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Devoir Litterature quelle est l'importance de la cabane dans tous les matins du monde?

Publié le 30/04/2012

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Quelle est l’importance de la cabane (dans le roman et dans le film) ?

 

Quelle que soit l’oeuvre littéraire ou cinématographique, l’étude des lieux de l’action est essentielle.Celle de Tous les matins du monde se déroule presque exclusivement dans la demeure de SainteColombe où il vit quasiment reclus. Tout est clos et difficile à atteindre : sa demeure, son jardin, lacabane qu’il s’y est fait construire pour y jouer de la viole. Nous nous demanderons quelle estl’importance de cette cabane. En premier lieu nous étudierons les circonstances et les raisons de saconstruction et en second lieu nous verrons à quel point les événements qui s’y déroulent sontnombreux et essentiels.

 

Nous disposons de peu d’éléments biographiques sur la vie de Sainte Colombe. La cabane estun de ces rares éléments, elle a réellement existé. Dans Le Parnasse français paru en 1732, Titondu Tillet, qui est l’une des principales sources biographiques du musicien, parle d’un petit cabinet deplanches, pratiqué sur les branches d'un mûrier que Sainte Colombe s’est fait construire « afin d’yjouer plus tranquillement et plus délicieusement de la viole ». C’est lui aussi qui raconte que MarinMarais se glissait dessous pour y entendre son maître et y surprendre ses secrets. Il narreaussi qu’un jour Sainte Colombe s’en était rendu compte et avait fait en sorte que cela ne sereproduisît plus. Pascal Quignard a, non seulement gardé ces éléments de biographie, mais encore,tissé son histoire autour et à partir d’eux. Il fait de ce lieu réel un lieu essentiel et symbolique, clos etsecret, comme celui qui l’a fait construire.

Le mot cabane évoque un lieu d’une extrême simplicité, le choix d’une forme d’ascétisme etd’austérité. Le refus de Versailles, de son luxe et de son éclat se révèle dans ce choix, cettepréférence, comme il le souligne lui-même en disant à M. Caignet, venu l’inviter à jouer à la cour :« Votre palais est plus petit qu’une cabane » (ch. V). Une telle comparaison montre son mépris pourles courtisans et l’estime qu’il a pour ce lieu qui lui ressemble. Plus tard, il opposera une nouvellefois « cabane » et « palais » quand il dira à Marin Marais : « peu importe qu'on exerce son art dansun grand palais de pierre à cent chambres ou dans une cabane qui branle dans un mûrier » (ch. XIV,p. 73) ; et à la fin de l’oeuvre, Marin Marais se présentera comme « un homme qui fuit les palais etqui recherche la musique » (ch. XXVII, p. 112) utilisant cette expression comme une sorte de mot depasse pour être accepté par le Maître. Il est révélateur que Sainte Colombe doive sortir de sacabane pour rencontrer Monsieur Caignet. Celui-ci, à peine parti, il y retourne aussitôt. C’est là qu’ilse sent à l’abri du monde et de ses turpitudes. Il parle en effet d’elle en employant le mot« retraite ». Le narrateur mentionne qu’il l’appelle aussi sa « vorde », « vieux mot qui désigne lebord humide d’un cours d’eau sous les saules ». Ce nom permet ainsi de créer un lien entre sacabane et les lieux extérieurs qu’il affectionne : le bord de l’eau, les saules… Étant elle-même faitedans le bois d’un mûrier et en quelque sorte enracinée dans la terre d’un jardin, elle est ainsi liée àtous les éléments de la nature, formant à elle seule un monde à part, dans lequel Monsieur deSainte Colombe veut s’enfermer comme dans sa musique. L’adjectif « clos » et les mots du mêmechamp lexical sont souvent utilisés, montrant qu’il s’agit là d’un thème récurrent du récit.

Sainte Colombe choisit en effet de s’enfermer dans ce lieu : « J’ai confié ma vie à des planchesde bois grises qui sont dans un mûrier » (ch. IV, p. 26) dit-il à Monsieur Caignet. L’austérité d’un tellieu correspond à celle dans laquelle il a choisi de vivre depuis la mort de son épouse. SainteColombe dit lui-même avoir renoncé aux plaisirs de l’existence. Le film souligne la souffrance deses filles et, plus manifestement celle de Toinette, devant un tel choix. Le moment où il s’y enfermeest filmé selon le point de vue des deux petites filles. Toinette a d’abord du mal à s’éloigner puis àdétacher son regard de son père qui s’apprête à y entrer ; elle reste un moment interdite, regardantde loin la porte désormais close de la cabane (chapitre III, 12’ 13”). Son visage triste, son immobilitéet son incapacité à partir sont la traduction d’une symbolique que l’enfant, malgré son jeune âge,saisit. Sainte Colombe est filmé de plus en plus loin. Elle comprend que, désormais, une page esttournée dans la vie de leur père, qu’il va vivre l’essentiel de sa vie, loin d’elles, enfermé dans cettecabane.

