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Cours: LA VIOLENCE (e de g)

Publié le 22/02/2012

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II) VALEUR DE LA VIOLENCE

- Comment évaluer le phénomène de la violence ? Est-elle toujours condamnable et destructrice ? La violence se réduit-elle toujours, dans tous les cas, à une puissance corrompue, à base de colère, par laquelle j’exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte qu’il réalise ce qui est contraire à sa volonté et à ses fins ? A côté d’une violence nue et gratuite, n’est-il pas une violence qui se transforme en médiation et moyen de la raison et du droit ? En ce sens, n’y a-t-il pas une violence légitime, fondée en droit et moralement acceptable ? En clair, la violence est-elle toujours signe de faiblesse ? L’enjeu de la question est considérable dans la mesure où elle nous interroge sur l’idée d’un droit à la révolte.

A) L’AMBIGUITE DE LA VIOLENCE

- La violence incarne un phénomène ambigü par excellence, simultanément destructeur et créateur.

1) Un phénomène destructeur

- La définition de la violence dont nous sommes partis (une puissance corrompue, à base de colère, par laquelle j’exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte qu’il réalise ce qui est contraire à sa volonté et à ses fins) semble la vouer à une oeuvre de mort et d e destruction.

- En effet, tout semble opposer la violence à la raison productrice de sens, de vérité et de concorde. A la différence de la force, qui se révèle énergie constructrice et forte, la violence, comme impatience dans la relation à autrui, est, nous l’avons dit dans l’introduction, l’énergie du désespoir, qui choisit le moyen extrême pour forcer l’adhésion et qui détruit la rationalité, le cours normal de la relation intersubjective. On peut d’abord opposer violence et raison, à la façon d’Eric Weil : l’homme violent cherche à imposer son discours individuel aux autres, quand l’homme raisonnable cherche à constituer avec les autres un discours universel, valable en droit pour tous les hommes.

- La violence donne naissance au monde de la terreur, de la raison du plus fort et, comme l’ont bien perçu les grecs, il y a en elle de la démesure. Il y a violence dès lors que le dialogue, la réciprocité sont rompus et que  la personne humaine n’est plus considérée comme une fin en soi mais comme un moyen. Exemple du totalitarisme nazi qui est tout entier construit sur une logique de mort, d’anéantissement, de destruction : destruction des livres, brûlés par autodafé, mort des écrivains, des groupes sociaux, entreprise d’extermination, atteinte permanente à l’intégrité des personnes qui sont acculées au suicide (exempel de l’écrivain autrichien Stefan Zweig qui se suicide en 1942, profondément marqué par le nazisme). Nous verrons, dans le cours sur l’Etat, que le totalitarisme opère par la médiation de la violence nue, irrationnelle (même si elle est organisée rationnellement).

- Tout semble donc faire de la violence une puissance destructrice et donc condamnable qui est destructrice de l’humain, de l’esprit, de la vie spirituelle, de l’idée créatrice. Mais ne faut-il pas distinguer une violence négative, destructrice, oeuvre de mort et de la mort, et uen violence constructrice et fondatrice ? La violence ne peut-elle pas représenter une médiation fréquente de la raison et de la justice ?

2)     Positivité de la violence

- Les analyses sur les racines de la violence nous ont montré l’ambigüité profonde de la violence, à la fois destructrice et créatrice. Nous avons vu avec Hegel que la conscience et le processus historiques se créent positivement à travers la lutte violente pour la reconnaissance. La vie commune des hommes, l’humanité, sort de la violence négatrice. La lutte à mort des consciences en vue de la reconnaissance est simultanément destructrice et créatrice.

