Devoir de Philosophie

Dossiers sur le Brésil

Publié le 16/03/2011

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BRÉSIL •  La guerre des favelas sur grand écran Un film de fiction consacré à une unité militaire d'élite luttant contre le trafic de drogue dans les favelas passionne les Brésiliens. Au point qu'il a été piraté et vu, avant sa sortie, par des milliers de personnes. Et que les policiers tentent d'empêcher sa sortie officielle...          L'emblème du BOPE      Le film Tropa de elite (Troupe d'élite), de José Padilha, sur un bataillon de la police militaire [il s'agit du BOPE – Batalhão de operações especiais – l'unité d'élite de la police militaire de l'Etat de Rio, créée dans les années 1980, spécialisée dans les opérations antidrogue au sein des favelas et qui avait été épinglée par le rapport d'Amnesty International 2004 pour ses méthodes violentes] bat déjà deux records historiques dans le cinéma national avant même sa sortie : en matière de coût de production (10,5 millions de reais, soit 4,1 millions d'euros) et de piratage. Jamais un film n'avait été autant copié illégalement avant d'être projeté. L'histoire se passe en en 1997. Nascimento, capitaine de la troupe d'élite de la police, décide d'abandonner son dangereux métier pour s'occuper de son fils. Mais, auparavant, il doit trouver un remplaçant. Le scénario, basé sur des faits réels, a été acheté 3,9 millions de reais [1,49 million d'euros] par la maison de production étasunienne Weinstein [créée par le producteur Harvey Weinstein, propriétaire de Miramax]. Malgré le budget confortable, le tournage a été émaillé d'innombrables problèmes. L'équipe technique a ainsi été séquestrée au morro [\"morne\" ou \"colline\", désigne dans la langue parlée de Rio la favela elle-même] Chapéu Mangueira, à Copacabana. Un enlèvement qui s'est bien terminé – tous les membres s'en sont tirés sains et saufs –, mais les armes utilisées par les acteurs n'ont pas été retrouvées. Il n'a pas été aisé de trouver ensuite un autre lieu de tournage : les \"patrons\" des autres morros redoutaient la présence de la police. Des sponsors, après avoir lu le scénario, ont également décidé de ne plus financer le film. En plus des dangers sur les lieux de tournage, les acteurs ont également eu à souffrir un dur entraînement avec des policiers du BOPE. \"Certains acteurs expérimentés ne l'ont pas supporté et ont été remplacés\", raconte Prado. Tous ces pépins semblaient réglés lorsqu'un nouveau problème a surgi : certains policiers tentent aujourd'hui d'empêcher la sortie du film, dans l'espoir de découvrir l'identité de ceux qui ont raconté les faits utilisés par le réalisateur. \"Le film est une œuvre artistique. C'est une fiction basée sur de faits réels. Nous avons nos avocats pour discuter tout ça\", signale le producteur Marcos Prado. Bien que des centaines de personnes aient déjà vu une des nombreuses copies qui circulent dans la rue et sur Internet, le producteur est persuadé que le film peut encore battre un troisième record : les 5,3 millions de spectateurs de 2 Filhos de Francisco [sorti en 2005, c'est le plus grand succès en salles pour un film brésilien depuis vingt-cinq ans]. Lorsque les copies pirates ont commencé à circuler, certains ont affirmé qu'il s'agissait d'une opération de marketing. \"Ce serait du marketing idiot. Personne ne dévoilerait un film à un mois de sa sortie\", explique Prado, admettant toutefois qu'il y a en effet eu une divulgation involontaire. Trois personnes mêlées à la fuite des images, des employés d'une entreprise spécialisée dans le sous-titrage, font actuellement l'objet d'une enquête à ce sujet. Des rumeurs ont même circulé sur un possible visionnage d'une copie pirate par le gouverneur de [l'Etat de] Rio de Janeiro, Sérgio Cabral. \"Nous avons fait une projection privée pour le gouverneur afin qu'il puisse parler du film\", révèle le producteur. Le film sort dans les salles [au Brésil] le 12 octobre prochain. Aina Pinto Istoé Amériques BRÉSIL •  Rio paralysé par la guerre des favelas En s'affrontant violemment pour le contrôle du bidonville de Rocinha, deux groupes de trafiquants ont rappelé aux Cariocas qu'ils vivaient dans l'une des villes les plus violentes du monde. Le poste de chef de Rocinha, le plus célèbre bidonville de Rio de Janeiro, est