Les scènes où Sainte Colombe joue dans sa cabane, apparaissent en effet souvent dans lefilm, Alain Corneau, voulant souligner, avec la récurrence de telles scènes, la fréquence de sesséjours. La cabane est très sombre et coupée de l’extérieur : très peu de lumière y pénètre. Lesfenêtres sont fermées par des volets au dessus desquels des persiennes laissent à peine deviner lalumière du jour. Elle semble minuscule, très étroite, toutes ces scènes étant filmées en plansrapprochés, sauf les scènes avec Madame de Sainte Colombe.De même, il est ardu d’accéder à la cabane et de s’installer près de celle-ci ; il faut être initiépour pouvoir le faire. C’est Madeleine, telle Ariane donnant le fil à Thésée pour sortir du labyrinthe,qui montre à Marin Marais le chemin secret qui y mène. De plus, très souvent, lorsque Marin Maraisse glisse dessous pour écouter son maître, les circonstances elles-mêmes paraissent hostiles : il faitfroid, pluvieux ou humide, c’est le soir ou la nuit. Se blottir dessous est très inconfortable, il faut seglisser à quatre pattes à même la terre. Métaphoriquement, le chemin d’accès à la cabane estaussi difficile que l’accès à Monsieur de Sainte Colombe et à sa musique.

Enfermé dans sa cabane, il se consacre entièrement à la musique, au perfectionnement de latechnique de l’instrument et à sa quête d’une musique parfaite, capable de « héler l’invisible ». C’estlà qu’il y parvient. La cabane devient alors le lieu initiatique par excellence.

 

C’est au chapitre et au chapitre VI du roman et du film que son épouse lui apparaît pour la premièrefois, alors qu’il joue Les Pleurs dans la cabane. Cet endroit, déjà marqué par cette musique, qui estl’expression même de son inconsolable chagrin et de son deuil, est un lieu d’intériorité. Enfermédans cette retraite, il y est aussi enfermé en lui-même. Le film le montre jouant souvent les yeuxfermés. Elle va devenir aussi le lieu de ses rencontres avec son épouse. Les apparitions de sonépouse sont au nombre de neuf. Quatre sont racontées dans le roman et trois dans le film. La seulequi ait lieu à l’extérieur de la cabane est celle qui se passe après l’office des Ténèbres. On peutsupposer que toutes les autres ont lieu dans la cabane, le rituel étant toujours le même. Or, ce rituelsemblant nécessaire à l’apparition de son épouse, elle ne peut avoir lieu que là.

Sainte Colombe dispose sur la table son cahier rouge, une carafe et un verre de vin, une assiette degaufrettes, puis il joue Les Pleurs. C’est alors que sa femme lui apparaît. Pour immortaliser ce lieu etce moment de la rencontre, Sainte Colombe demande au peintre Baugin de peindre la table où sontdisposés, excepté le cahier, les trois objets que nous venons de citer. En transportant le tableaudans sa chambre, il associe sa chambre à la cabane, deux lieux de solitude et d’intimité. La cabaneest donc devenue un lieu extraordinaire où l’on communique avec les morts, le lieu de larencontre avec l’au-delà. Son lien avec la peinture et, notamment, le tableau de Baugin, renforcecette idée. Alain Corneau fait de chacune de ces scènes des tableaux en clair-obscur qui,grâce à l’éclairage d’une chandelle, deviennent des tableaux de Georges de la Tour, peintre surlequel Pascal Quignard a écrit un essai intitulé La nuit et le silence (1995). De tels tableauxreflètent parfaitement l’état d’âme des personnages et sont en harmonie avec l’atmosphèreméditative et mélancolique dans laquelle vit Sainte Colombe. Cette pratique du clair obscur permetde jouer sur les contrastes ombre et lumière et de mettre en valeur les éléments que la lumière éclaire.

