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XIX NALIKE Nalike, capitale du pays caduveo, se trouve à cent cinquante kilomètres environ de Guaycurus, soit trois jours de cheval.

Publié le 06/01/2014

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XIX NALIKE Nalike, capitale du pays caduveo, se trouve à cent cinquante kilomètres environ de Guaycurus, soit trois jours de cheval. Quant aux boeufs de charge, on les expédie en avant en raison de leur marche plus lente. Pour la première étape, nous nous proposions de gravir les pentes de la Serra Bodoquena et de passer la nuit sur le plateau, dans le dernier poste de la fazenda. Très vite, on s'enfonce dans des vallées étroites, pleines de hautes herbes où les chevaux ont peine à se frayer un passage. La marche est rendue plus laborieuse encore en raison de la boue du marécage. Le cheval perd pied, lutte, rejoint la terre ferme comme il peut et où il peut, et on se retrouve encerclé par la végétation ; gare alors qu'une feuille, en apparence innocente, ne déverse l'oeuf grouillant formé par un essaim de carrapates abrité sous sa face ; les mille bestioles orangées s'insinuent sous les habits, couvrent le corps comme une nappe fluide et s'incrustent : pour la victime, le seul remède est de les gagner de vitesse, sautant au bas du cheval et se dépouillant de tous vêtements pour les battre vigoureusement, tandis qu'un compagnon scrutera sa peau. Moins catastrophiques, les gros parasites solitaires, de couleur grise, se fixent sans douleur à l'épiderme ; on les découvre au toucher, quelques heures ou quelques jours plus tard, devenus boursouflures intégrées au corps et qu'il faut amputer au couteau. Enfin, la broussaille s'éclaircit, faisant place à un chemin pierreux qui conduit par une faible pente jusqu'à une forêt sèche où se mêlent les arbres et les cactus. L'orage qui se préparait depuis le matin éclate alors que nous contournons un piton hérissé de cierges. Nous mettons pied à terre et cherchons un abri dans une fissure qui se révèle être une grotte humide, mais protectrice. À peine avons-nous pénétré qu'elle s'emplit du vrombissement des morcegos, chauves-souris qui tapissent les parois et dont nous venons troubler le sommeil. Sitôt la pluie terminée, nous reprenons la marche dans une forêt touffue et sombre, pleine d'odeurs fraîches et de fruits sauvages : genipapo à chair lourde et d'âpre saveur ; guavira des clairières, qui a la réputation de désaltérer le voyageur de sa pulpe éternellement froide, ou caju révélateurs d'anciennes plantations indigènes. Le plateau restitue l'aspect caractéristique du Mato Grosso : herbes hautes parsemées d'arbres. Nous approchons de l'étape à travers une zone marécageuse, boue fendillée par la brise où courent de petits échassiers ; un corral, une hutte, c'est le poste du Largon où nous trouvons une famille absorbée par la mise à mort d'un bezerro, jeune taureau qu'on est en train de débiter ; dans la carcasse sanguinolente qu'ils utilisent comme nacelle, deux ou trois enfants nus se vautrent et se balancent avec des cris de plaisir. Au-dessus du feu en plein vent qui brille dans le crépuscule, le churrasco rôtit et dégouline de graisse, tandis que les urubus - vautours charognards - descendus par centaines sur le lieu de carnage, disputent aux chiens le sang et les déchets. À partir du Largon, nous suivrons la « route des Indiens » ; la serra se montre très raide à la descente ; il faut aller à pied, guidant les chevaux énervés par les difficultés du relief. La piste surplombe un torrent dont on entend, sans les voir, les eaux bondir sur la roche et fuir en cascades ; on glisse sur les pierres humides ou dans les flaques boueuses laissées par la dernière pluie. Enfin, au bas de la serra, nous atteignons un cirque dégagé, le campo dos Indios, où nous nous reposons un moment avec nos montures avant de repartir à travers le marécage. Dès 4 heures de l'après-midi, il faut prendre des dispositions pour l'étape. Nous repérons quelques arbres entre esquels tendre hamacs et moustiquaires ; les guides allument le feu et préparent le repas de riz et de viande séchée. ous avons si soif que nous engloutissons sans répugnance des litres de ce mélange de terre, d'eau et de permanganate ui nous sert de boisson. Le jour tombe. Derrière l'étamine salie des moustiquaires, nous contemplons un moment le ciel nflammé. À peine le sommeil est-il venu qu'on repart : à minuit, les guides qui ont déjà sellé les chevaux nous réveillent. n cette saison chaude, on doit épargner les bêtes et profiter de la fraîcheur nocturne. Sous le clair de lune, nous eprenons la piste, mal réveillés, engourdis et grelottants ; les heures passent à guetter l'approche de l'aube tandis que es chevaux trébuchent. Vers 4 heures du matin nous arrivons à Pitoko où le Service de Protection des Indiens eut utrefois un poste important. Il n'y a plus que trois maisons en ruine entre lesquelles il est tout juste possible de uspendre les hamacs. Le Rio Pitoko coule silencieux ; surgi du pantanal, il s'y perd quelques kilomètres plus loin. Cet ued des marais, sans source ni embouchure, abrite un peuple de piranhas qui sont une menace pour l'imprudent, mais 'empêchent pas l'Indien attentif de s'y baigner et d'y puiser l'eau. Car il y a encore quelques familles indiennes isséminées dans le marécage. Dorénavant, nous sommes en plein pantanal : tantôt cuvettes inondées entre des crêtes boisées, tantôt vastes tendues boueuses sans arbres. Le boeuf de selle serait préférable au cheval ; car le pesant animal, dirigé au moyen d'une