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Montaigne et les Moralistes

Publié le 18/10/2011

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Que nous dira donc en cette nécessité la philosophie ? « Que nous suivions les lois de notre pays «, c'est-à-dire cette mer flottante des opinions d'un peuple ou d'un prince qui me peindront la justice d'autant de couleurs et la réformeront en autant de visages qu'il y aura en eux de changements de passion ? Je ne puis avoir le jugement si flexible. Quelle bonté est-ce, que je voyais hier en crédit et demain ne l'être plus et que le trajet d'une rivière fait crime ? Quelle vérité est-ce que ces montagnes bornent, mensonge au monde qui se tient au-delà ? ... «.

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« En 1570, Montaigne résigne sa charge et se retire en son château • dans le sein des muses •• (Photo Roger-Viollet).

L'évolution des Essais de Montaigne Doit-on parler d'une véritable évolution de la pensée de Montaigne entre 1572, date à laquelle il rédige les premiers chapitres de son livre et les années qui précèdent sa mort où il note · dans les marges de son exemplaire des cita­ tions, des réflexions nouvelles, des exemples complémentaires ? On peut en discuter.

Ce qui est sûr, c'est qu'on observe ·une incontestable évolution des Essais eux-mêmes, depuis les premiers chapitres de 1572, assez grêles et secs, jusqu'aux savoureuses causeries qui terminent le livre III et aux additions passionnantes que l'auteur vieillissant intercale dans ses dévelop­ pements antérieurs.

C'est cette évolution du livre qu'il convient de retracer, en se fondant sur les travaux exemplaires de Pierre Villey.

On se plaisait, au xvr siècle comme au déclin de l'Antiquité, à inventorier les écrits des mora­ listes et des historiens anciens, à classer les maximes, les sentences, anecdotes, exemples (ou faits mémorables) qu'ils contenaient, et à en rajouter éventuellement de nouveaux.

C'est à ce genre de la compilation morale qu'appartien­ nent indiscutablement les premiers Essais du châtelain de Montaigne : tantôt il rappelle un fait notable, le compare éventuellement à quel­ ques autres et en tire une rapide leçon; tantôt il part d'une idée générale et l'appuie de quel­ ques anecdotes et sentences.

Volontiers dans ces premiers chapitres, l'auteur prend une pose stoïcienne, exalte la constance de « l'exercita­ tion » que recommandait Sénèque, fait l'éloge de .caton d'Utique : « Est-il possible qu'on se puisse défaire du pensement de la mort et qu'à chaque instant il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet ? Si c'était ennemi qui se put éviter, je con­ seillerais d'emprunter les armes de la couar­ dise; mais puisqu'il ne peut, apprenons à le soutenir de pied ferme et à le combattre : et pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons voie toute con­ traire à la commune; ôtons-lui l'étrangeté, pra­ tiquons-le, accoutumons-le; n'ayons rien si souvent en la tête que la mort; à tous instants représentons-la à notre imagination et en tous visages; au broncher d'un cheval, à la chute d'une tuile, à la moindre piqûre d'épingle, remâchons soudain : « Eh bien ! quand ce serait la mort même ? » et là-dessus raidis­ sons-nous et nous efforçons.

Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souve­ nance de ' notre condition, et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que parfois il ne nous repasse en la mémoire en combien de sortes cette notre allégresse est en butte à la mort, et de combien de prises elle la menace.

Ainsi faisaient les Egyptiens, qui , au milieu de leurs festins et parmi leur meilleure chère, faisaient apporter l'anatomie sèche d'un hom­ me pour servir d'avertissement aux conviés.

Omnem crede diem tibi diluxisse supremum : Grata superveniet, quœ non sperabitur , hora.

Il est incertain où la mort nous attende : attendons-la partout .

La préméditation de la mort est préméditation de la liberté : qui a appris à mourir, il a désappris à servir; il n'y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n'est pas mal.

Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte ».

Mais bientôt, Montaigne va prendre plus d'assurance et aussi plus d'indépendance de jugement et donner libre cours à ce fonds de scepticisme qui est chez lui comme une consé­ quence naturelle du jeu de sa brillante intelli­ gence.

Cela apparaît principalement dans le plus volumineux chapitre des Essais - et un des plus importants -, qu'il rédige vers 1575 : L'Apologie de Raymond Sebond (II, 12).

Ray­ mond Sebond était un théologien espagnol du xV" siècle qui prétendait prouver Dieu par les merveilles de la nature, et Montaigne avait traduit en français sa Théologie naturelle en 1568.

On lui reproche de manquer de force démonstrative dans ses arguments.

Mais, répond Montaigne, a-t-on jamais vu la raison humaine établir solidement quelque vérité que ce soit ? Et il fait le procès de l'intelligence avec une chaleur, une abondance ironique et une élégance de bonne compagnie, qui ne seront pas oubliées de sitôt.

« Si c'est de nous que nous tirons le règle­ ment de nos mœurs, à quelle confusion nous rejetons-nous ? Car ce que notre raison nous y conseille de plus vraisemblable, c'est généra­ lement à chacun d'obéir aux lois d.e son pays, comme porte l'avis de Socrate inspiré, dit-il, d'un conseil divin.

Et par là, que veut-elle dire sinon que notre devoir n'a d'autre règle que fortuite ? La vérité doit avoir un visage pareil et.

universel; la droiture et la justice, si l'hom­ me en connaissait qui eût corps et véritable essence, il ne l'attacherait pas à la condition des coutumes de cette contrée ou de celle-là; ce ne serait pas de· la fantaisie des Perses ou des Indes que la vertu prendrait sa forme.. »

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