Comme nous l’avons déjà évoqué, c’est là qu’il perfectionne son art de la viole, qu’il joue LeTombeau des Regrets et compose : « il arrivait que des plaintes vinssent sous ses doigts ». C’est làaussi qu’il s’exprime, lui qui a tant de mal à le faire ; « voici la cabane où je parle » dit-il un jour à son épouse, en la lui montrant (ch. XV). Cette musique élégiaque qu’il compose est non seulementl’expression de sa douleur mais encore de tout son être : « Il n’y avait que dans ses compositionsqu’on découvrait la complexité et la délicatesse du monde qui était caché sous ce visage… ».Le narrateur prend soin de mentionner qu’il ne s’y enferme pas seulement pour éviter de dérangerses filles, il veut aussi garder sa musique secrète, se sentir libre des innovations techniques qu’iltrouve, échappant ainsi aux critiques d’autrui. Sainte Colombe n’est en effet pas dénué d’orgueil.Lorsqu’il accepte de donner des leçons à Marin Marais, il l’accueille dans son antre. Là encore, celieu joue un rôle symbolique : ouvrir la porte de la cabane à un étranger, c’est lui ouvrir lechemin vers sa musique et vers lui-même.Lorsque Marin Marais sera chassé, Madeleine lui indiquera le chemin détourné pour accéder àla cachette qui se trouve dessous, comme nous l’avons mentionné précédemment. Elle joueainsi le rôle d’une initiatrice. Seul un proche ou un initié peut y accéder. Monsieur Caignet, aprèsavoir été renvoyé par Monsieur de Sainte Colombe s’y glisse aussi en cachette, pour pouvoirl’écouter et parler au roi de « l’impression merveilleuse et difficile que lui avait faite la musique qu’ilavait entendue à la dérobée » (ch. IV, p. 27). C’est là que Marin Marais l’espionne jusqu’à la fin,dans l’intention de lui dérober ses compositions et sa façon de jouer : « Ils se mussaient parfois sousla cabane de Sainte Colombe pour entendre à quels ornements il en était venu, commentprogressait son jeu, à quels accords ses préférences allaient désormais » (ch. XIV).

La cabane est donc un lieu initiatique où se déroulent les moments les plus importants de l’oeuvre etde la vie de Sainte Colombe. Elle est liée aussi à tous les personnages qui sont en contact avec luiou qui veulent accéder à sa musique. C’est là aussi qu’a lieu la dernière scène du roman.Obsédé par cette musique dont il ne détient pas le secret, Marin Marais continue à venir l’espionner,espérant un jour percer le secret de la cabane. La nuit où il y parvient est une nuit particulière,éclairée par la pleine lune. La métaphore du chemin initiatique est reprise par Marin Marais lui-mêmedans le film : « Je mettais les pieds dans des pas plus anciens. Je suivais le chemin que Madeleinem’avait indiqué. » (chapitre XIII, 01 h 29 min 46 s). La cabane est donc liée aussi au personnagede Madeleine et à son sacrifice qui, même de manière posthume, se révèle utile. Lorsqu’ilécoute ce qui se passe dans la cabane, l’oreille posée sur ses planches glacées, tout lui parvient parbribes comme les morceaux d’un puzzle, à l’image de la cabane elle-même qui est cloisonnée etlaisse passer aussi peu de lumière que de sons. La cabane reste à la fois un obstacle et uneouverture. S’il réussit à y entrer, il parviendra à atteindre le maître et sa musique. Cela va se fairepar étapes : il gratte d’abord à la porte et se présente comme « un homme qui fuit les palais et quirecherche la musique » (ch. XXVII). Cette première phrase convient à Sainte Colombe qui entrouvrela porte à l’aide de son archet, accomplissant ainsi un acte symbolique. De la même façon « un peude lumière passa » « mais plus faible que celle qui tombait de la lune pleine ». Ainsi tout est ténu,progressif. Avec la seconde phrase, « je cherche les regrets et les pleurs » qui reflète l’idée que lamusique exprime avant tout l’émotion, la nostalgie et la tristesse, Matin Marais obtient l’ouverture dela porte. Cette admission dans la cabane signifie que Sainte Colombe va lui ouvrir son secret, luitransmettre sa musique. La transmission a alors lieu dans une communion parfaite à l’intérieurde cette cabane, dont l’étroitesse favorise l’intimité, le rapprochement entre les êtres. Cette scèneest l’apogée du roman et une scène essentielle du film ; les deux oeuvres s’achèvent par unetransmission réussie. Cette transmission donne un sens et une ouverture finale à l’existence secrèteet refermée sur elle-même de Sainte Colombe. Marin Marais, musicien de l’avenir, ouvert sur lemonde, va pouvoir enrichir sa musique de cet héritage inespéré. Son oeuvre sera le résultat de cettecommunion entre les deux musiciens.

 

Ce lieu tout simple et modeste est donc l’un des lieux essentiels de Tous les matins du monde. C’estdans cette cabane, que se déroulent les moments les plus importants. Elle est liée aux personnageset aux thèmes centraux de l’oeuvre. Sante Colombe fait de cette cabane un endroit sacré, lié ausurnaturel, qui se trouve à la frontière entre les deux mondes et y autorise l’accès. Cette cabane esttransfigurée par la présence de Madame de Sainte Colombe et par l’art dans le film. Grâce à lamusique qui y est jouée et dont elle est devenue inséparable, la cabane devient le lieu où l’hommefait naître ce qu’il a de meilleur en lui, de plus élevé, ces fameux « airs les plus beaux du monde »que Marin Marais voulait entendre.

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