- D’une façon générale, Hegel, à la suite de Héraclite, montre que la violence exprime la dialectique de l’univers mobile et changeant. Cette dialectique désigne le processus des choses s’enrichissant par contradictions surmontées, par intégration, de la thèse (affirmation), de l’antithèse (négation) dans la synthèse ? La violence exprime la dialectique des contraires, ce qui permet de comprendre l’ambiguïté de la violence, à la fois créatrice et destructrice, expression des contradictions immanentes à la temporalité, à l’histoire, à la condition humaine.

- Nous allons voir dans les développements qui suivent que la violence est aussi un moyen nécessaire d’une politique rationnelle, de la raison et de la justice, qu’elle n’est pas seulement solution du désespoir mais puissance destinée à faire ressurgir le droit lorsque celui-ci est menacé. En ce sens, elle n’est pas signe de faiblesse mais de force. Idée d’une violence légitime et constructrice : exemples de la violence révolutionnaire qui permet d’accoucher de nouvelles formes sociales, des guerres de libération, de la révolte en général, de la violence pénale dans certains cas.

B) VIOLENCE ET POLITIQUE

- La question se pose de l’usage légal et légitime de la violence. Il est, en effet, des cas où la violence semble se justifier (légitime violence ou résistance à l’oppression). D’une manière générale, l’Etat revendique un emploi légal et légitime de la violence qui se transforme alors en puissance souveraine, c’est-à-dire en force. S’il peut y avoir un droit à la violence, l’Etat n’en est-il pas le dépositaire ? Lire, pour approfondissement, le cours sur le droit et la justice (chapitres consacrés au rapport du droit et de la violence et à la question du droit de révolte).

1) La violence à l’origine du pouvoir politique

- Selon  Rousseau, la violence est fondatrice de l’ordre politique. C’est par l’acte d’appropriation, en effet, que tout commença (« Le premier qui, ayant enclos un terrain… «). Cet acte d’appropriation entraîne l’institutionnalisation de l’injustice, la confiscation des richesses par une minorité, la confirmation de leur puissance par l’Etat et par ses lois. Cette violence paraît légitime puisqu’elle entraîne un consentement - condition de tout pacte social, de tout droit authentique (la légitimité comme reconnaissance du pouvoir par le peuple). Mais cet acte est, en réalité, foncièrement illégitime, puisqu’il repose sur une duperie. Il s’agit d’un faux contrat social (exemple de la prétendue soumission volontaire d’un peuple à un maître selon Grotius ou du soi-disant acte de vente qui présiderait à l’esclavage selon Pufendorf). Tout droit résultant de la tromperie peut bien être légal, il n’est pas légitime, c’est-à-dire moralement acceptable. 

- Dans le Léviathan, Hobbes distingue l’ordre de la nature et celui de la société politique . C’est le premier qui incarne la violence et la barbarie : homo homini lupus (l’homme est un loup pour l’homme). Le pouvoir politique et l’Etat représentent des instruments destinés à mettre fin à cette violence naturelle. L’Etat naît, selon Hobbes, de la violence, de la nécessité de maîtriser la barbarie première. En retour, l’Etat exerce une souveraineté absolue, un pouvoir illimité.

- Pour Marx et Engels également, dès l’origine l’Etat est fondamentalement violent, car il impose le diktat de la classe dominante aux classes dominées; il assure les conditions de l’exploitation économique de la force de travail, mais dissimule cet état de fait en se faisant passer pour le garant de l’ordre et de l’universel.

- Selon Engels, la violence est historiquement liée à l’exploitation de la force de travail de l’esclave rendue nécessaire par la division du travail. La première division du travail a consisté dans le passage du communisme primitif (chasse-pêche) au mode de production des tribus de pasteurs (élevage). L’accroissement de la production (élevage, agriculture, métiers domestiques) a rendu indispensable l’acquisition de nouvelles forces productives. La guerre fut la violence primitive qui fournit une main d’oeuvre servile à la société désormais divisée en deux classes (maîtres-esclaves). L’Etat sera alors l’organisme chargé d’assurer le bon fonctionnement du mode de production par la domination politique. L’Etat invoque la nécessité et la légitimité du recours à la force publique au nom de la sûreté nationale (prévention, répression, protection privée…), alors que  celle-ci repose sur la violence (aliénation, soumission, exploitation).

