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Sujet : Roman signifie exemplarisation

Publié le 30/10/2019

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On constate la recherche d’une forme esthétiquemême pour les genres du réel dont on parlait dans la première partie, ce qui a par ailleurs constitué un nouveau sous-genre du roman. Des récits d’histoires vraies utilisent ainsi la forme du roman comme Si c’est un homme de Primo Levi. Le réel et l’esthétique peuvent donc être mêlés dans un roman, tant la deuxième composante est importante. Les romans épistolaires ont une forme particulière qui a, semble-t-il, un rapport direct avec l’esthétique. En effet, pourquoi ne pas mettre en scène Les liaisons dangereuses de Laclos tels que les personnages et les situations seraient décrits par un narrateur omniscient, et les dialogues importants intercalés dans la narration ? La dimension du roman ne serait pas la même ; la possibilité de lire des lettres qui sont initialement destinées à une personne précise octroie au lecteur une importance plus grande. Il entre dans l’intimité des personnages, et il sait tout sur eux, il peut même imaginer ce qui pourrait arriver si un autre personnage apprenait la vérité sur une situation. En somme, dans ce type de roman, le lecteur devient lui-même le narrateur omniscient en quelque sorte et alors le plaisir et l’intérêt de lire vient de la forme du roman plus que de son fond. 
Enfin, le roman, de part son caractère polymorphe, est perçu comme le genre le plus libre qui permet l’expérience. En effet, c’est à partir du XVIIIe siècle que le roman s’ouvre aux autres genres etcréé ainsi des genres que l’on pourrait appeler hybrides. Des romans autobiographiques dont nous avons parlés, aux romans écrits en vers comme Tête d’or de Paul Claudel ou encore sous la forme de journaux intimes ou de longs reportages écrits ; le roman est alors une ouverture possible à toutes les imaginations, à toutes les formes qu’un auteur pourrait désirer expérimenter. C’est ainsi que Jean-Isidore Goldstein alias Isidore Isou développe au milieu du XIXe siècle ce qu’il appelle la « créatique ». A ses yeux, les lettres et les sons ont plus d’importance que les mots et les sens, et la création doit se faire à tous les niveaux pour être réellement esthétique. Bien que cet homme ait été considéré comme un utopiste voire même un fou, le mouvement lettriste qu’il a lancé, que l’on pourrait même appeler une révolution, appuie un peu plus l’importance de l’esthétique, en l’occurrence dans le roman. 

En somme, le roman ne peut avoir qu’une fonction didactique ; même dans ses sous-genres les plus réalistes, la fonction esthétique garde une place importante, parfois même primordiale. Le roman étant destiné à être lu, il s’agit d’un échange entre l’auteur et le lecteur, qui doit prendre du plaisir à lire, et qui peut interpréter le récit à son aise. Quant aux genres fictifs, tous ne peuvent se réclamer de dispenser une leçon, certains n’offrant ni réalisme, ni morale, et dont le seul but est de divertir.

« l’homme.

Italo Svevo avec La conscience de Zeno fait partie des romanciers intéressés par ces développements théoriques.

Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la participation du lecteur dans le sens et la dimension que peut prendre un roman.

L’interprétation de chaque ligne peut être différente selon les personnes, et parfois ne pas respecter ce que voulait dispenser l’auteur.

Un roman qui, aux premiers abords, ne paraît pas écrit pour enseigner quoique ce soit, de par sa forme ou son genre – roman fantastique ou de science-fiction par exemple – peut mettre en scène un ou plusieurs personnages vraisemblables dont la psychologie permet à quelques-uns de s’identifier, ou dont un aspect de l’histoire rappellerait à un lecteur sa propre expérience.

Le roman peut alors constituer un exemple à suivre ou à éviter, une aide pour réagir.

Ce « but infantile » de l’identification que critiquait Nabokov lorsqu’il parlait à ses étudiants peut quand même accorder à un roman une dimension didactique, une vocation à dispenser une leçon de morale, même si l’auteur ne plaçait pas cet aspect au centre de son œuvre.