vacant. Luciano Barbosa da Silva, dit \"Lulu\", un trafiquant de drogue âgé de 25 ans, qui l'occupait depuis 1999, a été abattu à bout portant par la police militaire le 14 avril. Il avait réussi à imposer sa loi dans l'un des plus grands bidonvilles du monde. Son pouvoir était aussi étendu que son réseau de points de vente, l'un des plus lucratifs de la région, dont le chiffre d'affaires était estimé à 8 millions de reais [2,3 millions d'euros] par semaine par la police. Sa chute a été précipitée par la guerre qui a éclaté le jour du vendredi saint, lorsque 70 individus de différentes favelas, armés jusqu'aux dents, ont tenté de prendre Rocinha. Ce conflit a même gagné le quartier protégé de São Conrado et mobilisé quelques 1 200 hommes de la police militaire (PM). Douze personnes sont mortes en six jours. Et, depuis, toutes sortes de rumeurs parcourent Rio quant au successeur de Lulu. Comme en témoigne l'étude la plus récente menée sur le sujet par l'Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) et rendue publique dans un Brésil sonné par ces événements, l'escalade de la violence est un phénomène national. Cette étude révèle que près de 600 000 Brésiliens ont été assassinés entre 1980 et 2000, avec une augmentation du taux de mortalité par homicide de 130 %. Dans ce contexte, la vacance du pouvoir à Rocinha donne à réfléchir : le Brésil compte autant de morts qu'une nation en guerre. Vitrines de la misère et de la violence, les favelas souffrent d'abandon depuis des décennies. \"Nous n'avons pas de système sanitaire, pas assez d'écoles, un chômage élevé\", raconte William de Oliveira, président de l'association des habitants de Rocinha. Dans les favelas, le tableau est dramatique et crée une situation d'exception : les grands trafiquants sont seuls à incarner le pouvoir et étendent leurs actions criminelles à tous les quartiers de la ville. Ainsi, lorsque Eduíno Araújo Filho, dit \"Dudu\", et sa bande de la colline de Vidigal, autre favela proche de Rocinha, ont voulu destituer Lulu, ils n'ont pas hésité à se servir de l'un des quartiers les plus prospères de Rio, São Conrado, comme d'un simple couloir pour conduire leur sanglante offensive. L'histoire a plongé le pays dans un état de consternation. Les dimensions mêmes de Rocinha expliquent l'ampleur de la réaction : la favela compte 56 000 habitants selon le recensement fait en 2000 par l'IBGE et 120 000 si l'on en croit les estimations de la compagnie nationale d'électricité. Elle abrite 2 500 établissements commerciaux, y compris des banques. On y trouve à certains endroits de grandes maisons, de deux ou trois étages, et parfois même des édifices de sept étages. Rocinha a fini par devenir la \"favela de la classe moyenne\". Une étude de la fondation Getúlio Vargas, publiée le jeudi 15 avril, évoque pour sa part une favela pauvre, au taux de scolarisation faible, dont près de 22 % des habitants vivent dans des conditions misérables, avec un revenu mensuel inférieur à 79 reais [22,6 euros]. Les habitants de la favela et ceux des immeubles aisés de la ville partagent cependant en commun la peur et la terreur des balles perdues. Les échanges de coups de feu ont ainsi immobilisé des milliers de personnes qui n'ont pu se rendre de la Zona Sul, l'un des quartiers les plus riches de la ville, à la Barra da Tijuca, un autre quartier de nantis. Elles ont dû loger chez des amis ou des proches, parfois même dormir à l'hôtel. L'occupation de la favela par la police ne les a pas rassurées. L'opulence des quartiers riverains - Gá vea, São Conrado, Joá et Barra da Tijuca - jure avec avec la pauvreté de Rocinha. Osmar de Souza Lima, 26 ans, habite un baraquement sans eau ni électricité dont la valeur est estimée à 20 000 reais [5 700 euros], une misère en comparaison des appartements et des maisons de plus de 1 million de dollars qui se trouvent à quelques centaines de mètres. Ignoré des autorités en temps normal, Rocinha, une fois entré en guerre, s'est retrouvé au coeur du débat politique. Le premier à s'être manifesté de façon malencontreuse a été le vice-gouverneur Luiz Paulo Conde, qui a proposé d'édifier un mur pour limiter la progression de la favela. Une pluie de critiques a fini par le faire taire. Francisco Alves Filho et Eliane Lobato Isto Enquête LE FLÉAU DES ESCADRONS