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DÉPRAVATION, substantif féminin.

Publié le 07/01/2016

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DÉPRAVATION, substantif féminin.  

I.—  Vieux. 

A.—  Altération grave d'un organe ou d'une substance physique, physiologique dont le fonctionnement ou l'état a perdu sa force ou sa forme originelle. La dépravation du sang, de l'estomac, de la digestion (Dictionnaire de l'Académie française.  1878).  La dépravation de leurs organes (LOUIS REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale,  1842, page 222 ). 

—  Spécialement. Dépravation sensorielle. \" Attirance vers ce qui normalement répugne \" (Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (PAUL ROBERT)). Vraiment la dépravation de l'odorat, le cynisme de la vue (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 1, 1855, page 189 ). 

B.—  Par analogie. 

1. [En parlant d'un instrument]  Bidault-Coquille (...) observait le ciel à travers une mauvaise lunette (...). Son génie corrigeait les erreurs des instruments et son amour de la science triomphait de la dépravation des appareils (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 287 ). 

2. [En parlant d'un texte]  Altération grave causée par une reproduction non conforme à l'original. M. Monmerqué avait dès longtemps en main toutes les preuves de la corruption, et, comme auraient dit nos vieux éditeurs, de la dépravation du texte-Sévigné (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, tome 1, 1863-69, page 281 ). 

II.—  Usuel. 

A.—  [Sans complément déterminatif] 

1. Attitude et comportement habituellement dénué de sens moral en particulier dans le domaine de la vie sexuelle. Dépravation complaisante, monstrueuse, profonde; la science, les pudeurs de la dépravation; tomber dans la dépravation. Ma rageuse passion imposait à la très chère les plus cruelles pratiques de la dépravation, les plus hideuses besognes de l'obscénité (OSCAR VLADISLAS DE LUBICZ-MILOSZ, L'Amoureuse initiation,  1910, page 105 ). Entre la dépravation et le mariage, il ne concevait pas d'état moyen (ÉMILE HERZOG, DIT ANDRÉ MAUROIS, Ariel ou la vie de Shelley,  1923, page 212) : 

Ø 1. Mme.  Marneffe est donc en quelque sorte le type de ces ambitieuses courtisanes mariées qui, de prime abord, acceptent la dépravation dans toutes ses conséquences, et qui sont décidées à faire fortune en s'amusant, sans scrupule sur les moyens; mais elles ont presque toujours, comme Mme.  Marneffe, leurs maris pour embaucheurs et pour complices.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 140. 

—  En particulier. Il me fallut, (...) apprendre qu'elle [l'amitié] était accompagnée de cette déviation insensée ou maladive dont Cicéron disait : Quis est enim iste amor amicitiæ? Cela me causa une sorte de frayeur, comme tout ce qui porte le caractère de l'égarement et de la dépravation (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855, page 91 ). Les manifestations érotiques des garçons n'étaient pas seulement verbales ou mimées. (...) ils s'intéressaient aussi bien au sodomisme et autres dépravations qu'à la simple tradition familiale (MARCEL AYMÉ, La Jument verte,  1933, page 147 ). 

·    [Par référence au dogme du péché originel]  La désobéissance biblique, (...) a introduit dans le monde intellectuel le mal moral, et dans le monde physique la dépravation matérielle; ces deux mondes s'étant altérés à la fois (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND,Mémoires d'Outre-Tombe, tome 1, 1848, page 631) : 

Ø 2. [BÉATRIX :] —  Quand pour rendre les hommes heureux, leur plaire et dissiper leurs ennuis, nous demandons au diable de nous aider...

—  Les hommes nous reprochent plus tard nos efforts et nos tentatives en les croyant dictés par le génie de la dépravation, dit Camille...

HONORÉ DE BALZAC, Béatrix,  1839-45, page 203. 

·    [Par référence aux idées de Jean-Jacques Rousseau sur l'origine du mal, confer dépraver II A 2 b]  L'innocence de l'homme, corrélative à celle de la dépravation de la société (PROUDHON, Système de contradictions économiques, tome 1, 1846, page 325) On opposait la nature à l'ascétisme, la bonté congénitale de l'homme au péché originel; on imputait à la société la dépravation qui l'altérait, et on vantait les mérites du bon sauvage (HENRI LEFEBVRE, La Révolution française,  1963, page 79 ). 

—  Non péjoratif. Ce que nous appelons la dépravation, l'anormal, sont la marque des âmes extraordinaires, de celles par qui s'accomplissent les grandes transmutations de valeur (HENRI MASSIS, Jugements,  1924, page 129 ). 

2. Par métonymie. 

a) État de ce qui est dépravé, caractère dépravé. C'est une créature d'une dépravation sans bornes (HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 158 ). Ce poème de dépravation enivrait ces décadents (JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 215 ). Ma tante Chausson, (...) voyait dans cette espièglerie la preuve d'une dépravation profonde (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Petit Pierre,  1918, page 125 ). 

b) Source de dépravation. L'ennui, c'est une telle dépravation! Quelle morale tient contre l'ennui? (GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Maison de Claudine,  1922, page 191 ). 

c) Au singulier et surtout au pluriel.  Variété de dépravation; acte dénotant la dépravation. Les dépravations sexuelles; vices et dépravations; être rompu à toutes les dépravations. Une femme de quarante ans qui aimait un mineur commettait une espèce d'inceste, elle était incapable d'une pareille dépravation (HONORÉ DE BALZAC, Béatrix,  1839-45, page 62 ). Cette espérance du choc explique la plupart des dépravations, et l'attrait de l'acte sexuel en général (LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté,  1938, page 231 ). 

