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très attirant : les opinions qu'elle exprimait me semblaient avoir le degré juste de complexité, un bel équilibre entre une rigueur non sentimentale et une humanité attendrie.

Publié le 06/01/2014

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très attirant : les opinions qu'elle exprimait me semblaient avoir le degré juste de complexité, un bel équilibre entre une rigueur non sentimentale et une humanité attendrie. Comme pour confirmer mon évaluation silencieuse, Ilana Adler a dit à ce moment-là, assez passionnément, le bras étendu comme pour embrasser l'ensemble de notre conversation, Qu'est-ce que la mémoire .; Qu'est-ce que la mémoire ? La mémoire, c'est ce dont on se souvient. Non, on change l'histoire, on « se la rappelle ». Une histoire, pas un fait. Où sont les faits ? Il y a la mémoire, il y la vérité - on ne peut pas savoir, jamais. Le moment était venu pour nous de repartir vers la gare. Matt, comme d'habitude, s'inquiétait du déclin rapide de la lumière et nous avons donc fini de boire nos cafés pour aller dehors et prendre des photos de Josef sous le panneau de parking, dont l'avertissement en hébreu, me suis-je dit avec un sourire, « faisait » Israël. Puis nous sommes montés dans la voiture de Josef. Au moment où nous nous sommes arrêtés à l'intersection de deux rues appelées Freud et Wallenberg, Josef s'est tourné vers moi et a prononcé une phrase, sans le moindre rapport avec ce dont nous parlions, qui pouvait être une explication, une justification, je n'en suis pas très sûr : Cela ne suffit pas d'être gentil avec les gens. A Bolechow, nous étions gentils avec les gens et cela ne nous a pas fait de bien.     Intensifiée et assombrie par des révélations déplaisantes, la tristesse était désormais attachée à nous, alors que nous nous dirigions vers notre ultime rendez-vous, le lendemain : l'appartement frais et obscur d'Anna Heller Stern. Encore un retour épuisant et mélancolique dans un endroit déjà vu. Une fois encore, elle avait préparé un plateau très élaboré de pâtisseries et de gâteaux secs ; une fois encore, elle a tourné autour de nous en s'assurant que nous avions assez de Coca, assez de thé glacé. Une fois encore, elle nous a raconté ce dont elle se souvenait à propos de Shmiel, d'Ester et des filles. Une fois encore, elle a relaté ce qu'elle avait entendu dire à propos de Frydka et de Ciszko. Cette fois, cependant, dans la mesure où Dyzia et Klara nous avaient donné leurs souvenirs de Ciszko et de Frydka, nous avons pressé Anna d'essayer de se rappeler à quoi ressemblait le garçon polonais. Oui, a-t-elle dit, je me souviens de lui, naturellement. Il était lourd, pas très haut, et blond. Blaue augen. Solidement bâti, ai-je supposé qu'elle voulait dire ; de taille moyenne et les yeux bleus. Jusquelà, les trois femmes étaient d'accord. Il se cachait quelque part, a-t-elle ajouté spontanément, mais sans doute pas chez lui : sa mère l'aurait tué ! Il lui apportait de la nourriture. Et puis, quelqu'un les a dénoncés. C'est, du moins, ce qu'elle avait entendu dire. Elle nous a donc tout répété, une fois encore. Elle nous a fait aussi partager les péripéties de sa vie clandestine qui, à la différence de celle de Frydka, s'est bien terminée. Une fois encore, elle a montré la photo du prêtre polonais qui lui a sauvé la vie en lui donnant des faux papiers. Une fois encore, elle a montré le faux certificat de baptême, celui qui lui avait donné le nom d'Anna qu'elle avait gardé depuis. Matt a pris une photo du document. anna kucharuk, lisait-on. J'ai remarqué que la date de naissance sur le certificat venait de passer et, en souriant, j'ai dit que j'étais désolé d'avoir manqué le grand jour, si c'était bien la date réelle de son anniversaire. Anna a dit que oui, c'était bien son anniversaire. Elle venait d'avoir quatre-vingt-trois ans. Joyeux anniversaire ! avons-nous dit, tous en choeur. Matt a voulu savoir ce qu'elle comptait faire de tous ces documents. Est-ce qu'ils iraient à Yad Vashem ? Anna a répondu à Shlomo qui nous a dit, Oui, tout. Puis, avec son animation d'extraverti, Shlomo s'est mis à nous parler sur un ton passionné, trébuchant sur l'anglais et faisant de grands gestes avec les mains. Moi-même, j'ai donné tout à l'Holocaust Museum de Washington, je n'ai presque plus un original. Vous savez, je pense... je pense, quelle était la raison pour ma survie. C'était quoi ? Pourquoi des gens plus âgés que moi, plus intelligents que moi, mieux éduqués que moi n'ont pas survécu, mais moi je survis ? Surfis. Shlomo a repris son souffle et dit d'une voix plus posée, Je pense qu'il y a deux raisons : la première, c'est