Dans De la lecture comme production de sens in Pratiques de la lecture, Jean-Marie Goulemot écrit « Lire, c’est donc constituer et non pas reconstituer un sens » ; il insiste ainsi sur la liberté du lecteur face à un roman, et, finalement, à l’attitude passive que prend alors l’auteur qui s’efface derrière les personnages qui évoluent dans son œuvre.

Et ces personnages, en temps qu’êtres humains qui vivent des expériences peuvent effectivement constituer des avatars pour certains lecteurs et ainsi apparaître comme des preuves d’une réalité possible.

La dimension didactique d’un roman n’est donc pas seulement le résultat d’une volonté précise de l’auteur mais peut être donnée par une interprétation différente faite par le lecteur.

Cependant, il faut considérer un courant littéraire dont Grivel semble donner une définition partielle avec cette citation.

En effet le réalisme réunit à la fois les valeurs de l’exemple, « exemplarisation », du symbole – « récit parabolique » – et de la réalité dépeinte – « illustratif ».

En effet, les œuvres du XIXe siècle réaliste visent à être complètes et cohérentes.

Il s’agit de décrire avec précision une époque, les personnages y ont une valeur exemplaire et la dimension de l’œuvre est souvent critique et s’attaque à toutes les classes sociales.

Les symboles peuvent être mis en lumière par un narrateur omniscient ou qui manifeste sa présence au moment d’énoncer ou d’expliquer la morale de l’œuvre.

Honoré de Balzac représente ces différentes caractéristiques avec notamment La comédie humaine.

Ce type de roman enseigne donc effectivement une leçon : à l’époque de ce courant, il dépeignait tout à fait la société contemporaine et ses tares, et constituait ainsi la possibilité d’avoir du recul sur les mœurs alors en usage.

Aujourd’hui, le lecteur peut apprendre les relations sociales de l’époque, mais aussi certaines leçons de morales toujours actuelles.

Grivel a raison : le roman est didactique.

Mais peut -on rester si catégorique lorsque l’on sait, d’une part que d’autres genres sont plus efficaces pour l’apprentissage, et d’autre part que le roman a une grande fonction de divertissement ? En effet, avant que la l’alphabétisation soit répandue, que les écrits soit accessibles à tous après avoir longtemps été écrits seulement en latin et donc réservés aux intellectuels, que l’imprimerie permette une plus grande diffusion des ouvrages, les histoires et les légendes se transmettaient oralement.

Bien souvent, ces récits oraux n’étaient pas destinés uniquement à raconter une histoire, mais aussi à dispenser une leçon de morale.

Or, lorsque cette tradition orale a pu être marquée sur le papier, les héritiers ont plutôt été le conte et l’épopée que le roman qui, lui, est plutôt destiné à la lecture individuelle ; il a d’ailleurs commencé à être écrit en prose dès la fin du XIIe siècle.

Le roman n’a donc pas de vocation première, semble-t -il, à l’enseignement. D’ailleurs, les idées philosophiques sont plutôt diffusées par les contes philosophiques.

Le dialogue est également une forme privilégiée pour dispenser une leçon : il est plus compréhensible et permet de mettre en relief plusieurs thèses de façon crédibles puisque plusieurs personnages entrent en jeu, et fait évoluer l’argumentation de manière plus active, comme on le constate par exemple dans Le banquet de Platon où de nombreux avis sont mis en confrontation ; signalons aussi que par le dialogue, l’auteur anticipe les contre-argumentations de ses adversaires en y répondant instantanément par l’intervention d’un autre personnage. En plus de ne pas être initialement dédié à l’enseignement, le roman renferme de nombreux sous-genres exclusivement fictifs.

La science-fiction, le fantastique ou le merveilleux n’ont pas pour but premier de dispenser une leçon.

Même si, comme on l’a vu, certains lecteurs peuvent s’identifier à un personnage, la structure globale d’un tel roman exclue rationnellement toute volonté de rechercher la vérité ou d’apprendre une leçon ; l’accent est mis sur les descriptions des lieux imaginaires, ou sur l’enchaînement d’actions parfois impossibles ou simplement invraisemblables de par leur grand nombre en un temps restreint.

Il est vrai que le fictif et l’invraisemblable, éléments essentiels du roman à ses débuts, ont été peu à peu abandonnés et qu’aujourd’hui encore ce ne sont. »

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