DE LA MORT •  Exécutions sommaires dans les favelas Au nom de la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue, des groupes de policiers et de civils armés multiplient les exécutions sommaires dans les bidonvilles brésiliens. Carlos Magno de Oliveira Nascimento est mort à l'endroit même où il est tombé, très vite. Carlos Alberto da Silva Ferreira, touché à la tête malgré ses efforts pour se protéger des balles avec ses bras, a succombé lui aussi à sa blessure. Everson Gonçalves Silote, qui rentrait du travail, est tombé par hasard dans l'embuscade et a été aussitôt encerclé par la police. Des témoins ont déclaré avoir vu les policiers l'abattre froidement alors qu'il cherchait ses papiers d'identité. Tiago da Costa Correia a été le dernier à expirer. Ce jeune homme à l'allure dégingandé avait 19 ans. Il s'est mis à courir dès qu'il a entendu les premiers coups de feu, mais il a reçu six balles dans la poitrine et l'abdomen. Quand la police est arrivée à sa hauteur, il gisait, mortellement blessé, sur le trottoir, implorant en suffoquant qu'on lui laisse la vie sauve. \"Je travaille. J'ai un enfant\", ne cessait-il de répéter au dire d'un témoin. Mais les quatre policiers sont restés plantés près de lui, à discuter entre eux sans lui accorder la moindre attention. Il lui a fallu vingt minutes pour mourir. \"Il n'y avait chez eux ni colère ni remords\", a rapporté Leandro de Paula, qui se trouvait à une vingtaine de mètres de l'endroit où la fusillade a éclaté. \"Ils ne manifestaient aucune honte à avoir agi ainsi à découvert. Ils ne trouvaient rien d'anormal à ce qu'un homme meure à leurs pieds. Ils étaient juste indifférents, totalement indifférents, comme s'ils attendaient le bus. Ils ne daignaient même pas jeter un regard sur lui.\" L'exécution de ces quatre jeunes non armés - un étudiant, un mécanicien, un chauffeur de taxi et un ouvrier du bâtiment - devant un salon de coiffure pour hommes de Morro do Borel, un bidonville du nord de Rio de Janeiro, fait partie de la campagne de terreur de plus en plus virulente menée par la police et par des escadrons de la mort qui sillonnent les quartiers pauvres des grandes villes, pourchassent les enfants des rues et ratissent les secteurs de trafic de drogue. La mort de ces victimes innocentes n'est exceptionnelle que parce que des témoins ont témoigné de ce qu'ils avaient vu. \"Le plus difficile est de savoir quoi faire\", explique Maria Dalva da Costa Correia da Silva, la mère de Correia. \"Quand un crime est commis, la première réaction est d'appeler la police. Mais vers qui se tourner quand les auteurs du crime ne sont autres que des policiers ?\" Dans toutes les favelas brésiliennes, des policiers (en service ou retraités) font équipe avec des civils pour \"faire la justice\" en s'attaquant aux dealers et aux petits délinquants, noirs et pauvres pour la plupart. Pour Asma Jahangir, rapporteur des Nations unies pour les exécutions extrajudiciaires, qui a visité le pays pour interroger des témoins, des responsables du gouvernement et des militants des droits de l'homme, \"le Brésil a vraiment une face cachée\". Si l'on en croit les associations, à Rio de Janeiro, plus d'un meurtre sur dix est le fait de la police d'Etat militarisée et de la police civile locale. Et, comme les statistiques officielles n'incluent pas les meurtres commis par les escadrons de la mort, souvent constitués et toujours cautionnés par la police, l'ampleur du problème est encore plus importante. \"C'est la honte du Brésil\", avait déclaré en octobre 2003 Luiz Eduardo Soares, alors secrétaire d'Etat à la Fonction publique. \"Nous ne parviendrons pas à nous doter d'un Etat moderne tant que nous n'aurons pas réglé le problème des exécutions sommaires commises par des policiers qui se conduisent en justiciers.