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L’AFFAIRE Dominici

Publié le 13/12/2018

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L’AFFAIRE

Dominici

 

5 août 1952. Tout annonce une journée splendide à Lurs, un village au bord de la nationale 16, dans cette région des Alpes de Haute-Provence où le tourisme n'est pas encore très développé. Cette région, qu’a chantée Giono, s’appelle encore les Basses-Alpes.

 

Mais voici que, dès 6 heures du matin, un motocycliste qui se rendait à son travail, M. Olivier, s’arrête à la gendarmerie:

 

— Venez vite, il y a un cadavre, une petite fille, près de la ferme de la Grand-Terre. C'est le fils Dominici, Gustave, qui vient de me le dire.

 

Les gendarmes découvrent non pas un mais trois cadavres. Il s’agit d'une famille de touristes anglais qui s’étaient installés là la veille au soir pour camper. On les identifie : un grand spécialiste de la diététique, sir Jack Drummond, son épouse, lady Ann, et leur fille Elizabeth, âgée de dix ans. La femme, étendue sur le ventre, à cinq mètres de la voiture, a été frappée de trois balles dans la poitrine. Le mari, encore en pyjama, gît de l’autre côté de la route. Il a reçu deux balles dans le dos et porte une blessure à une main. Enfin, le cadavre de la fillette est beaucoup plus à l’écart, près d’un chemin qui mène à la Durance. Elle a le crâne broyé, et l’on trouve sous sa tête un éclat de bois qui paraît provenir d’une crosse de fusil. Sur place encore, une

« .

__ , __ ____ , _ _____ __ ........._ _ _ mare de sang, ainsi que deux douilles de carabine et deux cartouches non percutées.

Lenquête est confiée au commissaire Sébeille, de la police judiciaire de Marseille, assisté de ses collègues du commissariat de Digne.

Le jour même, on découvre dans un trou de la Durance une vieille carabine américaine, brisée.

C'est l'arme du crime, puisque l'éclat de bois s'adapte parfaitement.

Pourtant, les enquêteurs, qui veulent surtout faire «parler» la carabine, négligent deux détails im­ portants: d'une part, dans la ferme voisine des Dominici, un pantalon fraîchement lavé sèche au soleil -a-t-on voulu faire disparaître des traces de sang? Il eût été intéressant de le saisir et de faire une analyse.

D'autre part, les gendarmes ont repéré sur les lieux des traces de chaussures de pointure 42, avec des semelles comportant des signes très repérables.

Pourtant, aucun moulage ne sera fait, et aucune re­ cherche ne sera effectuée pour trouver le propriétaire des chaussures.

Tout d'abord, l'attention des enquêteurs se fixe sur le •clan Dominici»: il s'agit d'une famille exploitant la ferme de la Grand­ Terre, à cent cinquante mètres de l'endroit où les Anglais s'étaient arrêtés pour la nuit.

li y a le père, Gaston, patriarche à la moustache blanche et qui s'exprime surtout en patois, sa femme, dite «la Sar­ dine», un de leurs fils, Gustave, et l'épouse de ce dernier.

Le commissaire Sébeille note en tout cas avec intérêt que Clovis Dominici, le fils aîné de Gaston, est littéralement bouleversé quand il lui présente la carabine, dans le but d'en identifier le proprié­ taire: - Je n'ai jamais vu cette arme, affirme Clovis.

Pourtant le commissaire note: - Il est pris d'un tel saisissement qu'il tremble, se mord les lèvres et ouvre de grands yeux.

Clovis ment, c'est certain, mais les enquêteurs, qui ont suivi plusieurs pistes (on a même déliré sur une histoire de services secrets et de règlement de comptes puisque sir Jack aurait appartenu à l'Intel­ ligence Service pendant la guerre, alors qu'en réalité il occ upait des fonctions au ministère du Ravitaillement!), ne s'intéressent plus qu'à la Grand-Terre, et singulièrement à Gustave.

En effet, celui-ci a men­ ti.

On en a la preuve.

Que dit Gustave? - La veille, en arrosant trop un champ au-dessus de la voie ferrée, j'ai craint un éboulement et j'ai été prévenir un brigadier-chef de la SNCF.

Dans la nuit, alors que j'étais couché, j'ai entendu des détona­ tions mais je n'ai pas bougé, j'étais terrorisé.

Et c'est vers 5 heures, pour aller voir les risques d'éboulement, que j'ai vu sur le chemin le cadavre de la petite fille.

J'ai alors demandé à M.

Olivier, qui passait là, d'aller chercher les gendarmes.

Contrairement à ses affirmations, il n'a pu voir le cadavre de l'enfant qui ne se trouvait pas vraiment sur le chemin, mais dans un petit ravin.

En outre, il aurait dû bien évidemment se diriger vers la voiture des Anglais, ne serait-ce que pour les prévenir.

Il affirme ne pas l'avoir fait, alors que M.