- A l’origine du politique, la violence est aussi dans la fin et les moyens du politique.

2) La violence dans la fin et les moyens de l’Etat

- L’Etat est-il institué pour résoudre la violence, prévenir ou réprimer tout état de guerre intérieure ou extérieure ? L’Etat est , selon Max Weber, l’organisation qui revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence légitime”.

- Selon Rousseau, l’Etat fondé sur l’emploi illégitime de la force, c’est-à-dire de la violence, est menacé d’insurrection : la force n’existe que dans un rapport de forces qui peut toujours s’inverser parce qu’il est miné de l’intérieur. « Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien; sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le  secoue, il fait encore mieux : car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre ou bien on ne l’était point à la lui ôter « (Du contrat social, livre I, chap.I).

- Absurdité du droit du plus fort, la force ne fait pas droit.

1.     – « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir… « La force a par nature un caractère instable : le plus fort exerce sa domination aussi longtemps qu’il ne rencontre pas un plus fort que lui; elle a donc besoin de l’artifice du droit pour dépasser cette caducité (faire croire que la soumission n’a pas pour motif la seule force physique mais la référence à un principe de légitimité).

2.     - Il y a contradiction entre les termes “force” et “droit” : la force produit ses effets avec nécessité; céder à la force est un fait inévitable et prévisible, qui est contenu dans la force comme l’effet dans la cause. D’un fait on ne peut tirer une norme : obéir au plus fort n’est pas un devoir, c’est tout au plus une nécessité, et celui qui dispose d’une supériorité physique n’est pas en droit d’imposer quoi que ce soit. La relation au droit, à l’opposé, suppose une autorisation ou une injonction qui peut être ou non suivie d’effets : elle n’est efficace qu’en vertu de l’adhésion de la volonté et suppose donc la liberté du sujet.

3.     - La conséquence est qu’il n’y a pas plus d’obligation d’obéir à celui qui exerce un pouvoir par la force qu’à un brigand, et que désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner quand on souffre d’une maladie.

- Cependant, le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de loi. Mais le droit a ceci de caractéristique qu’il transforme essentiellement la nature de la force: le droit use de la force pour sanctionner une transgression et non comme motif des actions; la force est alors proportionnée et son usage est décrété par une puissance impartiale. Exemple de la sanction pénale . Le droit suppose ainsi une puissance publique, supérieure aux rapports de force qui régissent inévitablement les rapports interindividuels. Qu’est-ce, en effet, qu’un droit dont le respect n’est pas assuré ? Comment assurer le respect du droit si les sujets de droit ne sont pas soumis à une autorité commune ? Si la loi ne s’applique pas à tous et si personne n’est en mesure de la faire respecter, on passe du droit à la force sans délai.

- C’est dire que le droit ne peut exister sans la loi positive garantie par la l’autorité publique. Problème de la violence légale et du droit de punir.

- Si l’idée de droit équivaut à un désaveu de la violence, la violence est présente à la source même du droit, dans son exercice et notamment dans les sanctions prévues contre ceux qui violent le droit. Ainsi le droit pénal ne punit-il la violence des citoyens qu’en exerçant la violence à son tour. Mais le droit transforme la violence en force par un processus de rationalisation, de légalisation et de légitimation. On ne confondra donc pas sanction et vengeance, de même que la peine de mort ne saurait être assimilée à un seul assassinat de la part de l’Etat.  Certes, plus les lois sont justes et moins la contrainte est nécessaire. Mais le droit doit avoir force de loi s’il ne veut pas rester lettre morte et se réduire à une belle intention. La sanction semble alors justifiée par la possibilité permanente, inscrite dans la notion de loi elle-même, de la transgression, de la désobéissance, qui renvoient à l’égoïsme ou à la méchanceté de l’homme. Le problème est alors posé du droit de punir, de la violence pénale, de la sanction juste : pourquoi punir et de quelle manière ?

