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N' y a t-il de beauté que de l'inutile ?

Publié le 27/02/2008

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Analyse :   • Etymologiquement, le terme « beau » renvoie au latin bellus et bonus. Cette association entre le beau et le bon se retrouve dans des expressions courantes comme « bel et bien ». Elle est également présente dans la tradition philosophique. Socrate qualifie, dans l'Hippias majeur, de « belle » une cuiller de figuier plus apte à tourner la soupe qu'une cuiller d'or. Dans la Critique de la faculté de juger, Kant désigne par la notion de beauté adhérente celle qui correspond à une fin bonne. Un beau cheval de course est celui dont on admire la fine musculature et l'aptitude à gagner des courses. Le beau est donc utile au sens où il est une puissance capable de viser une fin bonne. • Néanmoins deux caractéristiques du beau remettent en cause l'identification du beau au bon : son hétérogénéité et sa singularité. Devant la diversité des belles choses, il semble difficile de regrouper tout ce qui est qualifié de « beau » sous le même concept d'utilité. Peut-on parler d'une utilité identique pour de beaux couverts ou un beau meuble et une fugue de Bach? Davantage, la vraie beauté rayonne par son originalité et sa singularité. Cela lui donne le privilège de capter toute notre attention et parfois d'emporter notre dévotion à tel point que nous sommes prêts à faire de grands sacrifices pour se l'approprier et d'exiger des autres qu'ils partagent notre enthousiasme. On reconnaît dans la dévotion sacrificielle et l'ouverture à l'universalité un enjeu spirituel. Mais peut-on encore parler « d'utilité » ?     Problématique :   • Pourquoi le beau ne peut-être utile au sens où il permet de satisfaire des intérêts communs ? Mais le beau n'a-t-il pas le privilège de satisfaire les intérêts supérieurs de l'esprit ? Or ne faut-il pas dépasser le beau canonique en intégrant ce qui lui est opposé pour vraiment réaliser une dimension spirituelle ?

« 3-Le beau satisfait notre intérêt spirituel.

• Si l'on identifie le beau à l'inutile, on est conduit à soutenir un relativisme absolu.

C'est ce que le montre le geste de Duchamp qui promeut au rang« d'œuvre d'art » un urinoir simplement en l'exposant dans un musée.

Par contraposition, la discrimination du beau implique une utilité ou un sens.• Davantage, on peut soutenir, comme Kandinsky, dans Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier , que des œuvres apparemment dénuées de sens sont celles qui en ont le plus.

Ce constat résulte de la contradiction entre l'exigence spirituelle et l'habitude du regard.

Ce dernier est attaché à ce quiest extérieur, alors que l'accès au spirituel passe par la conformité à cette règle : appauvrir l'extérieur, c'est enrichir l'intérieur.

C'est aussi pour cela que Kandinsky voit dans l'art "le langage qui parle à l'âme, dans la forme qui lui est propre." L'art est vision personnelle du monde etnous voyons le monde dans une oeuvre d'art par les yeux du peintre.

Merleau-Ponty compare la vision du monde dans une oeuvre d'art à la vision que nousavons de quelque chose à travers de l'eau.

"Quand je vois à travers l'épaisseur de l'eau le carrelage au fond de la piscine, je ne le vois pas malgré l'eau, lesreflets, je le vois justement à travers eux, par eux." Il en est de même pour le peintre.

Nous ne voyons par le monde extérieur, mais le monde intérieur dupeintre qui est comme "transpercé par l'univers".

• On trouve, dans l' Esthétique de Hegel, une expression philosophique de cette règle par l' analyse de l'art romantique.

Pour Hegel l'art romantique succède au beau idéal de l'art classique de la Grèce et achève le développement de l'idée du beau.

Cet art, qui regroupe la totalité de l'art médiéval et modernedepuis les origines du christianisme, comprend que les intérêts de l'esprit ne peuvent être réalisés que si le beau implique, intègre ce qui lui est opposé : lemal, la mort, le grotesque, le laid.

Plus précisément, Hegel rompt avec Kant, pour qui la beauté naturelle tient une large part.

La contemplation de la belle nature accordemystérieusement l'imagination et l'entendement.

Hegel rejette la beauté naturelle, car la beauté artistique étant unproduit de l'esprit lui est nécessairement supérieure.

C'est pour nous et non en soi et pour soi qu'un être naturel peutêtre beau.

