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LA LIBERTÉ DE L'ESPRIT A-T-ELLE POUR CONDITION LE LOISIR OU LE TRAVAIL ?

Publié le 13/03/2004

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Au début du « Capital », et dans la lignée de l'optique hégélienne, Marx définit le travail en marquant la spécificité humaine de la notion, et en défendant cet aspect. La spécificité du travail, c'est de renvoyer à l'homme, parce que les activités animales en sont fondamentalement différentes : « ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans sa ruche », explique Marx. Il s'agit donc d'une activité consciente et réfléchie, qui présuppose une capacité à se représenter des fins. Par le travail, l'homme extériorise ces fins, qui sont aussi les siennes : reprenant l'analyse de Hegel, Marx conclut que l'homme se produit lui-même, qu'il est le résultat de son travail, au sens où, pris dans la sphère des besoins naturels, l'homme conquiert son autonomie par son travail, en rusant la nature par l'intermédiaire de l'outil. Le travail est donc aussi fondamentalement technique : c'est l'évolution de l'outil qui est le signe de l 'évolution du travail. Tant que ce sens de la notion prévaut, le travail reste ce par quoi l'homme se libère des besoins. Mais qu'à l'outil vienne se substituer la machine, et cette humanité du travail peut être remise en cause si on comprend le travail comme englué dans une certaine réalité, celle de son organisation. Tel est le problème de Marx : il faut montrer comment le travail, proprement humain en lui-même, peut perdre cette humanité dans l'organisation capitaliste du travail.Le « travail social » est le travail considéré par Marx dans le cadre de cette organisation. Ce à quoi renvoie l'expression, c'est la division du travail, à savoir la répartition des tâches telle que l'organise une économie avancée.
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« dans le fruit : tout en permettant d'un côté à l'homme de devenir lui-même en rusant avec la nature, la techniquesemble aussi être ce qui risque de se réapproprier la notion de travail en en excluant l'homme.Est-ce, finalement, si grave ? Le début du XX ième ressentait le développement du machinisme et la rationalisationdu travail comme des chances pour l'homme, et ce, dans une perspective qui n'était pas toujours hypocrite etcynique.

Les hommes privés de travail n'en sont-ils pas pour autant des hommes ? N'y a-t-il pas finalement lieu derêver d'une organisation du travail qui les libère de ce qu'ils ont toujours vécu comme une contrainte ? Rousseau montre par exemple (dans le second Discours) qu'il n'y a à strictement parler d'être humain, doté desqualités qui lui sont ordinairement attribuées, dont fait incontestablement partie la pensée, ou si l'on préfère l'esprit,qu'à partir des premières sociétés et de l'apparition du travail.

Thèse que confirment aussi bien, à leur manière,Hegel ou Marx que l'anthropologie contemporaine.On est ainsi obligé d'admettre que l'existence du travail fait partie, avec les règles et la conscience de la mort (cf.entre autres Georges Bataille) de ce qui distingue l'être humain de l'animalité, et que le développement de l'espritn'en est qu'une conséquence.

On aurait donc tort de concevoir un homme doté d'esprit antérieurement à l'apparitiondu travail — et l'on peut affirmer que si le travailleur est méprisé dans la mentalité grecque (et jusque dans laphilosophie — voir ce que dit Platon des «artisans» toujours soumis à la concupiscence et en conséquenceincapables de comprendre les avantages du collectivisme mis en place dans la Cité idéale, ou la façon dont Aristotedéfinit l'esclave comme un « outil animé »), la liberté intellectuelle dont jouissent dans l'antiquité les citoyens n'estpossible que parce que les esclaves travaillent à leur place et à leur profit. C'est d'ailleurs bien ce que souligne Hegel: une telle liberté n'est encore que celle de «quelques-uns» — et non cellede l'esprit humain en général.Il est bon de rappeler que ces concepts — «liberté », «esprit», «travail» et même «loisir» — ne se déploient qu'aucours d'une histoire.

De cette dernière, Hegel indique le schéma dans sa célèbre Dialectique du Maître et del'Esclave, où il montre comment la conscience qui est capable d'accéder à la vraie liberté (c'est-à-dire celle qui agit,et qui retrouve la preuve de son existence dans le résultat de ses actes, dans la matière transformée par l'action)est bien celle de l'esclave.