\" Les deux séries d'exécutions les plus terribles se sont produites à quelques jours d'intervalle en 1993. Dans la première, six policiers ont ouvert le feu sur une quarantaine d'enfants des rues qui dormaient devant l'église catholique de la Candelaria, au centre de Rio, et ont fait 11 victimes, âgées de 11 à 22 ans. Dans la seconde, 40 policiers cagoulés et armés de mitrailleuses ont effectué une descente dans une favela située à la périphérie de Vigario Geral pour venger la mort de 4 de leurs collègues et ont abattu 21 personnes. Le principal facteur de friction entre la police et les pauvres des quartiers qu'elle patrouille est le trafic de drogue. Naguère simple lieu de transit pour la drogue en provenance de Colombie, de Bolivie et du Pérou, le Brésil est aujourd'hui devenu le deuxième consommateur de cocaïne du monde après les Etats-Unis. L'essor de ce trafic a transformé les 680 favelas de Rio de Janeiro, où se trouve concentré près du quart des 11,9 millions d'habitants de la ville, en de véritables champs de bataille entre des bandes rivales de trafiquants armés et la police. En 2002, 22 policiers de Rio ont perdu la vie dans l'exercice de leurs fonctions, la plupart au cours d'affrontements avec des dealers. Depuis quatre ans, le chiffre tend cependant à baisser, alors que le nombre de civils abattus par la police monte en flèche. Selon une analyse des rapports médico-légaux effectuée par Global Justice et Amnesty International, 40 % des individus abattus par la police en 2002 ont été tués à bout portant et 61 % ont reçu une balle dans la tête. Sur l'ensemble des victimes, on dénombrait trois morts pour un blessé, et un tiers d'entre elles portait des traces de coups. \"Il s'agit d'exécutions\", affirme Rubem Cesar Fernandes, directeur de Viva Rio, une association qui milite contre la violence et les armes. \"Ces chiffres ne peuvent s'expliquer par de simples échanges de feu entre des dealers et la police. C'est le résultat d'actes de torture et d'exécutions sommaires commis par la police.\" En janvier 2003, un policier en tenue a abattu à bout portant et dans le dos un enfant de 11 ans dénommé Wallace da Costa Pereira. Ce policier de 19 ans, en fonction depuis moins de un an, avait été chargé d'éliminer l'enfant, qui n'avait pas de domicile et vivait du vol à la tire et d'autres menus larcins. Selon des témoignages, il aurait tenté auparavant de lui extorquer de l'argent. En juin 2003, des habitants de Mangueira, une favela située à la périphérie de Rio, ont rapporté que la police avait arrêté et menotté cinq individus soupçonnés de trafic de drogue, avant de les abattre d'une balle dans la tête. Si l'on en croit le directeur de Viva Rio, ces incidents scandalisent les habitants des quartiers pauvres ; mais ils les rassurent en même temps. Selon les sondages, 15 à 20 % des Brésiliens sont favorables à l'existence des escadrons de la mort, car ceux-ci permettent de tenir à distance les trafiquants de drogue. \"Ils ne tuent que les criminels\", observe Joaquim de Souza, qui vit à Rio das Pedras, un quartier pauvre aux maisons en brique délabrées et aux égouts à ciel ouvert, où l'existence d'un escadron de la mort n'est un secret pour personne. \"Nous ne voulons pas que des trafiquants opèrent dans notre quartier et vendent de la drogue à nos enfants. Nous sommes pauvres, mais nos rues sont sûres. Tant pis si les droits de quelques salauds sont bafoués.\" Les escadrons de la mort sont généralement constitués par des commerçants, des politiciens et des policiers, explique Andre Hombrados, un prêtre de l'église Notre-Dame-de-Fatima, qui officie à Morro do Borel et dans douze autres paroisses pauvres. \"On voit toutes sortes d'escadrons de la mort par ici, souligne-t-il. Il y a ceux qui tuent les trafiquants de drogue et les criminels pour nettoyer le quartier et il y a ceux qui cherchent à extorquer de l'argent aux trafiquants et à contrôler d'autres escadrons. C'est un peu comme dans la Mafia, à la différence près que les escadrons sont toujours sous le contrôle de la police, des élus locaux et des commerçants.\" L'ambivalence du public favorise les agissements des escadrons de la mort. Jusqu'en 1998, la police récompensait ce genre d'opérations en offrant à ses agents des primes égales à un mois de salaire. La répression du crime par les politiciens constitue un soutien tacite aux actions des policiers. \"Nous ne voulons pas qu'il y ait des morts\", précise Rosangela Barros Assed Mattheus de Oliveira, gouverneur de l'Etat de Rio de Janeiro, \"mais, lorsqu'il y en a, ce sont ceux d'êtres nuisibles pour la société.