L'imitation de la nature n'est donc pas de l'art, tout au plus un exercice d'habileté, par lequel on imite leCréateur.

Il y a plus de plaisir à fabriquer des outils ou des machines qu'à peindre un coucher de soleil.

La valeur de l'artest tout autre : c'est l'esprit à l'oeuvre, qui s'arrache de la nature en la niant.

Au moyen de l'art, l'homme se sépare de lanature et se pose comme distinct.

L'art peut donc faire l'objet d'une science, pense Hegel, il suffit d'en montrer lanécessité rationnelle dans l'histoire de l'humanité.

L'oeuvre d'art ne décrit pas une réalité donnée, elle n'est pas faitepour notre plaisir, mais l'art est en son essence une intériorité qui cherche à s'exprimer, à se manifester ; c'est uncontenu qui cherche une forme, un sens qui veut se rendre matériel.

On ne peut le condamner pour son apparence, car ilfaut bien à la vérité une manière de se montrer.

L'art étant historiquement la première incarnation de l'esprit, il seconfond d'abord à la religion : la religion grecque est l'art grec lui-même.

Ce sont Homère et Hésiode qui ont inventé lesdieux grecs.

Cet âge d'or de l'art, que Hegel définit comme "classique", sera dépassé par l'art romantique avecl'apparition du christianisme.

La religion chrétienne est essentiellement anthropomorphique : le divin est le C hrist, soitune pure individualité charnelle, qui a souffert et qui est morte en croix.

Seul l'art peut ici donner une représentationcharnelle de ce divin, dont le passage historique a été fugitif, et si l'art est mort dans notre société moderne, c'estprobablement pour la raison que la spiritualité chrétienne ne suffit plus tout à fait aux besoins de l'esprit. Le beau est une idée, soit l'unité d'un concept et de la réalité.

Le concept est l'âme tandis que la réalité en estl'enveloppe charnelle.

Le beau est donc la manifestation sensible de cette unité ; il exprime une réconciliation.

Il estnaturel qu'il échappe à l'entendement qui sépare et qui divise, de même qu'à la volonté qui cherche à soumettre l'objet àses propres intérêts.

Tout ce qui est libre, indépendant, infini, conforme à la seule nécessité de son concept, peut êtredit beau.

De plus, un bel objet est vrai, puisqu'il est conforme à son être.

C ela implique qu'aucun organisme vivant ne pourra être beau, parce que soumis aubesoin, il n'a pas de véritable liberté.

Seule la beauté artistique peut être accomplie : elle représente l'idéal.

L'idéal est soustrait de la vie quotidienneimparfaite et inauthentique.

Il incarne l'universel dans l'individualité absolument libre et sereine : le symbole en est l'individualité apollinienne, perfectiond'harmonie et de forme, sérénité conquise sur la douleur.

En un sens, cette beauté idéale est hors du temps et de l'histoire, symbole de l'éternité.

Si cetidéal de beauté est désormais révolu, alors qu'il culminait dans l'art grec, c'est que l'organisation sociale et la production économique sont devenuesprévalentes, soudant les individus dans des rapports de besoin, d'échange et de travail complexes et étroits.

L'Idéal ne peut plus s'incarner dans l'art, ils'est incarné dans l'État et la politique à la fin du xixe siècle et au cours du xxe siècle.

On peut toutefois remarquer qu'à notre époque présente, ces deuxformations ne semblent plus animées par les aspirations spirituelles les plus hautes des individus et de la collectivité.

Nous vivons dans l'ère du nihilismeque Nietzsche avait diagnostiquée à la fin du xixe siècle. • Ce rapport entre le beau et le spirituel a été magistralement exprimé par Baudelaire.

Que serait les fleurs du mal sans le spleen ? Et pourtant quelle force spirituelle déployée dans ces vers : « Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité ! » ( Les Phares ). Conclusion : • Le beau est inutile pour satisfaire les intérêts communs de l'homme.

On ne peut trouver en lui des moyens pour combler nos besoins matériels, énoncerdes règles de moralité ou découvrir des lois scientifiques.

Néanmoins, cela n'implique pas qu'il exclut tout intérêt.

Mais il ne peut satisfaire pleinement lesintérêts de l'esprit qu'en renonçant au beau idéal, canonique et académique et en intégrant le mal et le laid.. »

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