Olivier dit qu'il a été interpellé par Gustave, qui se trouvait à côté de la voiture_ Interrogé, Gustave finit par avouer que, lorsqu'il a vu la fillette, celle-ci vivait encore, qu'elle «ronronnait• et qu'elle a agité faiblement un bras_ S'il a vu l'enfant, ce n'est donc pas comme ille dit vers 5 heures et demie puisque le médecin légiste affirme qu'à cette heure la petite était déjà morte.

C'était donc plus tôt.

Or des camionneurs, passant à petite vitesse entre 4 h 30 et 4 h 50 (nous sommes en plein été, le jour se lève très tôt), ont vu ceci: le premier, que la voiture était recouverte d'une bâche et qu'un lit de camp se trouvait à quelques mètres du capot; l'autre, qu'il y avait bien la voiture mais ni lit de camp ni bâche.

Conclusion: «quelqu'un» a organisé une mise en scène pendant ces vingt minutes à un moment où, fort probablement, la petite Elizabeth vivait encore.

Enfin, plusieurs témoins ont entendu cinq coups de feu et deux douilles seulement ont été retrouvées.

Il a donc fallu que quelqu'un ramasse les trois douilles manquantes.

Finalement, Gus­ tave Dominici est inculpé pour non-assistance à personne en danger et condamné à deux mois de prison ! Lenquête continue.

Elle piétine.

Pourtant, trois témoins disent des choses intéressantes.

M.

Paul Maillet, un voisin: - Gustave m'a déclaré: «Si tu avais vu et entendu ces cris d'horreur! Je ne savais plus où me mettre." Gustave, cependant, a toujours déclaré qu'il n'avait rien vu, et n'avait entendu que des coups de feu.

M.

Roure (de la SNCF) puis M.

Ricard, eux, sont passés sur les lieux respectivement à 6 h 45 et 7 h 30.

M.

Roure verra le corps de lady Ann enveloppé dans une couverture et allongé sur Je dos alors que M.

Ricard ne verra pas de couverture.

Quant aux gendarmes, arrivés vers 7 h 30, ils trouveront le corps couché sur le ventre.

Il est donc évident que l'on a touché au corps de la femme.

Après une reconstitution effectuée le 12 novembre 1953, Gustave est emmené au palais de justice de Digne.

Il reconnaît qu'il a menti sur cinq points.

Oui, il a entendu des cris (il dira «de ma fenêtre», alors que M.

Maillet évoque un «champ de luzerne où se trouvait Gustave»).

Oui, il a découvert Elizabeth encore vivante, et il était 4 heures du matin.

Oui, il a attendu plusieurs heures avant de prévenir M.

Olivier, et alors que plusieurs camions étaient passés sur la route.

Oui, il a interpellé M.

Olivier à la hauteul' de la voiture: il ne pouvait plus faire autrement, puisque Olivier l'avait vu là.

Oui, il a modifié la position du cadavre de la femme, en se cachant dans un ravin lors du passage de M.

Ricard.

Gustave Dominici est alors suspect numéro un.

Pourtant, les enquêteurs s'intéressent également à un garçon de seize ans, Roger Perrin, neveu de Gustave et de Clovis.

Il a donné des versions tout à fait contradictoires sur son emploi du temps.

Enfin, on continue à s'interroger sur Clovis.

Mais, le 13 novembre, la situation évolue brus­ quement: Gustave s'effondre et déclare que l'assassin n'est autre que son père, le vieux Gaston! Gaston Dominici est alors âgé de soixante-seize ans, il a vingt et un petits-enfants, il est conseiller municipal.

Jusqu'ici, il n'a jamais varié dans ses déclarations, et l'on n'imagine guère un criminel de cet âge, à la belle figure de patriarche! Présenté au palais de justice de Digne le 13 au soir, il est interrogé sans relâche.

Il proteste de son innocence.

Le 14, vers 18 heures, il se repose sous la surveillance du gardien de paix Guérino.

Celui-ci le met en confiance (sans doute sur ordre), lui parle en patois, et brusquement le vieillard se met à pleurer en pailant de ses petits­ enfants.

Guérino ne comprend pas ces larmes, les interprète différem­ ment, et lui dit: - On tiendra compte de votre âge.

C'est peut-être un accident? - Eh bé! oui, c'est un accident.

Au brigadier Brocc a, ensuite, il déclare au contraire que c'est Gustave qui a fait le coup, mais qu'il doit s'accuser pour sauver l'honneur de ses petits-enfants.

Puis, interrogé par le commissaire Prudhomme (son préféré, parce qu'il est «du pays»), il raconte: - Dans la soirée, vers 11 h 30, je suis sorti avec la carabine pour tirer quelques lapins.

En passant près des Anglais, j'ai vu la femme qui se déshabillait, nous avons parlé, puis je me suis permis quelques privau­ tés.

C'est alors que le mari s'est jeté sur moi: je l'ai tué, puis j'ai tiré sur la femme, enfin j'ai assommé la fille qui s'était sauvée.

Ce récit, extravagant, ne tient pas: les coups de feu ont été tirés vers l h 30 de matin, et même si l'on admet la tentative d'un vieillard lubrique, force est de constater que lady Ann n'était pas déshabillée et qu'on la voit mal engager un dialogue galant avec un. »

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