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FIRDOUSI

Publié le 27/06/2012

Extrait du document

C'est que ces guerres incessantes entre l'Iran et son voisin le Touran sont commandées par des sentiments très simples et très humains : la gloire, l'ambition, la vengeance, l'amour de la justice, la clémence. Les situations ne le sont pas moins : poursuites haletantes, déplorables disparitions, émouvantes reconnaissances, combats singuliers, ruses de guerre, carnages, victoires in extremis, butins. Les repos sont marqués par de débonnaires beuveries ou de chastes amours. Le luxe des fêtes est abondance plus que raffinement. Rien de voluptueux ou de cruel...

« L'histoire de la dynastie sassanide ne nous serait connue que par quelques monnaies et inscriptions et le témoignage d'auteurs étrangers, grecs, latins, arabes, chinois.

Le génie de la Perse serait pour nous ce que nous en révèlent ses grands lyriques et ses mystiques.

Le monde formidable de ses guerriers armés d'épées, de massues et de lacets, et sans cesse à cheval, ne nous serait évoqué que par les sculptures rupestres, encore intactes, tant elles sont massives, de l'époque sassanide : et c'est bien là l'illustration qui convient au Livre des Rois, plus que l'art, en lui-même si attachant, des miniatures qui en décoreront tant de somptueux manuscrits.

Firdousi a su puiser à une tradition dont les documènts, écrits ou oraux, subsistaient encore.

Un Livre des Rois en pehlevi avait déjà été traduit en arabe.

Un poète, peut-être zoroastrien, Daqiqi, avait ouvert la voie : il mourut jeune, laissant un fragment d'épopée en persan que Firdousi annexa à la sienne, dans un sentiment de piété qui d'ailleurs n'excluait pas la critique.

Consciencieux, conservateur même, son Livre des Rois n'a pourtant rien d'une sèche chronique : entraîné par la vie, le récit comporte des enjolivements, des enchevêtrements d'épisodes romanesques, des descriptions réalistes ou hyperboliques, des lenteurs calculées, des répétitions même - car des héros de même valeur accomplissent successivement et en d'autres lieux des prouesses analogues- mais aussi des temps d'arrêt où s'insèrent considérations, invocations, confidences personnelles, bref une invention et une liberté qui permett~nt à cet immense poème de plus de cinquante mille distiques de se lire sans ennui, même dans la traduction volontairement prosaïque de Jules Mohl.

Mais il était fait pour être entendu : et jusqu'à nos jours, il est déclamé par les récitateurs professionnels, par les athlètes de foire qui scandent leurs jongleries au rythme de ses vers, tandis que les petits enfants y apprennent les rudiments de la poésie, de l'histoire et de la sagesse.

C'est que ces guerres incessantes entre l'Iran et son voisin le Touran sont commandées par des sentiments très simples et très humains : la gloire, l'ambition, la vengeance, l'amour de la justice, la clémence.

Les situations ne le sont pas moins : poursuites haletantes, déplorables dispa­ ritions, émouvantes reconnaissances, combats singuliers, ruses de guerre, carnages, victoires in extremis, butins.

Les repos sont marqués par de débonnaires beuveries ou de chastes amours.

Le luxe des fêtes est abondance plus que raffinement.

Rien de voluptueux ou de cruel : les ennemis eux-mêmes ne sont guère des félons, mais cèdent à des entraînements funestes.

Souvent ils obéissent au Sort qui joue ici son rôle sans préjudice de la Guidance divine.

La religion qu'on prête à ces héros antéislamiqùes est assez fruste.

Aucune affinité, sinon peut-être dans l'art du récit, entre le Livre des Rois et cet autre pôle de la poésie persane, l'épopée, mystique cette fois, du Mesnevi de Jalal el-Din Roumi.

D'autres pourront utiliser tel épisode de la tradition épique pour y rattacher un itinéraire spirituel qui se développe en climat soufi (ainsi Nizami dans son Heft Peiker).

Firdousi ignore toute transposition subtile, tout symbolisme.

Sa chanson de geste n'annonce pas les mystiques de l'amour courtois.

Sa langue, un persan presque pur qu'il arracha pour un temps à l'envahis­ sement de l'arabe, le mètre uniforme de ses distiques à rimes plates fournirent à son poème l'instru­ ment dépouillé et vigoureux qui lui convenait.

Il eut des imitateurs qui ne furent pas tous médiocres, mais on est tenté de dire que, par sa franchise et sa simplicité, son œuvre épuise le genre.

Au sein d'une culture poétique aussi riche que la persane, Firdousi demeure pour ses compatriotes le poète le plus populaire et le moins discuté.

P.].

DE MENASCE O.

P.

Directeur d'Études à l'École des Hautes Études à Paris.

293. »

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