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Cours sur les lumière

Publié le 04/04/2011

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 Emmanuel Kant (1724-1804), Qu'est-ce que les Lumières? (1784).

 

Ce court opuscule d’une dizaine de pages est une œuvre de vulgarisation qui dresse le bilan de l’Aufklärung (équivalent allemand de ce que l’on entend par Les Lumières). Kant s’interroge sur ce qui fait la spécificité de ce mouvement et qu’il résume par une formule reprise au poète latin Horace : Sapere aude, « ose connaitre »

 

       Qu'est-ce que les Lumières? - La sortie de l'homme de sa minorité, dont il porte lui-même la responsabilité. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable s'il est vrai que la cause en réside non dans une insuffisance de l'entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction d'autrui. Sapere aude, « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », telle est la devise des Lumières.

        Paresse et lâcheté sont les causes qui font que beaucoup d'hommes aiment à demeurer mineurs leur vie durant, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes) et c'est ce qui explique pourquoi il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si confortable d'être mineur! Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un directeur de conscience qui me fient lieu de conscience morale, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., quel besoin ai-je alors de me mettre en peine? Je n'ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer; d'autres se chargeront bien de cette pénible besogne. Que la grande majorité des hommes (y compris le beau sexe tout entier) tienne pour très dangereux le pas qui mène vers la majorité - ce qui lui est d'ailleurs si pénible -, c'est ce à quoi veillent les tuteurs qui, dans leur grande bienveillance, se sont attribué un droit de regard sur ces hommes. Ils commencent par rendre stupide leur bétail et par veiller soigneusement à ce que ces paisibles créatures n'osent faire le moindre pas hors du parc où elles sont enfermées. Ils leur font voir ensuite le danger dont elles sont menacées si elles tentent de marcher seules. Ce danger n'est pourtant pas si grand: après quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher. Mais un tel exemple rend cependant timide et dissuade ordinairement de toute autre tentative ultérieure. Il est donc difficile à chaque homme pris individuellement de parvenir à sortir d'une minorité qui est presque devenue pour lui une nature. Et même il y a pris goût et il est pour le moment incapable de se servir de son propre entendement puisqu'on ne lui en a jamais laissé faire la tentative. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques d'un usage de la raison, ou plutôt du mauvais usage des dons naturels, sont les fers qui enchaînent une minorité qui se prolonge. Mais celui qui secouerait ces chaînes ne saurait faire qu'un saut maladroit par-dessus le fossé le plus étroit, parce qu'il n'est pas encore habitué à pareille liberté de mouvement. Aussi peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dégager de la minorité par un travail de transformation opéré sur leur propre esprit, et à faire tout de même un parcours assuré.

 

Sapere aude, « ose connaître ».

Naturaliter maiorennes, adultes du point de vue naturel.

 

Emmanuel Kant, Qu'est-ce que les Lumières ?, 1784. Coll. « Les Intégrales », © Nathan.

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