De ce point de vue, l'homme du loisir, le «maître», ne bénéficie que d'une liberté encorenégative (celle qui correspond au moment du pour-soi), qui ne peut que refuser le réel, demeurer inactive et setrouver en conséquence «dépassée» par celle à laquelle parvient celui qui est en un premier temps son esclave.On en retiendra, en termes moins strictement hégéliens, que si la liberté de l'esprit semble trouver dans le loisir untemps particulièrement propice à son affirmation, c'est bien le travail qui en conditionne la possibilité et l'émergence.Encore faudrait-il garantir que le loisir n'est pas devenu un temps d'aliénation, au lieu d'être ce moment où l'espritpourrait se consacrer aux activités qu'il privilégie authentiquement.Les analystes du loisir contemporain confirment hélas que le loisir n'est pas synonyme de liberté, mais qu'il est aucontraire devenu occasion (ou même obligation) de consommation de plus en plus vécue ou ressentie comme «normale», et que de la sorte il renforce le poids de l'économique sur la vie des sujets. En s'inspirant à la fois de Marx et de Freud, Herbert Marcuse évoque, à propos de la société moderne, un «enrégimentement du temps libre » : le loisir ne doit plus être l'occasion d'un plaisir authentique satisfaisant lespulsions.

Dominée par ce qu'il nomme un « principe de rendement » qui cherche à étouffer le « principe de plaisir »dans l'individu, l'organisation de la société étend les exigences du temps de travail jusque sur le tempsthéoriquement libre.C'est d'abord, ce qui demeure assez classique, grâce à la lourdeur du travail aliéné que le loisir est ramené à n'êtrequ'un temps de récupération, aussi bien physique que mental, qui doit préparer la reprise du travail.

Ce qui confirmequ'à un travail abrutissant ne peut correspondre qu'un loisir lui-même de piètre qualité, et montre amplement que lesdeux moments ne sont pas aussi « opposés » qu'on veut encore parfois le croire. C'est ensuite en développant une véritable industrie des loisirs, grâce à laquelle l'individu ne doit pas être laissé àlui-même.

Cette « industrie » a pu faire ses preuves dans les régimes totalitaires, puisque les moments de repos yétaient aussi soigneusement organisés et encadrés que les moments de travail.

Mais, sans aller jusqu'à de tellesorganisations par l'État lui-même, ce serait, selon Marcuse, toute société régie par le principe de rendement qui enviendrait à rentabiliser les loisirs, non seulement en termes économiques, mais d'abord pour y confirmer la définitionde tout individu comme consommateur permanent parfaitement intégré dans le système global de la production, etdès lors capable d'oublier que ses véritables satisfactions seraient très différentes de celles qu'on lui « propose » ouqu'on lui impose.L'homme contemporain se voit ainsi offerte la possibilité, par exemple, « de récapituler toutes les figures de l'homme» (J.-M.

Domenach) – du sauvage préhistorique se nourrissant de son gibier grillé sur une pierre au sportif quis'imagine sur un stade de la Grèce antique, en passant par le solide cow-boy de l'Ouest américain ou par le chevaliermédiéval en armure.

Tout serait à revivre potentiellement pendant les loisirs, de la découverte de terres étrangèresgrâce à un club de vacances installé en brousse à l'exploit physique grâce à un autre club d'alpinisme ou de vol àvoile.

Que revivre signifie en l'occurrence rejouer n'est pas alarmant en soi : le ludique et la fiction confirment plutôtqu'on est bien dans le loisir. Plus gênant semble le fait que toutes ces activités impliquent, non seulement d'être organisées, mais surtout uncoût financier pour celui qui prétend en profiter.

Le temps de loisir est ainsi devenu, incontestablement, un temps deconsommation supplémentaire, laquelle peut être très supérieure à la consommation ordinaire (celle du temps detravail).

Ainsi les travailleurs (toutes catégories désormais confondues, ou presque) prennent l'habitude de faire deséconomies en prévision de leurs loisirs et de leurs vacances.

Mais l'on peut également emprunter pour ces dépenses. »

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