- Le précepte du droit est que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même «. S’il peut sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, de  « vendetta « (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute passion.

- Pour conjurer la violence paroxystique et échapper à la loi du plus fort, il faut placer les rapports entre les hommes sous la juridiction d’un Etat de droit, où doit prévaloir la norme de ce qui doit être, conformément à une exigence de justice. Toute infraction, après avoir été dûment établie et caractérisée, doit être sanctionnée conformément à la loi , et non selon l’appréciation personnelle ou le désir de vengeance de la victime. Placer ainsi toute punition sur le plan de la loi, c’est lui assurer sa force et sa légitimité : nul n’en peut contester le principe ou l’application (sauf sur le plan et par les moyens du droit) dès lors qu’elle s’impose à tous de la même façon. Cette rationalisation de la violence par le droit aboutit historiquement à une rationalisation progressive des sociétés qui tendent à devenir de moins en moins violentes et à régler leurs différends par les dispositions rationnelles du droit.

- On peut dire également que l’Etat normalise la violence, il la contrôle et s’en sert pour protéger ou accroître sa puissance. L’Etat réalise une édulcoration progressive de la violence qui passe par trois étapes : la réglementation (ex : duels), la “violence civilisée” (ex : grèves, lock-out), la politique (ex : élections, débats). Il y a ici sublimation car la destructivité est détournée de son but premier pour participer à la vie et à l’organisation de la société, ce qui ne signifie pas une élimination de la violence (la grève, par exemple, est une manifestation de force qui s’inscrit dans un rapport de force avec le pouvoir de l’entreprise ou le pouvoir politique, et qui est juridiquement réglementée en tant que droit imprescriptible des démocraties). La politique est alors la tentative constante d’éliminer la violence physique, de donner aux antagonismes sociaux des moyens d’expression moins rudes, moins brutaux.

- Les marxistes pensent que la violence de l’Etat n’est pas une pratique partielle ou accidentelle dans son mode de fonctionnement normal parce qu’il est dictatorial par essence. L’Etat n’est qu’une supertsructure édifiée pour imposer politiquement le diktat de la classe dominante. Les moyens de soumission de l’Etat sont ses appareils de répression (armée, police) et ses appareils idéologiques (le droit, l’école, la famille), comme le souligne Louis Althusser. L’Etat fonctionne ainsi à la violence physique ou idéologique pour entretenir la violence économique.

- Dans le mode de production capitaliste, la violence économique est dissimulée sous la forme juridique du contrat de travail. Sous l’apparence d’un échange égalitaire et librement consenti, ce contrat normalise l’aliénation de la force de travail de l’ouvrier contre un salaire qui ne permet que la reproduction de cette force, tandis que le patron tire tout le profit de la richesse qu’elle produit. La violence économique est une nécessité du mode de production capitaliste. A cette violence illégitime, Marx oppose la violence légitime de la révolution (dictature du prolétariat organisé en classe dominante qui détruit toutes les structures bourgeoises pour réorganiser l’économie et la société).

Conclusion :

- La violence apparaît comme un abus de force. L’appréciation de l’abus est elle-même polémique, objet et enjeu de rapports de force. Elle est d’autant plus difficile à saisir que la violence est sublimée. Nous avons vu que la violence se trouve à l’origine, dans la fin et dans les moyens de l’Etat qui prétend à un usage légal et légitime de la force, et qui tente de contenir la violence en la réglementant et en transformant sa nature . On peut se demander si l’Etat, fondé sur la volonté générale et sur l’ordre du droit, fait un usage légitime de la violence ou s’il incarne dans sa genèse et dans ses finalités la violence économique ou politique. Que faire alors face à la violence de l’Etat ? 

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