\" Les habitants de Morro do Borel assurent que les quatre jeunes abattus par la police n'avaient commis aucun acte répréhensible. Leur casier judiciaire était vierge, et tous quatre travaillaient ou poursuivaient des études. Carlos Nascimento, 18 ans, qui étudiait en Suisse dans le cadre d'un échange, se trouvait alors en vacances chez sa grand-mère. Son ami, Correia, 19 ans, était sorti de chez lui après sa journée de travail pour se faire couper les cheveux et acheter une barre de chocolat pour sa soeur. \"Ces garçons n'avaient rien à voir avec le trafic de drogue\", affirme la mère de Correia. Ces morts n'ont jamais été expliquées. La police a commencé par déclarer qu'on avait trouvé de la drogue et des armes sur les quatre jeunes, mais elle s'est rétractée quand des témoins et des parents ont demandé aux autorités locales et fédérales leur version des faits. Un mois plus tard, après la remise d'une lettre de l'Association des habitants de Morro do Borel à \"Lula\", le président du Brésil, les enquêteurs ont procédé à une reconstitution des crimes et conclu que ces jeunes étaient des innocents qui étaient tombés dans une embuscade tendue à quatre dealers. Selon des témoins, malgré la mort évidente de ces jeunes, les policiers ont entassé les corps dans des fourgons et les ont emportés à l'hôpital. Cette pratique est, dit-on, très courante : les policiers brouillent les pistes et déplacent les corps pour laisser croire que les victimes se sont entre-tuées et que la police n'a rien à voir dans l'affaire. \"C'est un cas typique d'exécution\", affirme Jonas Gonçalves, président de l'Association des habitants de Morro do Borel. \"La seule différence, c'est que, cette fois-ci, les gens ont parlé. Ces jeunes étaient d'honnêtes citoyens, pas des criminels. En règle générale, seules comptent les déclarations de la police. Mais, cette fois, nous avons rompu le silence.\" Au bout du compte, cinq policiers ont été accusés des meurtres et attendent de passer en jugement. \"La police terrorise les pauvres depuis si longtemps que les gens en ont assez\", explique la mère du jeune Correia. \"Nous ne pouvons pas continuer à la laisser commettre des meurtres en toute impunité.\" Mais la situation ne s'est pas améliorée pour autant. Quelques jours après la visite de Mme Jahangir, l'envoyée des Nations unies, on a découvert les corps de trois des témoins qu'elle avait interrogés. Jon Jeter The Washington Post En couverture / RévoCul dans la musique pop Dans les bals funk des favelas Au Brésil, les gros labels ne peuvent rien contre les pirates, les musiciens et le public : celui-ci paie pour écouter. Pour les étrangers, le Brésil, c’est le soleil, la mer, le foot, le carnaval. Aux yeux des grandes multinationales du disque, le pays est à la fois un marché lucratif et un foyer de criminalité. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), ce pays présente l’un des plus forts taux de piratage de CD et DVD au monde. L’IFPI estime à 85 millions de dollars les pertes causées en 2005 par ce fléau, soit environ 40 % du marché total. Le Brésil aurait par ailleurs vu disparaître quelque 80 000 emplois dans le secteur depuis 1997 à cause des pirates. Ces chiffres ne montrent le problème que sous un seul point de vue, celui des puissants détenteurs des droits. Mais la musique est aussi une des pierres angulaires de la culture brésilienne : une source de plaisir pour tous dans un pays en proie à la pauvreté et à la violence, une dimension fondamentale de l’identité des Brésiliens. De fait, deux industries du disque cohabitent au Brésil : celle qui intéresse les quatre grandes maisons de disques de la planète, et le reste. C’est vers 4 heures du matin, dans la nuit du samedi au dimanche, dans un baile funk (bal funk) de Rocinha, la plus grande favela de Rio, que cette situation saute aux yeux. La scène se répète tous les week-ends sur les hauteurs de la ville. Près de 2 500 participants payants (4 reais [environ 1,50 euro] pour les hommes, 2 reais pour les femmes) sont rassemblés sur un terrain de basket, dans un vaste gymnase de béton. Tout au fond, une grosse sono trône sur une scène d’où jaillit la musique la plus abominable, la plus chargée en basses de la création. Des spots colorés rudimentaires s’élancent de la scène sans parvenir à sortir la salle de l’obscurité. Des femmes de tous âges déambulent entre les groupes, juchées sur de hauts talons, et dansent avec une lascivité que ne tolérerait pas le plus indulgent des codes de bienséance. Les hommes, en