corde passée dans un anneau nasal, s'il progresse lentement, supporte mieux les marches exténuantes dans le marais, ouvent enfoncé dans l'eau jusqu'au poitrail. Nous nous trouvions dans une plaine qui se prolongeait peut-être jusqu'au Rio Paraguay, si plate que l'eau ne arvenait pas à s'évacuer, quand éclata le plus violent orage qu'il m'ait été donné d'affronter. Nul abri possible, pas 'arbre aussi loin que le regard se portait ; il n'y avait rien à faire que d'avancer, aussi ruisselants et trempés que les ontures, tandis que la foudre s'abattait à droite et à gauche comme les projectiles d'un tir de barrage. Après deux eures d'épreuve, la pluie s'arrêta ; on commençait à apercevoir les grains circulant lentement à travers l'horizon comme cela se produit en haute mer. Mais déjà, à l'extrémité de la plaine, se profilait une terrasse argileuse, haute de quelques ètres et sur laquelle une dizaine de huttes se silhouettaient contre le ciel. Nous étions à Engenho, proche de Nalike, mais où nous avions décidé de résider plutôt que dans la vieille capitale, laquelle, en 1935, consistait en cinq huttes seulement. Pour l'oeil inattentif, ces hameaux différaient à peine de ceux des paysans brésiliens les plus proches, auxquels les ndigènes s'identifiaient par le vêtement, et souvent par le type physique tant la proportion de métis était forte. Pour la angue, c'était autre chose : la phonétique guaicuru procure à l'oreille une sensation plaisante : un débit précipité et des ots longs, tout en voyelles claires alternant avec des dentales, des gutturales et une abondance de phonèmes mouillés u liquides, donnent l'impression d'un ruisselet bondissant sur les galets. Le terme actuel caduveo (d'ailleurs prononcé : adiueu) est une corruption du nom dont les indigènes se désignaient eux-mêmes : Cadiguegodi. Il n'était pas question d'apprendre la langue pendant un si court séjour, bien que le portugais de nos nouveaux hôtes fût très rudimentaire. La charpente des habitations était faite de troncs écorcés plantés dans le sol et supportant les poutres dans la naissance de la première fourche, réservée par le bûcheron. Une couverture de palmes jaunies formait le toit à double pente ; mais à la différence des cabanes brésiliennes, il n'y avait pas de murs ; les constructions offraient ainsi une sorte de compromis entre les habitations des blancs (d'où avait été copiée la forme du toit) et les anciens auvents indigènes à toiture plate couverte de nattes. Les dimensions de ces habitations rudimentaires paraissaient plus significatives : peu de huttes abritaient une seule famille ; certaines, pareilles à des hangars allongés, en logeaient jusqu'à six, chacune disposant d'un secteur délimité par les poteaux de charpente et muni d'un bat-flanc de planches - un par famille - où les occupants passent le temps, assis, allongés ou accroupis parmi les cuirs de cervidés, les cotonnades, calebasses, filets, réceptacles de paille, posés, entassés, accrochés un peu partout. Dans les encoignures on apercevait les grands vases à eau décorés, reposant dans un support formé d'une fourche à trois branches plantée par l'extrémité inférieure et parfois sculptée. Fig. 1 - Vase à eau décoré en rouge clair et verni de résine noire.   Jadis, ces habitations avaient été des « maisons longues » à la manière iroquoise ; par leur aspect, quelques-unes méritaient toujours ce nom, mais les raisons de l'agrégation de plusieurs familles en une seule communauté de travail taient devenues contingentes ; il ne s'agissait plus, comme autrefois, d'une résidence matrilocale où les gendres se roupaient avec leurs femmes au foyer de leurs beaux-parents. D'ailleurs, on se sentait loin du passé dans ce misérable hameau d'où semblait avoir disparu jusqu'au souvenir de la rospérité qu'y avait rencontrée, quarante ans plus tôt, le peintre et explorateur Guido Boggiani qui y séjourna à deux reprises, en 1892 et en 1897, et laissa de ces voyages d'importants documents ethnographiques, une collection qui se rouve à Rome et un gracieux journal de route. La population des trois centres ne dépassait guère deux cents personnes, ivant de la chasse, de la collecte des fruits sauvages, de l'élevage de quelques boeufs et bêtes de basse-cour, et de la ulture des parcelles de manioc qu'on apercevait au-delà de l'unique source coulant au pied de la terrasse ; nous allions lternativement nous y débarbouiller au milieu des moustiques et puiser une eau opalescente, légèrement sucrée. À part le tressage de la paille, le tissage des ceintures de coton portées par les hommes et le martelage des pièces de onnaie - de nickel plus souvent que d'argent - pour en faire des disques et des tubes destinés à être enfilés dans les olliers, la céramique constituait l'activité principale.   Fig. 2 - Trois exemplaires de céramique caduveo.   Les femmes mêlaient l'argile du Rio Pitoko à des tessons pilés, roulaient la pâte en spirale et tapotés pour les unir usqu'à ce que la pièce soit formée ; encore fraiche, elle était décorée d'impressions en creux au moyen de cordelettes, et einte avec un oxyde de fer qu'on trouve dans la serra. Puis elle était cuite en plein vent ; après quoi, il n'y avait plus qu'à ontinuer à chaud le décor à l'aide de deux vernis de résine fondante : noir du pan santo, jaune translucide de l'angico ; la pièce une fois refroidie, on procédait à une application de poudre blanche - craie ou cendre - pour rehausser les mpressions. Pour les enfants, les femmes confectionnaient des figurines représentant des personnages ou des animaux, avec tout