pour prendre ma revanche. Et la seconde, c'est pour dire, pour dire à qui veut bien entendre l'histoire de ce qui s'est passé. Nous avons hoché la tète. Il a poursuivi. Pendant des années, j'ai cru que cette vie n'était pas la vraie vie - que j'allais lever les yeux et que ma famille serait là. Je ne voulais pas faire naître des enfants dans ce monde. Quand j'étais marié, je ne voulais pas avoir des enfants ! Le grand changement s'est produit, je pense, quand j'ai fait le voyage en 96 à Bolechow, avec Jack et Bob, et les autres. Quand j'ai vu, quand j'ai vu que rien, rien n'était resté, ni nos maisons, ni rien de nos tanneries, rien n'était resté, même du jardin avec le bassin... OK, j'ai pensé, c'est ça : je ne peux pas retourner. Le passé ne peut pas revenir. Je dois l'admettre. Alors j'ai commencé à écrire. Matt et moi avons hoché la tête, et j'ai dit que je comprenais très bien. Shlomo s'est tourné vers Anna et a traduit tout ce qu'il venait de dire en yiddish, et elle a dit quelque chose de très bref. Shlomo nous a regardés. Elle a dit que son mari disait autrefois que quiconque a traversé l'Holocauste et dit qu'il est complètement normal, ment. Ce n'est pas vrai. De nouveau, Anna a parlé brièvement en yiddish. Elle dit que pendant des années, elle a été sous traitement psychiatrique ; ses enfants savent qu'ils grandissaient dans une maison où il n'y a pas de bonheur. Vous savez, dans une maison triste, les parents ne peuvent pas être heureux, parce qu'ils ont ce passé. Et ils ont compris. J'ai regardé Anna et j'ai essayé de montrer combien elle nous inspirait de la sympathie. J'ai été frappé, une fois de plus, de voir que tous les gens à qui j'avais parlé la dernière fois et qui m'avaient fait connaître tant d'histoires, tant de faits, m'offraient tout à coup, pour la première fois, ces confessions de leurs luttes avec l'angoisse psychologique, avec la peur, la panique et l'anxiété. J'ai dit, Oui, bien sûr, j'en suis sûr. Pas un foyer heureux. Le fils de Mme Begley avait dit un jour à propos de sa mère, Quelque chose en elle a été brisé, et lorsqu'il l'avait dit, j'avais pensé, Ceux qui ont été tués n'ont pas été les seuls qui ont disparu. Anna a parlé une troisième fois, assez lentement pour que je puisse comprendre sans avoir besoin de la traduction de Shlomo. Will fargessen, zol nisht fargessen, kann nisht fargessen. On veut oublier, mais on ne doit pas oublier, on ne peut pas oublier. J'ai approuvé de la tête et je lui ai expliqué que c'était exactement la raison pour laquelle nous nous étions lancés dans ce projet de parcourir le monde et de trouver les survivants de Bolechow, afin de recueillir la moindre parcelle, la moindre pépite d'information concernant notre famille. Elle nous a demandé où nous étions allés. Je lui ai dit que j'étais allé dans bien des endroits et pas seulement là où se trouvaient des anciens de Bolechow, mais ailleurs, dans des endroits où j'avais pu me faire une idée de ce qui s'était passé. Pas seulement l'Australie, mais aussi Vienne et Prague ; pas seulement Tel-Aviv, mais aussi la Lettonie, où j'avais rencontré le dernier Juif dans une petite ville à la périphérie de Riga, un homme qui s'appelait, curieusement, Mendelsohn - même si, du fait que les Mendelsohn dans ma famille n'avaient jamais parlé, du fait qu'il y avait si peu d'histoires, si peu de détails concrets sur la famille de mon père, ces Mendelsohn qui étaient venus de Riga en 1892, je n'avais aucun moyen de savoir si j'étais parent avec ce Juif de Riga du nom de Mendelsohn (c'était un homme aux cheveux blancs, au visage taillé à coups de serpe, qui, en dépit de ses quatre-vingt-dix ans, me dominait de la tête et des épaules et qui, après que nous lui avons demandé comment il traitait les vestiges d'antisémitisme dans ce pays maintenant qu'il était le seul Juif à haïr, était allé dans sa chambre pour en ressortir avec un fusil de chasse dans les mains). Pas seulement à Beer Sheva, mais aussi en Lituanie, où les fosses communes dans la forêt de Ponar, où les Juifs de Vilnius piqueniquaient autrefois, s'étaient refermées sur une centaine de milliers de ces mêmes Juifs, couchés désormais sous les pelouses où ils s'étaient assis pour prendre du bon temps. Ce retour en Israël, ai-je dit à Anna, est notre dernier voyage, maintenant que nous sommes allés voir Klara Freilich en Suède. Anna m'a regardé, puis elle a regardé Shlomo. Klara Freilich, a-t-elle dit, songeuse. Klaahh-ra FREIIII-lich. Sur le ton qu'on emploie pour dire, Ahh-HAAAhhh. Shlomo a hoché la tête et dit, Yankeles froh. La femme de Yankel. Anna a dit, Yaw. Fun Yankele will ikh nisht reydn. De Yankel, je ne veux pas parler.