coupe-vent, baggy et casquette de base-ball, sont moins directs, mais il est évident qu’ils s’amusent. Dans l’assistance, plusieurs représentants du gang du quartier arborent une panoplie d’armes diverses. Certains dansent en brandissant un AK 47 ou un fusil à pompe au rythme de la musique. Le baile funk attire des défricheurs de musique venus de loin. Des DJ américains et européens se rendent à Rio pour découvrir cette musique et la mixer. Mais les majors n’ont pas encore accroché. C’est une musique trop ghettoïsée pour pouvoir séduire la minorité de la population brésilienne qui peut s’offrir un CD légal (de 13 à 18 dollars [de 9,50 à 13 euros]) et trop confidentielle pour être rentable auprès d’un public de masse ailleurs dans le monde. Reste qu’il existe, en dehors des réseaux de distribution gérés et tenus par les grandes maisons de disques, une scène musicale qui a démontré sa rentabilité pour les artistes qui y évoluent. On l’appelle la tecno brega. Née dans la ville de Belém, dans l’Etat de Pará, dans le nord du pays, elle signifie “ringard”, “de mauvais goût”. Ce qui ne l’empêche pas d’être une manne pour ses stars, qui attirent des milliers de spectateurs payants dans des fêtes somptueuses et des concerts taillés pour les stades. Si la musique (une pop locale mâtinée de rythmes techno) n’a par elle-même rien d’exceptionnel, ce n’est pas le cas du modèle économique qui la sous-tend. Les artistes ne s’attendent pas à pouvoir vivre des ventes traditionnelles de CD. Les disques (jusqu’à 400 sorties par an) sont plutôt des produits d’appel pour les concerts, qui dans certains cas rassemblent près de 100 000 personnes. De nombreux artistes de brega enregistrent ainsi leurs performances en direct, gravées immédiatement sur CD et vendues à la sortie : pour 5 reais, les spectateurs repartent avec un disque légal d’un concert qui leur en a coûté à peu près autant. Musiciens et DJ s’efforcent d’interpeller les quartiers représentés dans le public : les spectateurs, fiers d’entendre leurs noms, s’empressent d’acheter un CD où est immortalisé ce moment de reconnaissance. Le plus grand groupe de brega est aussi, selon des données empiriques, le plus gros carton musical au Brésil. La Banda Calypso aurait ainsi vendu quelque 6 millions de disques dans le pays, mais tous ses revenus proviennent de ses concerts et, dans une proportion très faible, de ses DVD. Montré du doigt depuis des années pour son laxisme à l’égard des infractions aux droits d’auteur, le gouvernement brésilien vient de prendre le taureau par les cornes. En 2004 a été créé un Conseil national antipiratage. Début 2006, des mesures énergiques ont été prises contre les marchés et les vendeurs de CD à la sauvette à São Paulo et à Rio, et, à en croire les autorités représentatives du secteur du disque, elles ont donné des résultats tangibles. Mais, pour Ronaldo Lemos, directeur du Centre du droit des technologies à la Fundação Getulio Vargas [une faculté de droit] de Rio, ces descentes musclées ont certes permis la saisie d’enregistrements pirates de pop stars “du Nord”, mais aussi de CD de représentants de la tecno brega et d’autres artistes indépendants, qui, eux, veulent que leur travail soit copié et diffusé par ce biais-là, car c’est le seul moyen qu’ils ont pour toucher leur public. Pour ces créateurs, non seulement les droits d’auteur ne sont pas un enjeu pertinent, mais surtout le durcissement de la lutte contre ce type d’infractions porte un sérieux coup à leurs réseaux de distribution et à leur modèle économique, très rentable. Les grands labels se targuent souvent de défendre les artistes brésiliens et leurs intérêts, mais c’est rarement le cas dans la réalité. Avec le regroupement qui s’est opéré entre les grandes multinationales, souligne Ronaldo Lemos, il n’y aura bientôt plus un seul musicien brésilien à pirater. A elles seules, les quatre majors sortiront une quarantaine d’albums brésiliens cette année. Un chiffre dérisoire. Et, quand on a vu de ses yeux l’engouement qu’elle suscite, on se dit que le Conseil national antipiratage ne pourra pas grand-chose contre ces millions de Brésiliens qui aiment la musique créée dans leurs quartiers et qui n’hésitent pas à payer pour l’écouter. Sam Howard-Spink OpenDemocracy

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