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Les critiques des Lumières

Publié le 27/02/2008

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Les critiques des Lumières

C'est sur le terrain des libertés, de la lutte contre l'arbitraire et l'intolérance que les Lumières ont mené leurs principaux combats.

Contre l'arbitraire

La critique des Lumières s'attaque aux manifestations jugées les plus insupportables de l'absolutisme monarchique, et en premier lieu à l'arbitraire et à la toute-puissance de l'appareil policier. Il n'existe d'habeas corpus qu'en Angleterre: depuis 1679, personne ne peut y être arrêté et inculpé sans avoir été déféré dans les vingt-quatre heures devant un juge qui doit notifier le motif précis de l'arrestation et laisser l'inculpé choisir un avocat. Police et administration n'y ont aucun pouvoir juridictionnel: la justice est indépendante, ce qui garantit la liberté. Rien de tel dans les monarchies absolues. En France, la pratique des «lettres de cachet», en particulier celles laissées «en blanc», qui permettent à tout agent royal qui en dispose de priver n'importe qui de liberté, symbolise l'arbitraire du pouvoir.

Contre la torture

Les scandales qui éclatent sensibilisent l'opinion aux problèmes de la justice et de son organisation, lente, coûteuse, influençable jusqu'à commettre les pires erreurs sous la pression des préjugés.

De même, on s'indigne du caractère atroce de la procédure pénale. Avec le juriste italien Beccaria (Des délits et des peines, 1764) s'impose l'idée d'une justice qui n'utiliserait plus la «question», c'est-à-dire la torture, pour extorquer des aveux aux accusés; une justice devenue impartiale, qui proportionnerait les châtiments aux fautes démontrées, sans cruauté; une justice qui ne donnerait plus l'horrible spectacle de l'écartèlement ou de la lente agonie, sur la roue, de suppliciés à qui le bourreau a brisé les membres à coups de barre de fer.

Contre l'intolérance

Dans l'Europe du XVIIIe siècle, la question religieuse reste l'enjeu le plus brûlant. Les différentes confessions affirment toutes en effet la même prétention à l'universalité et à l'exclusivité (à l'exception du judaïsme, qui ne prétend pas convertir les non-juifs). De plus, partout prévaut le modèle de la religion d'État (catholique ou protestante) imposée à tous les habitants et tolérant difficilement (très difficilement en France, en Espagne, dans les États italiens, ou plus facilement en Prusse ou dans les Provinces-Unies) la présence d'étrangers de confessions différentes. Certes, en Angleterre, la loi de tolérance de 1694 reconnaît la liberté de culte pour les dissidents de l'Église anglicane, mais nullement pour les catholiques; de plus, les fonctions d'État y restent réservées aux seuls anglicans. Partout, enfin, les juifs se voient confinés aux marges de la société.

Face à l'intolérance et aux persécutions religieuses, les Lumières vont mener un combat passionné : prison, exil, excommunication guettent l'auteur imprudent ou sans protection. Le plus incendiaire de tous est Voltaire. Il déteste l'obéissance, de façon viscérale. Il ne cesse de fustiger l'injustice, l'arbitraire et l'obscurantisme. Au bas de ses pamphlets rageurs, il signe Ecrelinf: «écrasons l'infâme», c'est-à-dire le prêtre fanatique, l'Inquisition et tous les dogmes religieux qui prêchent la crainte et la soumission.

Contre les juges de Calas et du chevalier de La Barre

S'il le faut, Voltaire n'hésite pas à s'engager. Entre1761 et1765, l'affaire Calas secoue la France. Jean Calas a retrouvé un soir son fils pendu, chez lui, à Toulouse. Or il est protestant: dès qu'on apprend que son fils était sur le point de se convertir au catholicisme, Calas est accusé de l'avoir assassiné. Malgré l'absence de preuve, il est condamné à mort: il meurt par le supplice de la roue. Contacté par les amis de Calas, Voltaire n'a de cesse d'obtenir réparation. Inlassablement, il écrit à tous les grands de France et d'Europe. Il obtient finalement la réhabilitation de Calas et le désaveu des juges aveuglés par le fanatisme. Et il repart aussitôt en campagne. Cette fois, la victime étant noble et catholique, son supplice est abrégé: le jeune chevalier de La Barre, condamné par le parlement de Paris, a le poignet tranché, la langue arrachée, la tête coupée; son corps est brûlé avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire. Son crime? Officiellement, la profanation d'un crucifix; en réalité, c'est son anticléricalisme qui est pourchassé. Voltaire plaide à nouveau, mais cette fois en vain.

Le combat cependant a porté ses fruits. À la fin du siècle, la liberté religieuse des individus a fait de grands progrès (édit de tolérance en1781 en Autriche, reconnaissance de l'état civil des protestants en1787 en France, plus grande liberté en Angleterre et en Prusse). Il faut toutefois se garder de tout anachronisme: ces luttes ont été menées moins au nom des droits de l'Homme qu'à celui de la religion naturelle. Pour les hommes des Lumières, toutes les religions relèvent de la même croyance en un Dieu législateur moral, d'une religiosité naturelle commune à tous. C'est l'exclusivisme religieux qui élève des barrières, ce sont les dogmes, les rites, les intérêts cléricaux, tout ce qui fige les différences entre les religions, qu'il faut éliminer.

Contre les discriminations

L'appel à la tolérance n'est pas une apologie de la différence. Il ne s'agit pas de faire reconnaître juridiquement des particularismes, mais bien plutôt de faire disparaître les différences légales: les philosophes des Lumières sont universalistes. Leur lutte contre les discriminations repose sur la conviction d'une égalité naturelle du genre humain. Pour eux, les préjugés historiques ont perverti l'être original de l'homme. D'où leur fascination pour les cas d'ensauvagement d'enfants, réintégrés par l'éducation dans la société. D'où le souci d'abolir les situations d'exclusion des marginaux, des malades, des pauvres ou des fous, dans lesquels le christianisme voyait au contraire le signe du péché originel et l'occasion pour les fidèles de manifester la vertu de charité.

Contre l'esclavage

Égalité de l'homme primitif, universalisme de l'humanité, ces deux principes conduisent à dénoncer l'esclavage des Noirs. Dans Candide, de Voltaire, le héros rencontre un nègre mutilé : cet esclave des champs de canne à sucre a perdu une main et une jambe. «On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année, explique-t-il. Quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe.» Et il ajoute: «C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.»

L'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal, à laquelle Diderot a collaboré, est le plus éclatant manifeste abolitionniste: «Brisons les chaînes de tant de victimes de notre cupidité, dussions-nous renoncer à un commerce qui n'a que l'injustice pour base et le luxe pour objet

Cette même conviction de l'égalité naturelle du genre humain conduit à condamner la société d'ordres de l'Ancien Régime. Écoutons Figaro, le serviteur qui s'adresse à son maître: «Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!... Noblesse, fortune, un rang, des places; tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus» (Beaumarchais, le Mariage de Figaro,1784). Les mœurs, la société sont condamnées parce qu'elles fonctionnent à rebours de la nature.

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