« cela seproduit enhaute mer.Mais déjà, àl’extrémité delaplaine, seprofilait uneterrasse argileuse, hautedequelques mètres etsur laquelle unedizaine dehuttes sesilhouettaient contreleciel.

Nous étions àEngenho, prochedeNalike, mais oùnous avions décidé derésider plutôtquedans lavieille capitale, laquelle, en1935, consistait encinq huttes seulement.

Pour l’œilinattentif, ceshameaux différaient àpeine deceux despaysans brésiliens lesplus proches, auxquels les indigènes s’identifiaient parlevêtement, etsouvent parletype physique tantlaproportion demétis étaitforte.

Pourla langue, c’étaitautrechose : laphonétique guaicuruprocureàl’oreille unesensation plaisante : undébit précipité etdes mots longs, toutenvoyelles clairesalternant avecdesdentales, desgutturales etune abondance dephonèmes mouillés ou liquides, donnent l’impression d’unruisselet bondissant surlesgalets.

Leterme actuel caduveo (d’ailleurs prononcé : cadiueu) estune corruption dunom dont lesindigènes sedésignaient eux-mêmes : Cadiguegodi.

Iln’était pasquestion d’apprendre lalangue pendant unsicourt séjour, bienqueleportugais denos nouveaux hôtesfûttrès rudimentaire. La charpente deshabitations étaitfaitedetroncs écorcés plantésdanslesol etsupportant lespoutres dansla naissance delapremière fourche,réservée parlebûcheron.

Unecouverture depalmes jauniesformait letoit àdouble pente ; maisàla différence descabanes brésiliennes, iln’y avait pasdemurs ; lesconstructions offraientainsiunesorte de compromis entreleshabitations desblancs (d’oùavaitétécopiée laforme dutoit) etles anciens auvents indigènes à toiture platecouverte denattes. Les dimensions deces habitations rudimentaires paraissaientplussignificatives : peudehuttes abritaient uneseule famille ; certaines, pareillesàdes hangars allongés, enlogeaient jusqu’àsix,chacune disposant d’unsecteur délimité par les poteaux decharpente etmuni d’unbat-flanc deplanches –un par famille –où les occupants passentletemps, assis, allongés ouaccroupis parmilescuirs decervidés, lescotonnades, calebasses,filets,réceptacles depaille, posés, entassés, accrochés unpeu partout.

Danslesencoignures onapercevait lesgrands vasesàeau décorés, reposant dansunsupport formé d’unefourche àtrois branches plantéeparl’extrémité inférieureetparfois sculptée.

Fig. 1 – Vase àeau décoré enrouge clair et verni derésine noire.

  Jadis, ceshabitations avaientétédes « maisons longues »àla manière iroquoise ; parleur aspect, quelques-unes méritaient toujourscenom, maislesraisons del’agrégation deplusieurs famillesenune seule communauté detravail étaient devenues contingentes ; ilne s’agissait plus,comme autrefois, d’unerésidence matrilocale oùles gendres se groupaient avecleurs femmes aufoyer deleurs beaux-parents. D’ailleurs, onsesentait loindupassé danscemisérable hameaud’oùsemblait avoirdisparu jusqu’au souvenir dela prospérité qu’yavait rencontrée, quaranteansplus tôt,lepeintre etexplorateur GuidoBoggiani quiyséjourna àdeux. »

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