« Il se cachait quelque part,a-t-elle ajoutéspontanément, maissansdoute paschez lui:sa mère l'aurait tué !Illui apportait delanourriture.

Etpuis, quelqu'un lesadénoncés.

C'est,dumoins, ce qu'elle avaitentendu dire. Elle nous adonc toutrépété, unefoisencore.

Ellenous afait aussi partager lespéripéties desa vie clandestine qui,àla différence decelle deFrydka, s'estbienterminée.

Unefoisencore, elle a montré laphoto duprêtre polonais quiluiasauvé lavie enluidonnant desfaux papiers.

Une fois encore, elleamontré lefaux certificat debaptême, celuiquiluiavait donné lenom d'Anna qu'elle avaitgardé depuis.

Mattapris une photo dudocument.

annakucharuk, lisait-on. J'ai remarqué queladate denaissance surlecertificat venaitdepasser et,ensouriant, j'aidit que j'étais désolé d'avoir manqué legrand jour,sic'était bienladate réelle deson anniversaire. Anna adit que oui,c'était biensonanniversaire.

Ellevenait d'avoir quatre-vingt-trois ans. Joyeux anniversaire ! avons-nousdit,tous enchœur. Matt avoulu savoir cequ'elle comptait fairedetous cesdocuments.

Est-cequ'ilsiraient àYad Vashem ? Anna arépondu àShlomo quinous adit, Oui, tout. Puis, avecsonanimation d'extraverti, Shlomos'estmisànous parler surunton passionné, trébuchant surl'anglais etfaisant degrands gestesaveclesmains. Moi-même, j'aidonné toutàl'Holocaust MuseumdeWashington, jen'ai presque plusun original.

Voussavez, jepense...

jepense, quelleétaitlaraison pourmasurvie.

C'étaitquoi? Pourquoi desgens plusâgés quemoi, plusintelligents quemoi, mieux éduqués quemoi n'ont pas survécu, maismoijesurvis ? Surfis. Shlomo arepris sonsouffle etdit d'une voixplus posée, Jepense qu'ilya deux raisons :la première, c'estpour prendre marevanche.

Etlaseconde, c'estpour dire,pour direàqui veut bien entendre l'histoiredecequi s'est passé. Nous avons hoché latète.

Ilapoursuivi. Pendant desannées, j'aicru que cette vien'était paslavraie vie– que j'allais leverlesyeux et que mafamille seraitlà.

Je ne voulais pasfaire naître desenfants danscemonde.

Quand j'étais marié, jene voulais pasavoir desenfants ! Legrand changement s'estproduit, jepense, quand j'ai fait levoyage en96àBolechow, avecJacketBob, etles autres.

Quandj'aivu, quand j'aivu que rien, rienn'était resté,ninos maisons, nirien denos tanneries, rienn'était resté,même du jardin aveclebassin...

OK,j'aipensé, c'estça:je ne peux pasretourner.

Lepassé nepeut pas revenir.

Jedois l'admettre.

Alorsj'aicommencé àécrire. Matt etmoi avons hoché latête, etj'ai ditque jecomprenais trèsbien.

Shlomo s'esttourné vers Anna etatraduit toutcequ'il venait dedire enyiddish, etelle adit quelque chosedetrès bref. Shlomo nousaregardés. Elle adit que sonmari disait autrefois quequiconque atraversé l'Holocauste etdit qu'il est complètement normal,ment.Cen'est pasvrai. De nouveau, Annaaparlé brièvement enyiddish.. »

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