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Article de presse: Anthony Eden, la difficile succession d'un géant

Publié le 22/02/2012

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10 janvier 1957 - Quand Winston Churchill, le " vieux lutteur ", décide de prendre sa retraite, c'est en portant tous les espoirs de l'Angleterre conservatrice que, le 6 avril 1955, Sir Anthony se voit confier par la reine Elizabeth la succession de Sir Winston Churchill. Or, vingt et un mois plus tard, épuisé par ses échecs politiques autant que par la maladie, Sir Anthony remet sa démission à la souveraine. Rarement l'histoire de la Grande-Bretagne offre l'exemple d'un prestige ruiné en si peu de temps. Il n'était pas facile d'assumer la succession d'un géant tel que Churchill. Peut-être Eden a-t-il eu le handicap d'avoir atteint la notoriété trop tôt et d'avoir été l'héritier présomptif du pouvoir trop longtemps? Peut-être, quand il a été investi de la charge suprême, avait-il perdu le désir du pouvoir et son ambition était-elle émoussée? Ou bien la grave opération subie en 1953 l'avait-elle laissé affaibli physiquement et intellectuellement? Il est vrai que dès la fin de 1955 s'amoncellent les difficultés. Commencée dans une atmosphère de malaise économique, l'année 1956 devait s'achever dans un climat de crise politique. Les six premiers mois de l'année ont été dominés par le danger d'inflation, les six autres par les incidents du Proche-Orient. Le 4 janvier 1956, un communiqué officiel annonce que les réserves en or et en dollars de la zone sterling ont baissé de 640 millions de dollars. Quelques jours plus tard, alors que l'opinion publique est encore sous le coup de ce désastre, apparaissent les premiers signes d'une crise grave dans l'industrie automobile : les usines Austin de Birmingham réduisent leur production et introduisent la semaine de quatre jours. L'opposition réclame à grands cris des mesures énergiques et accuse Sir Anthony de mollesse, d'hésitation et d'incompétence. Mais le premier ministre ne présente aucune mesure concrète. Il faudra attendre un mois pour que le gouvernement fixe son choix sur des mesures financières classiques: le taux d'escompte de la Banque d'Angleterre passe de 4,5 % à 5,5 %, niveau qu'il n'avait pas atteint depuis 1929. Dans l'industrie, les difficultés sociales s'accumulent et des grèves se déclenchent. Avant la fin de l'année le chômage devient menaçant et l'amertume se manifeste dans tous les milieux. Sur le plan de la politique étrangère la situation n'est pas plus encourageante. Après la visite à Amman du général Sir Gerald Templer, qui se termine par un échec dans les négociations entreprises pour faire entrer la Jordanie dans le pacte de Bagdad, le général Glubb, qui depuis des années commandait la légion arabe, est expulsé par le roi Hussein. Cette fois, une partie de la presse conservatrice se joint aux travaillistes dans leurs critiques de Sir Anthony Eden, et dès lors le malaise politique ne fera qu'augmenter. Victime de Suez Après s'être rendu à Washington pour tenir avec le président Eisenhower de vaines conversations, Sir Anthony Eden reçoit à Londres au mois d'avril MM. Boulganine et Khrouchtchev. Le communiqué final donne quelques espoirs d'amélioration entre l'Est et l'Ouest, mais l'idylle est de courte durée. La visite au Caire de M. Chepilov, les envois accrus d'armes soviétiques en Egypte et en Syrie, laissent présager l'imminence de la crise. Le 18 juillet le gouvernement de Washington annonce qu'il ne participera pas au financement du barrage d'Assouan. Dans les vingt-quatre heures, la Grande-Bretagne l'imite. Le 26 juillet, le colonel Nasser nationalise la Compagnie universelle du canal de Suez. La Grande-Bretagne et la France rétorquent immédiatement en bloquant les avoirs extérieurs de la compagnie et les avoirs égyptiens déposés chez elles. Sir Anthony déclare solennellement aux Communes : " Le gouvernement de Sa Majesté ne pourra accepter aucun arrangement qui laisserait à l'avenir le canal sous le contrôle absolu d'une seule puissance, qui pourrait, comme l'ont montré les récents événements, l'exploiter au service d'une politique