B.—  [Avec une détermination adjectif ou substantif (préposition de suivie ou non de l'article)] 

1. [La détermination précise l'origine de la dépravation] 

a) Dépravation + complément de nom. Soustraire à la dépravation des camaraderies scolaires (GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Claudine à Paris, 1901, page 146 ). Être livré à la dépravation des fabriques (ALPHONSE DAUDET, Jack, tome 2, 1876, page 87 ). La mort répond à cet état de dépravation du péché, et fait, par contraste, jaillir en nous la représentation d'un état libre précédant la faute (JULES VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort,  1949, page 251 ). 

b) Dépravation + adjectif. Plongé en naissant dans un foyer de dépravation domestique (EUGÈNE SUE, Les Mystères de Paris, tome 6, 1842-43, page 5 ). 

2. [La détermination précise ce qui est affecté par la dépravation] 

a) [L'être ou une partie de l'être] 

α ) [L'être]  Dépravations précoces des étiolés de la ville (JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Le roman d'un Spahi,  1881, page 31 ). Le grand lit blanc laqué qui est un piment de plus, une dépravation de vieux passionné (GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, À rebours,  1884, page 87 ). 

—  Par extension.  [Les manifestations de l'être individuel ou social]  Luther annonçait aux peuples étonnés, que ces institutions révoltantes n'étaient point le christianisme, mais en étaient la dépravation et la honte (ANTOINE MARQUIS DE CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,  1794, page 124 ). Il [Gamelin dans ces peintures] reconnaissait la dépravation monarchique et l'effet honteux de la corruption des cours (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Les Dieux ont soif,  1912, page 13 ). 

β ) [Une partie ou une fonction de l'être]  La dépravation de l'âme, des sens; les dépravations de l'esprit et de la sensibilité. La dépravation précoce de tes instincts m'épouvante sur ton origine (ALPHONSE DAUDET, Jack, tome 1, 1876, page 238 ). La régence, (...) avait été le règne de la dépravation du coeur, du dévergondage de l'esprit, de l'immoralité la plus profonde en tout genre (EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 1, 1823, page 972 ). La culture serait comme un stupéfiant de la volonté, une dépravation de l'intelligence, un vice qu'on aime (HENRI MASSIS, Jugements,  1923, page 151 ). 

b) [Domaine ou type de comportement]  Elle [l'idolâtrie] n'en était pas moins un des crimes les plus graves que l'homme put commettre, et un principe toujours agissant de dépravation morale et intellectuelle (FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, Essai sur l'indifférence en matière de religion, tome 2, 1817-23, page 305 ). 

α ) [Comportement individuel] 

—   Domaine de la vie morale.  Cette jeune personne, malgré la dépravation de ses moeurs, avoit une violente passion pour lui (STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 3, 1795, page 313 ). Dans sa dépravation morale, Zidore avait gardé un reste de tendresse et de pitié pour sa mère (MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 184 ). 

—   Domaine intellectuel ou esthétique.  Dépravation intellectuelle; dépravations de/du langage; dépravations de la sensibilité poétique. Les artistes l'accusent [le public] , le traitent d'ignorant, gémissent sur la dépravation du goût, et ils ont tort (EUGÈNE VIOLLET-LE-DUC, Entretiens sur l'architecture,  1872, page 251 ). Par un étrange renversement des valeurs et une sorte de dépravation logique, il [Gide] désire donner une explication qui lui soit favorable (HENRI MASSIS, Jugements,  1924, page 55) : 

Ø 3. Contemplant avec un égal dégoût la vérité et l'erreur, il [l'homme] affecte de croire qu'on ne les saurait discerner, afin de les confondre dans un commun mépris; dernier excès de dépravation intellectuelle où il lui soit donné d'arriver...

FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, Essai sur l'indifférence en matière de religion, tome 1, 1817-23, page 4. 

·    Non péjoratif. En vantant les délicieuses dépravations de pensée qui constituent la coquetterie parisienne, ces deux corrupteurs plaignaient d'Arthes (...) de n'avoir pas goûté les délices de la haute cuisine parisienne (HONORÉ DE BALZAC, Les Secrets de la Princesse de Cadignan,  1839, page 320 ). Le génie ne peut être qu'un vice sublime des sens de l'âme, une dépravation morale, analogue à celle des sens (JEAN COCTEAU, Poésie critique 2,  1960, page 118 ). 

—   Domaine de la vie spirituelle.  C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables (CHARLES BAUDELAIRE, Les Paradis artificiels,  1860, page 349 ). Par une sorte de dépravation des exigences naturelles que l'appétit de la béatitude a mises dans le coeur de l'homme, M. Gide nous convie à réaliser dès ici-bas la vie béatifique (HENRI MASSIS, Jugements,  1924, page 64 ). 

β ) [Comportement social]  C'était l'horrible et dégoûtante dépravation des moeurs publiques, indiquée par les mouvements des danseurs (ALPHONSE DE LAMARTINE, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur, tome 2, 1835, page 193 ). Il sentait douloureusement le mal dont souffrait l'Empire, (...) la dépravation féroce de la multitude (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Sur la pierre blanche,  1905, page 57 ). L'avilissement dans lequel la dépravation du goût public et le mercantilisme des principales scènes parisiennes avaient plongé l'art dramatique (ROGER MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques,  1955, page LXV. ). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 196. 

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