophie.

Au contraire, dans la tradition religieuse des États catholiques, héritée du MoyenAge, la philosophie est directement « servante de la théologie ».

A tout le moins, elle est un des moyens dedémontrer, par l'usage de la raison (et non de la foi), les mêmes vérités que la religion : que l'âme est séparée ducorps, qu'elle est éternelle, que Dieu existe.

Avec Spinoza, les deux domaines sont strictement séparés.Mais non seulement les domaines sont distincts, mais à bien lire le texte de Spinoza, la philosophie l'emporte sur lareligion.

Ce que la religion est amenée à reconnaître, dans l'extension de la notion de croyant : est croyant celui quiprêche autour de lui la justice et la charité (qu'il appartienne ou non à une religion déclarée). Mise en question: Mais, aussi avancée soit-elle, la position de Spinoza reste tributaire des questions posées en son temps.

Questionsqui ne sont point académiques, mais qui font l'objet de luttes religieuses et politiques, allant jusqu'à mettre en périlla vie des protagonistes.

C'est bien de cela qu'il s'agit : non seulement Spinoza est excommunié par les autorités dela communauté juive d'Amsterdam, mais un fanatique le poignarde.Aujourd'hui, dans bien des pays où il y a, inscrite dans les pratiques une totale séparation de l'Église et de l'État, lesquestions ne se posent plus en ces termes.

Le texte de Spinoza ne présente dès lors d'autre intérêt que celui d'undouble témoignage : témoignage d'un autre temps historique, témoignage de l'habileté d'une démonstration,concourant à l'audace de la prise de parti.. »

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