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1968: Une nouvelle révolution

Publié le 13/06/2011

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« Bien que plusieurs milliers d'étudiants aient pu, en tant qu'individus, à travers leur expérience de 1968, se détacher plus ou moins complètement de la place qui leur est assignée dans la société, la masse des étudiants n'en a pas été transformée. Cela, non en vertu de la platitude pseudo-marxiste qui considère comme déterminante l'origine sociale des étudiants, très majoritairement bourgeoise ou petite-bourgeoise, mais bien plutôt à cause du destin social qui définit l'étudiant : le devenir de l'étudiant est la vérité de son être. Et il est massivement fabriqué et conditionné pour le haut, le moyen ou le petit encadrement de la production industrielle moderne. L'étudiant est du reste malhonnête quand il se scandalise de "découvrir" cette logique de sa formation — qui a toujours été franchement déclarée. « Que les incertitudes économiques de son emploi optimum, et surtout la mise en question du caractère véritablement désirable des "privilèges" que la société présente peut lui offrir, aient eu un rôle dans son désarroi et sa révolte, c'est certain. Mais c'est justement en ceci que l'étudiant fournit le bétail avide de trouver sa marque de qualité dans l'idéologie de l'un ou l'autre des groupuscules bureaucratiques. L'étudiant qui se rêve bolchevik ou stalinien-conquérant (c'est-à-dire : le maoïste) joue sur les deux tableaux : il escompte bien gérer quelque fragment de la société en tant que cadre du capitalisme, par le simple résultat de ses études, si le changement du pouvoir ne vient pas répondre à ses voeux. « Et dans le cas où son rêve se réaliserait, il se voit le gérant plus glorieusement, avec un plus beau grade, en tant que cadre politique "scientifiquement" garanti. Les rêves de domination des groupuscules se traduisent souvent avec maladresse dans l'expression de mépris que leurs fanatiques croient pouvoir se permettre, vis-à-vis de quelques aspects des revendications ouvrières, qu'ils ont souvent qualifiées de simplement "alimentaires". On voit déjà poindre là, dans l'impuissance qui ferait mieux de se taire, le dédain que ces gauchistes seraient heureux de pouvoir opposer au mécontentement futur de ces mêmes travailleurs le jour où eux, spécialistes auto-patentés des intérêts généraux du prolétariat, pourraient tenir "dans leurs mains fragiles" ainsi opportunément renforcées, le pouvoir étatique et la police, comme à Cronstadt, comme à Pékin. Une fois mise à part cette perspective de ceux qui sont les porteurs de germes de bureaucraties souveraines, on ne peut rien reconnaître de sérieux aux oppositions sociologico-journalistiques entre les étudiants rebelles, qui seraient censés refuser "la société de consommation", et les ouvriers, qui seraient encore avides d'y accéder. La consommation en question n'est que celle des marchandises. C'est une consommation hiérarchique, et qui croît pour tous, mais en se hiérarchisant davantage. La baisse et la falsification de la valeur d'usage sont présentes pour tous, quoique inégalement, dans la marchandise moderne. « Tout le monde vit cette consommation des marchandises spectaculaires et réelles dans une pauvreté fondamentale, "parce qu'elle n'est pas elle-même au-delà de la privation, mais qu'elle est la privation devenue plus riche" (La Société du spectacle). Les ouvriers aussi passent leur vie à consommer le spectacle, la passivité, le mensonge idéologique et marchand. Mais en outre ils ont moins d'illusions que personne sur les conditions concrètes que leur impose, sur ce que leur coûte, dans tous les moments de leur vie, la production de tout ceci. «

Extrait de Internationale situationniste 1958-1969, Éd. Champ-Libre.

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