nationale. " Des mois de négociations s'ensuivent entre les puissances maritimes et les Egyptiens. Quand la crise entre dans sa phase aiguë, le premier ministre travaille vingt heures par jour. Il est toujours aussi impeccablement habillé, mais des traces de fatigue se lisent sur son visage. Après que les troupes israéliennes se sont emparées en quelques jours (fin octobre et début novembre) de toute la presqu'île du Sinaï, les troupes françaises et anglaises débarquent en Egypte le 5 novembre. A la suite d'un message menaçant du maréchal Boulganine à Sir Anthony Eden et à M. Mollet et d'une forte pression du président Eisenhower, qui n'avait pas été consulté sur l'initiative franco-anglaise et qui menace de vendre de la livre, l'arrêt des opérations est décidé et l'armistice proclamé. Tandis que, quelques jours plus tard, Sir Anthony part pour la Jamaïque sur l'avis de ses médecins, le gouvernement de Londres accepte l'ordre des Nations unies d'évacuer l'Egypte, où commencent à arriver les premiers contingents internationaux. Sans doute l'annonce du " cessez-le-feu " en Egypte a-t-elle été accueillie en Grande-Bretagne avec soulagement. Cependant, la crise a soulevé l'une des controverses les plus violentes que ce pays ait jamais connues. Beaucoup d'Anglais ont partagé le sentiment du premier ministre qu' " on ne peut pas toujours continuer à céder ". Mais les seuls chiffres du scrutin de la Chambre des communes, par laquelle l'action du gouvernement en Egypte a été approuvée par 323 voix contre 255, ne donnent pas une idée exacte du conflit de l'opinion et du trouble des esprits. Cette crise a dépassé les divisions naturelles des partis et a affecté toutes les fractions de la communauté nationale, y compris une partie des conservateurs. Un nombre extraordinaire de lettres et de télégrammes de protestation contre l'intervention en Egypte sont parvenus aux journaux. Certaines personnalités universitaires se sont opposées à la décision gouvernementale, tandis que l'archevêque de Canterbury mettait en doute la légalité de l'intervention franco-britannique et que les syndicats prenaient violemment à partie le chef du gouvernement. Pour leur part, M. Anthony Nutting, ministre d'Etat au Foreign Office et fidèle collaborateur du premier ministre, ainsi que Sir Edward Boyle, secrétaire au Trésor et l'un des espoirs du Parti conservateur, donnaient leur démission. De Delhi à Ottawa, plusieurs premiers ministres du Commonwealth manifestent leur désaccord. Beaucoup de réactions de l'opinion publique britannique semblent avoir été suscitées par deux considérations principales : une tradition libérale qui imprègne la plupart des esprits et la nécessité de donner une pleine expression à l'opinion quand une question de principe est en jeu. Or, dans le cas de Suez, l'intervention militaire a heurté l'opinion parce qu'elle apparaissait comme un écart soudain de la politique britannique traditionnelle. Ce fut le cas de milieux qui n'ont aucun penchant pour l' " appeasement " de type munichois mais qui, comme M. Gaitskell, ont estimé que la saisie du canal ne justifiait pas une guerre. Le 20 novembre, Sir Anthony Eden, souffrant d'un grave surmenage, interrompt toutes ses activités et s'envole avec lady Eden pour la Jamaïque. Mais, peu de temps après son retour, le 9 janvier 1957, il n'a pas réussi à " récupérer " suffisamment et il démissionne. Sa vie politique était finie. On ne peut pas dire que le peuple anglais lui ait tenu rigueur de son échec de Suez, car, en décidant l'expédition de Port-Saïd, le premier ministre avait assez largement incarné les aspirations d'un peuple qui, au fond de son coeur, était las d'une longue série de reculs. La raison du départ de Sir Anthony était, au fond, extérieure à la Grande-Bretagne : le premier ministre avait attaché son nom à une politique qui renouait avec les traditions de l'Angleterre impériale, d'une Angleterre qui avait été en mesure de résister toute seule, seize ans auparavant, à la furie d'un dictateur déchaîné. Mais la Grande-Bretagne de 1956 n'était pas celle de 1940. JEAN KNECHT Le Monde du 16-17 janvier 1977

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