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Le Détour - Est-Il Toujours Un Désagrément Dans Le Voyage?

Publié le 17/01/2011

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Détours! Qui sait exactement ce que recouvre ce mot? Ce n'est pas un concept philosophique. C'est un terme dont la polysémie part dans tous les sens, au propre et au figuré. D'où la difficulté d'organiser un ensemble de connaissances sur ce thème! Et la difficulté d'organiser une réflexion! La problématique, comme d'habitude, n'est guère éclairante. Elle juxtapose les registres : le physique et le moral, l'errance et l'erreur, le voyage et la digression, le méandre et la ruse. Ce jeu sur le propre et le figuré ne fait pas une problématique! Qu'est-ce qu'une problématique au fait? Le Littré ne donne que l'adjectif avec le sens kantien de relatif à une possibilité en parlant d'un jugement. Le mot pris comme substantif désigne l'art de poser les problèmes (Robert). Or ce n'est dans aucun de ces deux sens que le terme est employé dans le programme. Et quand on interroge les étudiants sur le sens de ce mot magique et pompeux (qui fait "chic"), ils répondent au mieux que c'est une question. Si c'est une question, pourquoi ne pas se contenter d'un mot simple comme "question"? Mais non, on veut sans doute jeter de la poudre aux yeux, en imposer. Je me suis demandé ce que voulait dire ce mot. Il est utilisé par les philosophes pour la dissertation et il désigne le plus souvent l'énoncé d'une contradiction qui fait problème. Quel est en effet l'obstacle (problème) par excellence à la marche de la pensée sinon la contradiction? Exemple : Faire voir c'est révéler la vérité ou faire voir c'est tromper? Le "ou" disjonctif est dans le jugement problématique de Kant. Bon, tout cela est clair mais le hic c'est que les inspecteurs et les profs ne sont pas d'accord sur le sens des mots du programme. En fait, il n'y a pas de programme digne de ce nom, pas de problématique digne de ce nom dans le texte du BO. Alors, aux profs d'improviser, de se débrouiller, même s'il n'ont pas de formation de philosophe, pour faire quelque chose dans ce flou artistique (en fait pas du tout artistique). Et en plus, avec des étudiants qui pour la plupart ont un bac technique et n'ont quasiment rien fait en philo en terminale, sans parler de leur niveau de langue. Vous ne trouvez pas choquant, vous, que l'expression ne compte que pour 10% dans l'évaluation au BTS (6 points au maximum dans les dernières consignes de correction) alors que notre discipline c'est "Culture générale ET expression"? Quoi? 90% de culture genérale et 10 % de langue? Bien vu pour la défense du français et de la francophonie. Et bien entendu, quand on est technicien supérieur dans une entreprise, il est plus important d'avoir été saupoudré d'une mince couche de culture littéraire, un cache-misère, d'avoir lu quelques textes, de pouvoir répéter qu'il n'est pas de progrès sans risque, etc, plus important que de savoir parler et écrire à peu près correctement notre langue! Je viens de corriger une cinquantaine de copies d'examen. Cela donne quoi? A 80 %, une incorrection par phrase quasiment. Et pour le fond? Un "copier coller" du cours sur le progrès et les risques. A la question d'écriture personnelle, au lieu de réfléchir et justement de problématiser (que veut dire "croire"? quelle est la différence entre croire en Dieu et croire que la terre tourne? Le Progrès est-il du premier ou du deuxième ordre? y a-t-il différentes sortes de raisons de croire, des raisons affectives et des raisons cognitives, les raisons du cœur et les raisons de la raison? etc.) au lieu de cela, 95 % des candidats nous collent un plan bête en deux parties : les bienfaits et les méfaits du progrès avec quelques lignes sur les OGM, l'amiante, Internet et le réchauffement climatique. Comme si seuls les faits avaient de l'intérêt. Le problème c'est qu'ils sont censés argumenter. Et que les faits, ils sont en général mal connus, résumés à ce qu'en dit Métro ou 20 minutes, ou à la connaissance très superficielle que je peux en avoir moi prof de français. Donc on conclut cette confrontation du pour et du contre (qu'on peut appeler "dialectique" pour faire chic) on conclut comment? On est bien en peine de conclure. On s'en remet à son sentiment, son impression. C'est tout. C'est loin de ce que devrait être une formation intelligente, une formation au raisonnement (qui est à leur portée à condition d'être rigoureuse et simple), une formation à la langue. Il me semble qu'il est plus important pour un citoyen de savoir raisonner en mots et écrire que d'avoir effleuré quelques textes classiques ou journalistiques et de répéter quelques lieux communs médiatisés sur le progrès ou le détour. "le détour n’est-il pas une modalité essentielle de la construction de soi et du comportement humain?" L'ennui c'est qu'il est posssible de soutenir exactement la proposition contradictoire ou même contraire : l'absence de détour, la rectitude n'est-elle pas... C'est que, pour employer un raccourci, cela ne veut rien dire. C'est de la poudre aux yeux! C'est tromper les étudiants, c'est cela qui est grave! Car les khâgneux, eux, savent qu'il faut se méfier, mais nos étudiants de BTS, nos techniciens, assez naïfs quant au discours, comment voulez-vous qu'ils osent douter une seconde d'un tel propos? Une phrase prétentieuse qui ne veut rien dire...

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